De retour au club depuis six mois, Luis Fernandez décide lors de l’intersaison 2001 de mettre fin à la lubie de Canal+ consistant à faire du PSG le club des banlieues, et chamboule son effectif. Il donne à son équipe un accent très hispanique : Pochettino et Arteta, arrivés à l’hiver, restent ; l’ancien international espagnol Cristobal [1] et le Portugais Hugo Leal, en provenance de Madrid, complètent l’effectif. Et pour honorer sa réputation de dénicheur de talents, le technicien parisien recrute un Italo-Argentin au patronyme improbable : Gabriel Heinze.
La bonne pioche de Luis Fernandez
Le joueur vient du modeste club espagnol de Valladolid, et personne ne sait grand chose de lui. Tout juste a-t-il la réputation — au combien justifiée — d’être un joueur rugueux : c’est le défenseur qui a réalisé le plus de tacles dans le championnat espagnol lors de la saison précédente. Dès ses premiers matches, il brille en tant que défenseur central. En coupe Intertoto, il marque un but face aux Ukrainiens de Simferopol d’un ciseau de 20 mètres… but que personne ne verra, le match n’ayant pas été diffusé.
Les supporters parisiens découvrent ensuite peu à peu le jeune homme de 23 ans : un chien fou évoluant en défense centrale, qui tacle à outrance, n’hésite pas à jouer des coudes, parlemente avec l’arbitre, n’est pas avare en gestes défensifs spectaculaires… En somme, le symbole de la grinta à l’argentine. Il forme avec Mauricio Pochettino une charnière particulièrement complémentaire, qui est la base d’un bon PSG — le club finira quatrième cette saison-là. De temps en temps, pour satisfaire les besoins de l’équipe, Heinze se mue en arrière gauche. Comme à Nantes, après l’expulsion de Potillon : il profite d’ailleurs de cette rencontre pour réaliser deux débordements rageurs conclus par deux passes décisives [2], avec une victoire du PSG au bout. Mais ce genre d’attitudes restera rare : Heinze est d’abord là pour défendre, le jeu offensif passe en arrière-plan. Personne ne lui reproche de rater ses centres, il n’en tente que très rarement.
La première saison s’achève, et tout le monde s’accorde à penser que Fernandez a eu le nez creux en faisant venir ce jeune joueur. Seule ombre au tableau : un match à Lyon, que le PSG perd 3-0, au cours duquel Heinze a été tourné en bourrique par Sidney Govou [3]. À l’entame de sa deuxième saison, Heinze franchit un pallier. Le PSG ne réalise pas une grande saison, mais Heinze demeure irréprochable. Aux côtés d’un Pochettino qui accuse le poids des années, il prend de plus en plus ses responsabilités et s’affirme comme le nouveau patron de défense. Ses performances finissent même par taper dans l’œil du sélectionneur argentin, Marcelo Bielsa, puisqu’en avril 2003 il revêt pour la première fois le maillot albiceleste.
Qui plus est, cette saison-là, « Gaby » devient la véritable idole du Parc des Princes. Déçus par le comportement de Ronaldinho, qui choisit clairement ses rencontres, ou par le rendement des recrues, les supporters reportent leur besoin d’aduler un joueur sur Heinze. Et probablement plus pour son attitude que pour son niveau de jeu : il incarne à la fois l’arrogance à la parisienne et l’aspect guerrier réclamé par tant d’aficionados. Le regard perçant, le torse toujours bombé d’orgueil, il multiplie les gestes spectaculaires et marquants. Lors d’une séance de tirs aux buts face à Porto, il préfère attendre son tour en réalisant une séance d’abdominaux. Contre l’OM, lors d’un choc tête contre tête avec Fernandão, il provoque involontairement une fracture du crâne à son adversaire… mais se relève sans une égratignure. Parfois, après un tacle glissé parfait, une fois l’adversaire par terre et lui en possession de la balle, il prend le temps de réajuster tout tranquillement son short avant de relancer, humiliation supplémentaire pour le pauvre attaquant qui réclame en vain un coup-franc.
