J’ai déjà amené des amis à découvrir le Parc des Princes, c’est toujours une agréable expérience. Même les copains de province, pas PSG pour deux sous, en repartaient marqués, souvent à leur corps défendant d’ailleurs. Mais là, c’est particulier. Mon neveu vient d’avoir douze ans, il est déjà fan du Stade Français, ce qui, vous en conviendrez, fait de lui un garçon plutôt sympathique, et il ne connaît pour ainsi dire pas le Paris Saint-Germain. Alors quand mon camarade de tribune m’a prêté son abonnement pour une raison que j’ignore, sans doute un funeste mariage à Concarneau, ou bien un départ en vacances dans les îles, bref une irrecevable excuse, j’ai immédiatement décidé d’exposer mon neveu à la fièvre rouge et bleu. Et j’ai bien hâte de voir sa tête lorsque les joueurs rentreront sur le terrain…
Alors je sais bien : le pauvre Paris SG n’est plus que le pâle petit reflet papillonnant de celui que nous avons animé avant le plan Leproux et l’arrivée des Qataris. Cette rentrée des joueurs, elle ne sera pas saluée par ces bâches qui nous étouffaient. Il n’y aura aucune flamme, pas le brouillard d’un seul fumigène pour expliquer des raclements de gorge et yeux piquants. Mon neveu ne verra pas les marées de deux-mâts envahir Auteuil, et ne sera pas percuté par les chants repris derrière le capo de Boulogne. C’est vrai. Il ne connaîtra sans doute jamais notre PSG. Celui-là est mort.
Mais après tout, combien de fois ai-je entendu des anciens me parler des premières années du club de la capitale ? Ils peignaient un âge d’or, un idéal que je ne pourrais jamais espérer seulement toucher du doigt… Arrivé au Parc au début des années 1990, et croyez-moi c’était hier, je n’ai jamais pu admirer les passes de Susic. On me les a racontées, et il paraît qu’il y avait de quoi se découvrir et se mettre à genoux en tribune tellement c’était beau. Les dribbles de Dahleb, je n’ai jamais pu que les imaginer, eux aussi. Et je n’ai jamais vu les feux au chlorate à Boulogne, ni vécu ces parties où les supporters changeaient de tribune à la mi-temps pour rester derrière le gardien de but que les Parisiens tentaient de transpercer.
Aucune frustration, pourtant. Parce que je n’ai rien vécu de ces heures-là, j’ai pu me les rêver à satiété. Peut-être encore plus belles que dans les souvenirs de ceux qui les avaient vécues. Je n’en ai pas conçu de peine : ça n’était juste pas mon club, pas mon époque. J’avais une autre vie de supporter du PSG à vivre. Un club à aimer, différent du leur, mais mon club. Alors…
Mon neveu va découvrir son propre PSG samedi. Voilà ce que je vais lui offrir. Le nôtre était-il vraiment meilleur ? Sûrement. Moi en tous cas je le ressens comme cela. Obligé. Du coup vous pouvez bien croire que je lui parlerai de Raì, l’homme qui levait le poing haut dans le ciel, célébration inconsciente de sa propre grandeur. Je lui raconterai les cheveux d’Alain Roche, qui avaient droit à leur propre déclaration d’amour en tribune. Et les buts de Pauleta, aussi. Il entendra parler d’un certain match contre le Real, et même d’Okocha, et de Diané qui nous sauva loin là-bas, au pays de la peur. Je lui raconterai cette époque où le Paris Saint-Germain était le comique préféré des Français. Quand tout était paradoxalement plus facile parce que personne ne nous aimait, et qu’il suffisait de s’en foutre.
Je lui raconterai mon Paris. Celui du temps où moi j’avais les yeux qui brillent, foi en Luis Fernandez et la certitude béate que bientôt nous dormirions sur le toit du monde. Tant à transmettre. Tous ces matches. Toutes ces saisons. Toute cette vie.
Il ne m’écoutera pas. Parce que mon neveu a douze ans, et que Raì ne boxait déjà plus les nuages lorsqu’il a vu le jour. Je lui dirai tout, et il ne comprendra rien. Ou peut-être est-ce moi qui ne comprendrai pas. Que ce Parc-là puisse lui faire briller les yeux, à son tour. Au milieu des vestiges de notre passion ruinée, il va découvrir son Parc. Avec un peu de chance, la magie sera encore là. C’est juste que nous, nos cœurs se sont usés de trop de combats, de trop de défaites pour que nous puissions la toucher encore. Mais le Parc, pour l’instant, est encore là. Ses murs ont peut-être gardé le souvenir de nos chants, et un écho de nos larmes. Sauf qu’il faudrait avoir douze ans pour le sentir encore. J’espère.
Le Paris Saint-Germain n’est pas mort. C’est le nôtre qui n’existe plus. Comme celui de Borelli avait déjà disparu lorsque j’ai rejoint ces tribunes. Le PSG nous survivra. Différent, et indifférent, peut-être. Porteur d’autres rêves, instigateur d’autres joies, vecteur d’autres déceptions. Pour qui n’a pas connu notre lente agonie, cela devrait pouvoir le faire. J’espère.
Parce que quitte à offrir le PSG, autant que ce soit encore une source d’émotions. Et autant que ce soit à un Parisien de douze ans, aux yeux qui brillent. C’est un peu égoïste, ou irresponsable, mais je crois que quitte à passer le flambeau, autant que ce soit à quelqu’un de ma famille. Quitte à ne plus se sentir à sa place, autant que ce soit quelqu’un que vous aimez qui l’occupe après vous. Dans le malheur ou dans la gloire.