Chaque jour nous apporte son lot de nouveautés effarantes. Bien sûr qu’Auteuil et Boulogne s’insultaient rencontre après rencontre. Bien sûr que nous ne pouvions pas continuer ainsi, après la mort d’un supporter, lynché par ses pairs. Enfin tout de même : des virages privés des abonnés qui les animent depuis plusieurs décennies. Une mascotte ridicule sortie de nulle part, si ce n’est de l’imagination d’un publicitaire cocaïné. Des stands de maquillage. Une distribution de cornes de brume vuvuzelantes. L’éviction manu militari des supporters qui osent se mettre debout en virages… C’est donc cela, le PSG idéal ?
D’ailleurs, est-ce toujours notre club ? La question est essentielle : pour soutenir une équipe, il faut s’y reconnaître. Certains Parisiens refusent de revenir au Parc des Princes parce qu’il ne parviennent plus à s’identifier à ce « nouveau PSG », trop différent du leur. Cela se comprend. Ou cela se respecte, au moins. D’où la nécessité de déterminer avec précision ce qui fait que le PSG est le PSG.
L’identité PSG
Peut-être que les supporters qui suivent le club francilien de loin, ou ceux qui n’ont pas la chance d’avoir pu s’y investir à fond auront du mal à entendre cela. Mais le PSG, c’est bien plus qu’un palmarès, une équipe de footballeurs, et des matches que l’on espère gagner. Certaines valeurs, certains caractères font partie intégrante de ce club qui nous dépasse.
Dans ce qu’est le PSG, au premier rang, il y a le nom : Paris Saint-Germain. Ce nom a été chanté aux quatre coins de l’Europe, depuis des décennies. Qu’on le change, et pour ma part je partirai. Cela peut sembler relever de l’impossible, et pourtant : il faut se souvenir que le Paris Saint-Germain a bien failli être renommé au début des années 1970 ! La scission d’avec le Paris FC qui a renvoyé le PSG en troisième division en est la preuve. Le naming [1] s’attaque aux stades, il finira bien par contaminer les clubs. En ce qui me concerne, le jour où l’on nous proposera un PSG en mode Paris Soupline-Gratounette, la question ne se posera même plus.
Dans la catégorie des non négociables, viennent ensuite ex-æquo le Parc des Princes, et le maillot. On avait parlé en 1998 d’envoyer le Paris Saint-Germain jouer au Stade de France. Depuis, c’est un serpent de mer. Certains s’en fichent, mais pour moi, ce serait tout aussi impossible que d’affubler les joueurs parisiens d’une tunique verte et rose. Le stade et les couleurs du maillot sont deux composantes fondamentales du club parisien. La saison 2009/2010, disputée avec un maillot bleu rayé de rouge, fut un calvaire. S’obliger à soutenir des joueurs dont on ne reconnaît même pas les couleurs pendant une année complète relevait de la torture. Cette fois-ci, pour les 40 ans que s’apprête à célébrer officiellement le club, le choix d’un retour au rouge de 1970 peut s’expliquer. Ce n’est pas pour cela que ce maillot anniversaire n’a rien de troublant. Parce qu’il n’aide pas à s’identifier, encore une fois.
Le souci, plus qu’un conservatisme débile, c’est le besoin de se reconnaître, d’être en confiance, pour pouvoir se lâcher. En tant que supporter, le besoin de savoir pour qui l’on se bat est primordial. Qui l’on défend. Et où on le fait. Nos souvenirs, notre histoire, c’est au Parc des Princes qu’on les a construits, en encourageant des joueurs au maillot bleu-blanc-rouge-blanc-bleu. Cette vie de supporter, personnellement j’en ai besoin au moment de soutenir mon équipe. Ces expériences, ces retournements de situation, cette fierté d’être parisien, cet amour du PSG, ils se sont bâtis au fil des ans, sous les mêmes couleurs et dans un seul stade. Retirez ces repères et vous brisez la chaîne qui nous relie au club. Plus rien n’aurait de sens. L’an passé, soutenir des Parisiens en maillot rayé, c’était comme mentir. Se mentir.