Bref, Heinze a tout du joueur que l’on détesterait s’il n’était pas Parisien, et c’est peut-être bien ce qui plaît le plus aux supporters Rouge et Bleu. En plus de cela, il a eu l’opportunisme de marquer des buts très importants pour son club : un but contre Lyon en décembre 2002 qui sauve son coach [4], et une égalisation à cinq minutes de la fin face à l’OM en coupe de France [5]. Que ce joueur soit mis en avant devient alors une évidence.
Relations tendues avec Vahid
À l’intersaison 2003, Luis Fernandez quitte le banc du PSG. Vahid Halilhodzic prend la relève, et ce que tout le monde craignait arrive : un gros club songe à recruter le défenseur central parisien. Il s’agit du FC Barcelone — déjà acquéreur de Ronaldinho —, qui fait le forcing tout le mois d’août pour obtenir le joueur. Heinze tergiverse, se montre particulièrement mauvais durant les matches estivaux et affiche clairement sa volonté de partir en arguant que « le train ne passera pas deux fois ». Mais Graille et Halilhodzic ne veulent pas en entendre parler, et l’Argentin est sommé de rester.
S’ajoute ensuite une nouvelle déconvenue, car Halilhodzic pense — à raison — que sa meilleure disposition défensive passe par un repositionnement de Gabriel Heinze en temps qu’arrière gauche. Poste qu’il a toujours refusé d’appréhender sur la durée. Un coach qui succède à son mentor en critiquant ses méthodes, l’impossibilité de partir dans un club plus prestigieux, et un repositionnement qui ne lui plaît guère : la rancœur d’Heinze envers Halilhodzic est née. Pour se venger de ce qu’il estime être injuste, il lui en fera voir de toutes les couleurs à l’entraînement. Les observateurs de l’époque peuvent en témoigner allègrement : Heinze conteste sans cesse l’autorité de Vahid Halilhodzic et rechigne à faire les exercices imposés. Quand on lui demande de s’entraîner à frapper du pied droit, il centre du pied gauche, et vice versa. Jérôme Alonzo, qui n’est pourtant pas le garçon le plus difficile, dira même plus tard qu’à cette époque-là, il n’arrivait pas à s’entendre avec Gabriel Heinze.
Heureusement, tous ces incidents se déroulent au Camp des Loges. Sur le terrain, Heinze reste fidèle à lui-même : irréprochable. Les tacles spectaculaires sont encore de sortie et le PSG 2003/2004 fait preuve d’une culture défensive et d’un esprit de corps rarement égalés, sans que Heinze y soit étranger. Le club finit à la deuxième place du championnat, avec un nombre de points de champion. Heinze marque deux buts en championnat : l’un contre Toulouse pour son premier match après son transfert avorté, l’autre à Louis II, devant un Didier Deschamps passant son match à interpeller l’arbitre du match, Bertrand Layec, au sujet du jeu dur de l’Argentin…
Mais c’est lors d’un match anodin de coupe de France face à Troyes qu’Heinze réalise un véritable exploit : par un glacial dimanche de janvier, le PSG est mené 0-2 à domicile jusqu’à une minute de la fin. De nombreux Parisiens ont déjà déserté le Parc des Princes quand un coup-franc est octroyé aux Parisiens. Heinze le tire, lui qui n’en avait jamais tiré un jusque-là, et marque ! Le PSG est galvanisé par ce but, et finira par égaliser avant de l’emporter 3-2 en prolongations. Et Paris gagnera finalement la coupe de France quelques mois plus tard, son premier trophée depuis six longues saisons. Mais sans Gabriel Heinze, parti disputer avec Juan Pablo Sorin un match de sa sélection. Enfin, la minute de silence respectée par le Parc des Princes suite au décès de son père achève de resserrer les liens entre Heinze et le public parisien.
Au terme de cette excellente saison, le train se présente une seconde fois : après trois ans de loyaux services, Heinze est transféré à Manchester avec une belle plus-value à la clé pour le PSG. Un joueur révélé par le club de la capitale qui s’en va glaner les titres les plus importants au sein de clubs prestigieux, l’histoire aurait dû s’arrêter là.
