Interview réalisée mercredi 5 janvier 2011.
Présentation de l’enquête d’Envoyé spécial
Le reportage sur le PSG montre la légèreté du recrutement et le manque de formation des stewards chargés d’encadrer les dizaines de milliers de spectateurs du Parc des Princes. Il démontre également l’inefficacité de certaines mesures de lutte contre la violence : Linda Bendali a pu rentrer au Parc des Princes avec un billet nominatif — l’une des mesures vantées par Robin Leproux — au nom d’un homme… interdit de stade. Ce supporter parisien avait acheté un billet en présentant sa pièce d’identité à la boutique PSG des Champs-Élysées. Les contrôles informatisés à l’entrée du stade n’ont rien détecté, pas plus que les multiples stewards rencontrés à l’approche des tribunes.
Les excès du plan Tous PSG et les dérapages de certains stewards ne sont pas passés sous silence : devant un écran affichant les photos que nous avions publiées à l’époque (voir ci-dessous), Nicolas Mathieu et Laurent Bylka — dont nous avions publié les témoignages exclusifs cet été — racontent l’expulsion manu militari des supporters qui souhaitaient rester debout en virages lors du tournoi de Paris, fin juillet dernier, avant que Robin Leproux ne change d’avis à ce sujet. Selon Nicolas Mathieu, le commissariat de Boulogne-Billancourt a refusé de prendre sa plainte à l’encontre du PSG. L’équipe de Ligne de mire Production a tenté la même démarche, pour un même résultat : refus de prendre la plainte à l’encontre du club parisien.
- Expulsion d’un supporter qui voulait rester debout
- Photo Mathieu Genet pour www.psgmag.net
Interview de Linda Bendali réalisée mercredi 5 janvier 2011.
Pourquoi la sécurité dans les stades ?
Comment avez-vous été amenée à enquêter sur la sécurité dans les stades ?
Le sujet, c’est la privatisation de la sécurité. C’est-à-dire quelles sont les missions qui, ces dernières années, ont été confiées à des agences de sécurité privées. L’aéroport, avec lequel nous entamons le reportage, est l’un des secteurs où cette pratique est la plus ancienne. Mais très rapidement, dans la foulée des incidents de 1993 durant le match PSG-Caen, ce fut au tour des clubs de devoir assurer eux-mêmes la sécurité des enceintes sportives [1].
« Pourquoi enquêter sur les stades ? En raison de l’importance accordée à la lutte contre le hooliganisme en terme de communication gouvernementale. »
Les missions confiées à des entreprises de sécurité privées sont nombreuses. Pourquoi avoir retenu l’encadrement des stades ?
Compte tenu d’une part des difficultés liées à la gestion de la foule, et d’autre part de l’importance de la lutte contre le hooliganisme — au moins en terme de communication gouvernementale, où cela vient juste après le terrorisme —, il nous a semblé que la question de la sécurité dans les stades — ce qui englobe plus généralement les concerts et toutes les manifestations culturelles ou sportives — méritait que nous nous y intéressions. Et nous avons retenu le PSG car ce club est emblématique des problèmes de sécurité que l’on peut rencontrer au niveau français.
Les coulisses du reportage
Le reportage montre Sami B., interdit de stade, tenter — avec succès — d’acheter des billets à la boutique du PSG tout en présentant sa carte d’identité. Il s’agit d’un supporter parisien qui, comme près de 250 autres, doit pointer au commissariat chaque week-end voire tous les trois jours pour avoir manifesté pacifiquement contre le plan Tous PSG. Pourquoi cela n’est-il pas mentionné ?
Je regrette de ne pas avoir pu apporter ces précisions, car il est vrai que l’on se pose la question en voyant le reportage. Mais c’est une question de linéarité du propos dans la narration d’un sujet télévisé : le principe d’une enquête, quand on fait une démonstration, c’est d’aller droit au but ; il est très difficile de faire un pas de côté. Si nous indiquions qu’il est interdit de stade à cause d’une manifestation, cela soulèverait inévitablement des questions. Et nous devrions rentrer dans un tunnel d’explications pour comprendre les raisons qui ont abouti à son interdiction de stade, évoquer le nouveau dispositif de sécurité mis en place par le PSG et les polémiques qui en découlent. Le simple fait d’évoquer les manifestations suscitait plus de questions et nous détournait du propos. Cela fait partie des petits compromis de la télévision vis-à-vis de l’information ; mais ce n’est pas à son détriment, puisque l’information ce n’est pas Sami, c’est le fait qu’une personne interdite de stade puisse rentrer au Parc des Princes.
En discutant durant votre enquête, nous avons évoqué des images diffusées par Canal+ à la mi-temps d’un match au Parc des Princes, sur lesquelles on voit distinctement des stewards coupables de violence gratuite à l’égard d’un spectateur. Pourquoi ne les avez-vous pas gardées ?
Parce que nous n’avons pas pu les acheter à Canal+.
Vous êtes obligés d’acheter ce genre d’images ? Le droit à l’information ne peut-il pas s’appliquer dans un tel cas de figure ?
Apparemment non, nous ne pouvons pas diffuser d’images diffusées sur une autre chaîne sans en avoir acheté les droits. J’ai fait la demande, mais cela n’a pas été possible. Je le déplore, car mon intention était de montrer ces images. Ce n’est pas un choix éditorial de ma part si elles n’apparaissent pas.
« Beaucoup de supporters et de stewards avaient peur de me parler. »
Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant votre enquête sur la sécurité au Parc des Princes ?
