Interview réalisée jeudi 25 février 2010.
Publication en quatre parties :
Première partie : les coulisses du club et le « peuple du PSG »
Deuxième partie : sa présidence en avril-mai 2008
Troisième partie : la démission de Charles Villeneuve, Colony Capital et les maillots
Quatrième partie : l’association PSG, les jeunes et les féminines
Avocat du PSG de 1978 à 1991
Les premiers pas de Simon Tahar avec le PSG remontent à plus de trente ans. Retour sur ses débuts au club à une époque où le président parisien s’appelait Daniel Hechter.
Votre frère Charles Talar est arrivé au PSG dès 1973. Avez-vous occupé des responsabilités au sein du club à cette époque ?
Mon frère est effectivement l’un des trois fondateurs du PSG version 1973, donc j’avais un lien particulier avec le club, mais je n’étais alors qu’un supporter. J’allais en tribune A si mes souvenirs sont bons. (sourires)
« Je suis intervenu pour la première fois en janvier 1978, à l’occasion du scandale de la double billetterie mettant en cause Daniel Hechter. »
Comment avez-vous intégré le PSG ?
Je suis arrivé au Paris Saint-Germain en 1978, à l’occasion du scandale de la double billetterie. Je suis intervenu en tant qu’avocat du club et de Daniel Hechter en particulier, puisqu’il était mis en cause dans l’organisation de cette double billetterie. Je me souviens qu’il y avait eu une campagne de presse absolument gigantesque, car c’était la première fois qu’un tel scandale éclatait dans le football français. C’était à Noël 1977, alors que Daniel Hechter était en vacances. Je suis intervenu pour la première fois à l’occasion de l’audience devant le Groupement — l’ancêtre de la LFP — à son retour à Paris, le 6 janvier 1978. Quand le nouveau président, Francis Borelli, a été nommé, je suis devenu l’avocat du PSG. Je le suis resté durant toute sa présidence, soit jusqu’en 1991. Petit à petit ce club est devenu très important pour moi. Et dans la mesure où il y avait énormément de problèmes dans la gestion du club sous le régime de l’association — il n’y avait pas beaucoup d’argent, bien que chacun imaginait alors que le PSG était un club riche —, je m’impliquais beaucoup à défendre le club au quotidien.
De quels types d’affaires vous occupiez-vous ?
En tant qu’avocat, je défendais le club et les joueurs devant le Groupement. Nous avions également des affaires de diffamation entre Francis Borelli et Claude Bez, au moment où le président bordelais régnait sur le football français. La palette d’interventions, judiciaires et extrajudiciaires, était donc très large.
Votre collaboration a pris fin à l’arrivée de Canal+ ?
Je suis intervenu, toujours en tant qu’avocat, pour favoriser le rapprochement avec Canal+ en 1991. C’est moi qui ai négocié avec Bernard Brochand tous les détails de l’entente, jusqu’au moment où il a été créé une société sportive à côté de l’association. Et je suis devenu administrateur de la société sportive jusqu’en 2001, date à laquelle je suis passé du côté de l’association.
Administrateur du PSG de 1991 à 2001
À l’arrivée de Canal+, le club s’est doté d’une nouvelle structure juridique pour gérer le secteur professionnel. Simon Tahar a intégré le conseil d’administration de la SAOS Paris Saint-Germain Football.
« Le centre de décisions s’est rapidement recentré sur Canal+… »
Quelles décisions étaient portées à la connaissance du conseil d’administration durant l’ère Canal+ ?
Le conseil d’administration n’était pas réellement très actif. Au début il y avait une sorte de collégialité avec notamment Charles Talar pour le sportif et Bernard Brochand pour tout l’aspect marketing, commercial et relationnel avec les différentes collectivités. Mais le centre de décisions s’est rapidement recentré sur Canal+, qui a pris de plus en plus d’importance au niveau de la gestion du club dans la mesure où ils assuraient seuls tous les financements et les orientations sportives et managériales sous l’impulsion de Michel Denisot et Pierre Lescure.