Heureusement, pour l’instant le « nouveau virage » du PSG ne remet pas ces piliers identitaires en cause. Malgré les changements prévus, avec le nom, le stade et le maillot, les composantes indiscutables du club resteraient préservées. On ne va pas crier victoire, c’est juste la moindre des choses. Car vient ensuite tout ce qui ne se voit pas de l’extérieur, mais n’en constitue pas moins le Paris Saint-Germain. Ce que seuls les amoureux du club peuvent percevoir : cet éclat qui aura forcément échappé aux marchands du temple.
Le PSG des abonnés
Prenez deux personnes souhaitant acheter la même maison. Le premier l’a découverte par hasard et en est tombé amoureux petit à petit, en passant régulièrement devant. L’autre y a vécu quelques vacances, enfant, en famille. Demandez-leur pourquoi ils apprécient cette demeure. Celui qui a rêvé pendant des années d’y rentrer vous parlera sans doute de son aspect extérieur, du jardin dans lequel il s’est imaginé passer une soirée, puis de la décoration qu’il a découverte lors de sa première visite, des travaux qu’il pourra y faire pour l’améliorer…
Mais celui qui a construit là quelques souvenirs d’enfance, qu’évoquera-t-il ? Lui, on ne peut pas le tromper : il sait le robinet qui fuit, le carreau qui se descelle et l’arbre malade qu’il faudra faire arracher, tôt ou tard. Ces défauts, il a grandi à leurs côtés, et si on les corrigeait, c’est une part de l’âme des lieux qu’on lui retirerait. Au moment de décrire ce qui l’attache à sa maison, plus que le nombre de chambres, la surface de la terrasse ou la quiétude du voisinage, il abordera d’autres détails. L’odeur du salon, qui le ramène des années en arrière. La façon dont la lumière traverse son volet et venait le réveiller, tôt le matin. Le souvenir de ce jardin, du temps où la haie n’avait pas poussé, quand il pouvait passer chez le voisin…
Quelle vision est préférable ? Quel acheteur semble le plus légitime ? Qui l’aime le plus ? Et qui la maintiendra en meilleur état ?
Le PSG est notre maison, et peut-être que les amoureux du club n’ayant pas pu s’abonner plusieurs années au Parc auront du mal à le comprendre. Je ne nie pas leurs sentiments à l’égard du Paris Saint-Germain, j’affirme juste qu’à l’image d’une propriété familiale mise à la vente après le décès de la grand-mère, celui qui y a laissé son enfance ne verra pas les mêmes détails que le plus sincère des passionnés, même de longue date, s’il n’y a pas grandi.
Au-delà de la partie visible du club, nom, stade et maillot, il existe d’autres détails eux aussi essentiels. Ils forgent le PSG. Mais ces indispensables caractéristiques peuvent choquer.
Cette vérité que certains diront trop crue, c’est que nombre de supporters aiment la part d’ombre qui entoure le Paris Saint-Germain. Ce club à nulle autre pareil incarne le méchant de l’histoire, celui qui, quoi qu’il arrive, doit perdre pour que la morale soit préservée. Alors certes, de temps à autre, le grand méchant loup s’offre une petite victoire : il boulotte un petit cochon ou deux. Mais rassurez-vous, les chasseurs arriveront bien assez tôt pour que l’on s’aperçoive qu’il n’avait pas mâché ne serait-ce que le bout d’une queue en tire-bouchon. Le PSG gagne des titres, des coupes nationales à en provoquer des érections collectives dans toutes les maisons de retraites marseillaises un soir de pénurie de viagra. Qu’importe : il reste aux yeux du populo le club dont on doit se moquer. Juste histoire d’exorciser sa crainte.
— Qui a peur du Paris SG, c’est pas nous, c’est pas nous… PSG, que fais-tu ? — Je t’attends au Parc des Princes… — Ah… Euh bon, alors on n’aurait qu’à dire que notre sécurité n’est pas tout à fait complètement assurée, et puis qu’en fait on voulait davantage de places, et que par solidarité du coup on resterait à la maison, mais attention la prochaine fois vous verrez ce que vous verrez !