C’est un petit monde, pour moi qui suis totalement novice, avec ses codes, ses rituels, ses lois. Le milieu des aéroports est beaucoup plus facile à pénétrer par exemple. En terme de difficulté d’enquête, je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point. Et j’ai rencontré beaucoup de gens, des supporters comme des stewards, qui ne voulaient pas me parler par crainte de se faire interdire de stade ou de se faire — ils le disent — frapper par des stewards ou des supporters. Il y a d’autres milieux dans lesquels j’enquête où les gens ont peur, mais c’est différent : ils s’inquiètent pour leur carrière, pour les difficultés qu’ils pourraient rencontrer, mais ils n’ont pas une peur physique de se faire attraper au coin de la rue par trois personnes.
Sur quels sujets craignaient-ils de s’exprimer : sur les stewards, ou sur les rapports entre supporters parisiens ?
Sur tout ! Sur le PSG en général. J’ai trouvé qu’il y avait beaucoup de tabous. Il y a une méfiance claire vis-à-vis des journalistes — qui est effectivement liée au traitement du PSG par les médias —, mais même au-delà de ça les groupes de supporters sont très réticents à la communication, et les éléments isolés nous expliquent souvent qu’ils n’ont pas envie d’avoir des ennuis à l’intérieur ou même à l’extérieur du stade. Des supporters m’ont dit : « On ne parle pas des stewards. » Je ne veux pas les accuser d’être à l’origine de représailles, ce serait injuste, mais j’ai senti que certains supporters avaient peur. C’est pour cela que le témoignage que vous avez recueilli de Nicolas Mathieu m’a intéressée : il n’y en a pas beaucoup qui portent plainte, qui osent en parler.
Les stewards avaient-ils eux aussi des réticences à parler ?
Oui, j’ai même été confrontée à des stewards qui n’ont pas du tout voulu me parler de leur métier ! Certains ont peur vis-à-vis de leur hiérarchie, de leurs collègues, des supporters… Et ce qui rajoute à la difficulté, c’est que ce n’est pas du tout un métier de syndiqués. Les salariés sont totalement précarisés — payés des petites sommes à chaque prestation —, ils n’ont aucun rapport de force possible. Et ils ont envie de pouvoir continuer à bosser…
« Certains agents de sécurité, chargés de gérer d’éventuels mouvements de foule, n’avaient jamais mis les pieds dans un stade. »
Que retenez-vous de votre enquête sur le PSG ?
Ce qui m’a le plus frappée, c’est le fait qu’il y ait certains agents de sécurité qui n’aient jamais mis les pieds dans un stade, qui ne connaissent pas les métiers du football ni même le lieu où ils sont amenés à travailler. Certains découvrent ce qu’est le Parc des Princes, ce que sont des tribunes en liesse, avec un certain nombre de personnes qui peuvent être parfois assez excitées… Il y a même beaucoup d’agents de sécurité — c’est un comble — qui ont de l’appréhension avant de découvrir le Parc des Princes, qui y vont en se demandant dans quoi ils mettent les pieds. Se retrouver avec des agents qui n’ont jamais eu de formation pratique sur la gestion de la foule, je trouve que c’est limite. Surtout sur des événements de cette nature, qui peuvent drainer jusqu’à 50 000 personnes. Il ne s’agit pas seulement de se protéger de quelques supporters, il faut aussi se protéger des mouvements de foule qui sont susceptibles d’arriver et qui peuvent être dramatiques.
Réactions du PSG et des pouvoirs publics
Avez-vous sollicité le PSG ?
Oui, bien sûr. Mais il a refusé de s’exprimer.
Comment le club a-t-il motivé son refus ?
En disant que nous pouvions parler de beaucoup de sujets, mais pas de celui de la sécurité. Ce sont les mots du service de communication du PSG : « Nous communiquons beaucoup, sur de nombreux sujets ; mais sur celui-là nous ne communiquerons pas. »
Cela peut sembler paradoxal, dans la mesure où le PSG communique largement sur l’efficacité du nouveau dispositif de sécurité.
Auprès de qui ?
Robin Leproux a par exemple multiplié les interviews pour répéter que « le plan est un succès ».
Voilà. Mais ouvrir l’accès à leurs tribunes, ils ne veulent pas le faire. C’est dommage, car j’aurais aimé montrer ce qu’est la réalité du métier de steward : arriver en amont d’un match, voir comment on fait pour se répartir les tâches, pour communiquer au sein du stade. En bref : comment on organise la sécurité au sein du Parc des Princes quand des dizaines de milliers de personnes vont arriver. C’était ma demande.
« La préfecture de police de Paris a refusé de me donner accès au PC sécurité sur demande du PSG. »
Avez-vous contacté la préfecture de police de Paris ?
Oui, mais elle m’a également refusé l’accès. J’ai fait une première demande pour le match PSG-OM, qui a été rejetée. Ayant su qu’une équipe de France 4 s’était également vu refuser l’accès au stade pour ce match, j’ai re-tenté le coup mi-novembre, pour PSG-Caen. Cette fois-ci j’ai bien eu l’autorisation de venir tourner au sein du PC sécurité. Je voulais montrer la façon dont tout cela est organisé, avec des stewards dans les tribunes et des policiers qui surveillent les caméras. Mais suite au refus du PSG — concomitant à ma demande auprès de la préfecture de police —, celle-ci est revenue vers moi en me disant qu’ils ne m’ouvriraient finalement pas leur PC sécurité, qui est situé au sein du Parc, parce que le PSG ne voulait pas.
Quel accueil les journalistes ont-ils réservé à votre reportage ?
Ils ne l’ont pas encore vu. Le sujet a été bouclé durant les vacances de Noël, c’était trop tard pour que les hebdomadaires puissent en parler cette semaine. Quelques papiers sortiront demain [ce jeudi] en radio et dans la presse quotidienne. (voir sur Google actualités)