Parmi les administrateurs, on relève la présence d’Annie Lhéritier, à l’époque chef de cabinet de Jacques Chirac. Quel était le rôle de la mairie de Paris au sein du club ?
Annie Lhéritier n’était pas la représentante de la mairie de Paris, elle était administrateur à titre indépendant. C’est quelqu’un qui adore le football. Elle avait évidemment sa qualité de personnalité, dans la mesure où elle était chef de cabinet de Jacques Chirac lorsqu’il était à la mairie de Paris puis lorsqu’il est devenu président de la République.
« Récupérer le titre de 1993 ? L’idée a été vite abandonnée. Nous étions dans une période tellement faste sur le plan sportif… »
L’attribution du titre de champion de France 1993 après l’affaire OM-VA a-t-elle fait l’objet de discussions au sein des administrateurs ?
Il n’y a pas véritablement eu d’action forte sur ce sujet-là. Je crois que c’est une idée qui a été vite abandonnée. D’autres l’auraient peut-être exploité, mais c’était très, très compliqué.
Canal+ a demandé que l’idée soit abandonnée, pour ne pas perdre d’abonnés dans le sud de la France ?
Oui, ils étaient mal placés. Ils ont toujours été un peu en difficulté de ce point de vue-là, puisque d’un côté ils étaient propriétaires et gestionnaires d’un club — ils auraient pu choisir de ne pas l’animer —, et par ailleurs ils étaient incontournables dans l’organisation du football français, étant un pourvoyeur important de revenus pour l’ensemble des clubs. Donc c’est sûr que c’était un peu compliqué pour eux.
Les « dirigeants historiques » auraient pu aborder ce sujet…
Il faut se souvenir que nous étions dans une période extrêmement faste sur le plan sportif. Dès la première année avec Artur Jorge nous arrivons à nous qualifier pour une coupe d’Europe, la deuxième année nous remportons la coupe de France, et la troisième année nous sommes champions de France. En plus nous avions les plus beaux joueurs que l’on pouvait imaginer avoir. J’ai également le souvenir qu’à la fin des années 1990, en terme d’indice de notoriété, le PSG arrivait à la troisième place en Europe ! Alors que nous n’avions pas du tout le palmarès du Real Madrid, de Barcelone ou de Manchester. C’est dire l’impact de nos résultats à l’époque. Tout était à découvrir, et nous étions dans une phase ascensionnelle, avec des challenges qui montaient toujours en puissance… Nous pensions vraiment que le club allait continuer à franchir des étapes successives.
L’autre fait marquant des années 1990 concerne le déménagement du PSG au Stade de France. Ce sujet a-t-il été discuté par les administrateurs ?
Le Stade de France a effectivement été largement débattu en conseil d’administration, en 1998. La ville de Paris tenait absolument à ce que le PSG reste au Parc des Princes, et du côté du Stade de France il y avait une très forte pression pour avoir un club résident. Or le seul club résident potentiel, c’était le PSG. Nous avons considéré que le Parc est vraiment notre jardin, le PSG a une véritable histoire avec ce stade, et nous avions du mal à imaginer pouvoir jouer ailleurs. Je crois que nous avons joué un rôle décisif dans la décision qui a été prise, et de son côté la mairie de Paris a fait les efforts nécessaires pour que cela soit possible.
Les relations du club avec le « peuple du PSG »
Simon Tahar est très sensible à la mauvaise image des supporters du Paris SG. Nous l’avons interrogé sur les pistes de réflexion qu’il envisage pour permettre de mettre en valeur la majorité silencieuse [1].
« Il faut trouver le moyen de donner la parole au “peuple du PSG”. »
Plusieurs salariés du PSG avaient mis en place un « collectif » suite à l’affaire de la banderole pour faire entendre une voix différente, mais ce projet a été abandonné. Que faire, selon vous, pour changer l’image dont souffrent les supporters parisiens ?