Des déclarations un peu trop soutenues…
Pourtant, Heinze n’aura de cesse, ensuite, de vouloir maintenir l’illusion auprès des supporters parisiens, sans que personne ne lui demande quoi que ce soit. Aux JO de 2004, il gagne la médaille d’or avec l’Argentine. En passant devant le micro de Nelson Monfort, il hurle un « Allez Paris ! » qui flatte l’égo des sympathisants du PSG. Peu après son départ, il verse carrément dans la démagogie pure et dure en tapant sur un Vahid en difficulté au PSG, pendant que lui est au chaud à Manchester. « Travailler avec cette personne ne me plaisait pas et c’est pour ça que j’ai voulu partir », lance-t-il au Parisien, induisant que le coach bosnien aurait motivé son départ… Ce qui est faux, vu qu’il avait déjà tout fait pour partir en 2003, et que sa principale motivation était de rejoindre un cador européen — et il n’y a rien de déshonorant à cela. Il affirme même sans trembler à des supporters qui le supplient de revenir qu’il sera retour dès le départ du coach honni. Vahid Halilhodzic est parti en janvier 2005, et il ne semble pas qu’Heinze ait proposé ses services à ce moment-là.
Mais la plupart des amoureux du PSG n’ont que faire de cette démagogie un peu trop prononcée : il s’agit d’un joueur qui, même dans les plus grands clubs du monde, déclare que Paris est son club. Et sur le principe, cela plaît forcément. Tous les six mois, on trouve une interview dans laquelle il affirme qu’il reviendra, qu’il a passé à Paris les meilleures années de sa vie, et qu’il ne pourra jamais jouer en France ailleurs qu’à Paris. Cette passion finit tout de même par paraître trop forte pour être vraie, et les faits donnent raisons aux plus sceptiques. Avant même sa signature à l’OM, on ne peut pas dire qu’Heinze ait réellement tout fait pour revenir dans son club de cœur.
Lors de sa présidence — il en parle dans son livre —, Alain Cayzac avait sondé l’entourage du charismatique argentin pour qu’il revienne. Mais, titulaire au Real et hautement rémunéré, Heinze n’avait aucun intérêt à baisser son salaire pour rejoindre un club parisien jouant le maintien. Finalement, quand il était au PSG, Heinze avait tout fait pour en partir ; et quand il a eu l’occasion d’aider ce club, il n’a pas donné suite… Une passion pour le PSG forte dans les mots, bien moins dans les actes.
Quoi qu’il en soit, lors du dernier mercato, Heinze s’est retrouvé en difficulté à Madrid. Poussé dehors, il a pensé que le moment était bon pour rentrer au bercail, but ultime de sa campagne de séduction de cinq ans. En fait, tous ces propos sirupeux n’avaient sans doute pour but que de garder un point de chute au cas où : si Heinze n’avait pas été mis à la porte du Real, jamais il n’aurait été question de son retour. Sauf que son plan est mis à mal par une nouvelle composante : la direction du PSG n’approfondit pas la piste, considérant que l’arrivée de l’Argentin freinerait l’émergence de Mamadou Sakho [6]. Et ce refus suffit finalement à Heinze pour signer à l’OM, et décevoir les nombreux supporters dont les bas instincts avaient été flattés par tant de propos aguicheurs.
Car le problème est bien là. Des joueurs qui signent chez le « grand rival », il y en a eu un grand nombre, et certains parmi les plus grandes figures du PSG [7]. Mais la plupart n’avaient pas été à ce point extrémistes dans leurs déclarations pro-parisiennes. Pour Gabriel Heinze, il aurait bel et bien fallu s’en tenir à l’image que l’on avait de lui en 2004…
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Première partie : les Cahiers passés au crible — le journal, le site et le forum —, et leur sentiment sur la presse sportive en général.
Deuxième partie : la critique des médias, les journalistes.
Troisième partie : la médiatisation du PSG et de ses idées reçues.
Quatrième partie : le Ballon de Plomb de Bernard Mendy (dimanche).