Oui, le PSG sent le soufre. On ne venait pas en virage pour se peinturlurer le faciès et jouer de la vuvuzela, les fesses vissées sur son strapontin. On venait se battre. Pour le club, pour la victoire, pour construire la légende. Pas contre le voisin mais contre la défaite. Mais on venait se battre, donner, et pas juste consommer une victoire, un hot-dog et de pauvres animations. Puis, certains se sont perdus. D’une lutte sans violence et sans haine, consacrée à la défense de nos couleurs, ils sont passés à un combat pour leur propre tribune, ou leur propre groupe… ou leur propre égo. La défense de leur communauté est passée avant celle du PSG, insidieusement. Là-dessus sont venus se greffer de part et d’autres des gars pour lesquels le seul intérêt résidait dans la violence pour la violence, initiant une longue descente aux enfers. Jusqu’au décès de Yann Lorence. Tout était alors fini.
Cette fragile limite entre le club que l’on aimait savoir détesté du reste de la France, et le franchement insupportable était franchie. Alors certes, il y a toujours eu de mauvais moments : les cris de singe des années 1990, le climat parfois nauséabond du Kob, les drapeaux palestiniens du VA ces derniers mois [2], les insultes aux supporters adverses répétées tout au long du match. La bêtise crasse de ces veaux pour lesquels la haine de Marseille était plus forte que l’amour de Paris. Tout cela, il fallait l’endurer. Mais ensuite, quel plaisir de supporter un club que tout le monde hait juste parce qu’il faut le haïr ! Il y a de la place ailleurs pour les gentils supporters en mal de reconnaissance. Soutenir le PSG, c’est choisir un club où rien ne vous sera passé. Un club plus dur, parce que plus sombre. L’ambigüité, c’est le PSG.
L’indispensable frisson
Le nouveau virage initié par le président Leproux semble mener Paris dans une autre direction. Certes, nous sommes allés trop loin. Avant même le drame de cet hiver, la violence gangrénait le Parc. Il fallait revenir à plus de raison. Mais ce « nouveau PSG », aseptisé, embourgeoisé, ces tribunes à l’atmosphère garantie 100 % joviale, à qui cela plaira-t-il vraiment ? Au risque de choquer alors que la mode est au puritanisme nigaud, si les virages du Parc devaient se révéler un creuset d’emperruqués venus au spectacle, je ne m’y reconnaitrais plus. Cela ne se dit pas, et pourtant je le confesse : un PSG encouragé par des gamins braillards et peinturlurés ne me plairait pas. Et voir des virages dans lesquels on expulse un supporter parce qu’il voulait soutenir son équipe debout est, à titre personnel, au-delà de ce que j’imagine être le PSG.
Non, les virages du Paris Saint-Germain ne sont pas des tribunes familiales. Selon la formule consacré, en tant que père de famille « je n’y aurais pas emmené mes enfants ». D’ailleurs, cela ne me gêne pas : je ne les emmène pas non plus voir n’importe quel film au cinéma. Il y a un âge pour toutes les choses. Oui, ces tribunes sentaient la haine et la férocité. Tant que c’était la haine de la défaite, tant que nous ne faisions peur qu’à nos adversaires et aux spectateurs de Téléfoot, cela m’allait tout à fait. J’irai même jusqu’à dire que j’y prenais un certain plaisir.
Ce qui fait le PSG, c’est aussi ce frisson qui parcourt l’assistance lorsque vous annoncez que vous êtes abonné au Parc des Princes. Vous le trouvez laid ce frisson ? Quand je regarde attentivement ce qu’il cachait, je vous dirais que moi aussi, souvent. Et pourtant, plus j’y pense et plus je me dis que j’en ai besoin. Parce que c’est à cause de lui que le Paris Saint-Germain ne sera jamais un club comme les autres. Retirez ce frisson, et Paris deviendra insipide, commun. Supporter un PSG aseptisé, qui ne diffèrerait en rien des autres clubs, quel sens cela aurait-il ?