D’une manière plus générale, il y a par rapport au club des camps qui se sont formés, que la presse présente comme tel : d’un côté le club — avec toutes ses structures sportives, directionnelles et capitalistiques —, et de l’autre ce que l’on appelle communément les « associations de supporters ». Entre les deux, il y a la masse de gens la plus importante. Celle sans doute dont on tient le moins compte, que j’appelle le « public ». Et comme tout cela n’était pas suffisamment compliqué, dans les groupes de supporters on englobe des gens qui viennent défouler leur violence et qui n’ont rien à voir avec le PSG et les autres, tout aussi amoureux du club. Je suis obligé d’employer le mot « public », parce que si je dis supporter on pense généralement aux groupes de supporters. Après le dernier match de la saison 2007/2008, à Sochaux, j’avais parlé du « peuple du PSG ». Dans mon esprit, c’est un peu de cela dont il s’agit : le peuple du PSG c’est tout le monde, mais ce sont surtout des gens qui sont absolument extraordinaires, qui vivent leur passion pour le club du matin au soir, qui en rêvent, qui sont prêts à donner un maximum de choses, qui pourraient même entreprendre des actions bénévoles pour le club, mais à qui on ne donne jamais la parole.
Pour revenir sur la rencontre Sochaux-PSG, sur une population d’environ douze millions d’habitants en région parisienne, on a comptabilisé près de quatre millions de personnes rivées à la radio, à la télévision ou sur Internet pour suivre le match. J’ai reçu des témoignages absolument extraordinaires de gens humbles, simples… Il faut trouver le moyen de donner à ces gens-là la possibilité de s’exprimer sans qu’on les disqualifie, sans qu’on puisse dire « ce sont des supporters », « ce sont des ultras ». Il faut redonner vie à cette famille du PSG, car c’est celle-là qui est la plus importante à mes yeux. Elle est un petit peu désabusée ou désœuvrée aujourd’hui, il faut lui redonner des motifs de reprendre confiance, de s’enflammer à nouveau et de donner. Pas simplement de donner en supportant, je pense qu’on peut trouver des tas d’actions… Je travaille par exemple sur le bénévolat, il doit être possible d’attirer au club des bénévoles qui demain peut-être seront des dirigeants au sein de toutes les équipes que nous avons dans l’association, pour créer ce lien de filiation avec le club. Cela me parait absolument important. Il peut aussi y avoir des relais : vous par exemple pouvez être un relai essentiel entre justement le public — je l’appelle public pour être humble — et le club. C’est très important, il y a un travail considérable à faire à ce niveau-là.
La mauvaise image du club et de ses supporters n’est pas nouvelle. D’après vous, sur quels leviers pourrait-on jouer pour faire parler la majorité silencieuse que vous évoquez ?
Il appartient à la direction du club de travailler sur ces questions et je sens dans la personne de Robin Leproux quelqu’un de décidé à agir dans ce sens. Je pense qu’il faut travailler en profondeur, sans relâche, sur des projets porteurs. Aujourd’hui avec Internet nous avons à notre disposition des moyens de communication absolument extraordinaires, qui n’ont rien à voir avec ceux des années 1970. Ce sont des choses qui peuvent se faire en les pensant, en les organisant, en apportant de l’écoute, pas simplement en disant : « On vous donne l’information, débrouillez-vous » — je caricature. Il n’y a pas de raison de ne pas créer des familles autour du PSG, des « Facebook PSG » — qui n’auraient pas ce nom-là, je parle seulement du principe — ou des communautés pour pouvoir échanger, s’informer…
Il y a tout un travail à faire, ce chantier n’a jamais réellement été ouvert parce que le club a été pris dans la gestion de ses relations avec les associations de supporters et ses dérives vers la violence. Je le crois essentiel, parce qu’il faut rompre avec l’idée que, quand on parle de supporters du PSG, il s’agit uniquement des groupes organisés. Bien sûr qu’ils sont importants, mon idée n’est pas de nier leur importance, mais ils ne peuvent pas incarner à eux-seuls — loin de là — la communauté de gens qui adorent le PSG, qui sont passionnés par le PSG. Ils ne sont pas représentatifs et en tout cas ils ne peuvent pas tous les incarner. Il existe toute une population qui entretient un lien exceptionnel avec le PSG, je l’ai mesuré dans les pires moments du club. En avril-mai 2008, j’ai ressenti un véritable élan d’amour envers le club. Les gens refusaient de voir le club descendre, c’était hors de question.
Vous le souligniez, un supporter lambda n’a pas l’occasion d’exprimer son amour envers le club sans passer par une association de supporters. Mais le club ne semble pas enclin à faire évoluer les choses dans ce sens. Ne serait-ce pas aux dirigeants historiques dont vous faites partie d’impulser ce mouvement ?
Je suis conscient de deux choses : la première, c’est que si l’association existe aujourd’hui, en dehors de tout ce que j’ai décrit (voir le quatrième volet de l’interview, qui sera publié vendredi), c’est aussi pour ne jamais oublier ce qu’est le club. Ses membres sont des gens totalement désintéressés, nous sommes tous bénévoles — je le suis également, je prends de mon temps, et Dieu sait si j’en prends beaucoup —, uniquement par amour du football et par passion pour le PSG. Les personnes en charge de la responsabilité du club et de la section professionnelle doivent savoir qu’ils peuvent compter sur eux pour les aider dans leur tâche et perpétuer ce souvenir. Rien que pour ces passionnés, rien que pour ce qu’ils représentent, il faut toujours agir en se disant : « Que puis-je faire de plus pour le club ? » Je serai pour ma part toujours disponible. Le deuxième point, c’est effectivement savoir comment rassembler autrement tous ceux qui aiment le club. Actuellement, nos résultats ne sont pas bons, cela amène une difficulté supplémentaire. Il faut trouver les éléments de dialogue qui compensent, pour dire aux amoureux du PSG : « Nous avons un projet, nous savons où nous allons. » Je suis persuadé que nous pouvons créer des élans importants, et recueillir des énergies dont on ne peut pas soupçonner l’importance.
Les relations entre les supporters et les joueurs ont beaucoup évolué depuis les années 1970. On ne ressent plus de respect envers les joueurs dans les tribunes, bien au contraire. Comment pensez-vous qu’on puisse sortir de cette situation ?
Le phénomène de groupes structurés n’existait même pas à l’époque. La réalité incontournable, c’est que les associations de supporters se sont imposées comme des interlocuteurs, comme des parties prenantes de l’organisation du football, que ce soit au PSG ou ailleurs. Il y a des ponts entre les deux — des réunions, des dialogues —, et c’est complètement nouveau. À tel point que les supporters disent à ceux qui sont aujourd’hui propriétaires du club quelque chose d’absolument incroyable : « Vous n’êtes rien. » C’est un peu compliqué pour dialoguer quand on vous dit : « Avant vous nous étions là, après votre départ nous serons toujours là, donc vous n’êtes rien. » Il faut donc nécessairement essayer de trouver un modèle de relations entre ces organisations et le club, mais ce n’est pas évident. Il existe un dialogue aujourd’hui, alors qu’à un moment donné il n’y en avait pas du tout. Est-ce le dialogue qu’il faut, faut-il un autre mode de communication, c’est un vrai problème. Il faut aussi et surtout que chacun soit à sa place : autant on peut porter sa passion jusqu’au bout et exprimer son mécontentement ou ses exigences, autant lorsque cela devient une intrusion dans l’organisation d’un club, et à plus forte raison lorsqu’on utilise la violence, cela pose de vraies difficultés pour ceux qui dirigent et oblige à adopter des positions plus radicales.
Première partie : les coulisses du club et le « peuple du PSG »
Deuxième partie : sa présidence en avril-mai 2008
Troisième partie : la démission de Charles Villeneuve, Colony Capital et les maillots
Quatrième partie : l’association PSG, les jeunes et les féminines