Colony Capital scrute l’horizon, en quête du successeur de Charles Villeneuve. Un homme capable de gérer des footballeurs surpayés, et leurs agents pas toujours bien intentionnés, un dirigeant qui saurait cadrer les supporters les plus indisciplinés de France, et louvoyer entre des médias intransigeants, un budget serré, une exigence de résultats… et un statut bâtard de décideur n’ayant pas toujours les moyens financiers de décider. La perle rare. Depuis l’arrivée de Canal+, ce choix s’est déjà posé huit fois. Pour huit présidents très différents, mais qui, chacun dans leur genre, présentaient un gros défaut.
Après avoir confié le PSG à Michel Denisot durant sept ans puis à Charles Biétry durant sept mois, Canal+ change de stratégie en demandant à son directeur général chargé des finances, Laurent Perpère, de prendre la présidence-déléguée du Paris SG. Finis les anciens journalistes connaisseurs de football, le changement est radical : diplômé de Normale Sup’, énarque — inspecteur des finances —, rapporteur d’une commission sur les obstacles structurels à l’emploi, directeur d’un groupe de presse puis d’une banque d’affaires, Laurent Perpère n’a pas le profil-type du patron de foot de l’époque. Salarié de Canal+, il préside le PSG « en parallèle » de son activité de directeur général chargé de l’international et du développement.
Laurent Perpère, (presque) toujours transparent
Fin décembre 1998, Perpère arrive donc au Paris Saint-Germain avec pour mission de stabiliser le club après l’échec de Charles Biétry, et de résorber la dette du club, qui s’élève à l’époque à plusieurs centaines de millions de francs — le « colossal » déficit estimé du club en 1991, nécessitant son rachat par Canal+, était estimé à plus de 50 millions de francs.
Quelques mois seulement après son arrivée, le nouveau président-délégué du PSG vire Artur Jorge, dont le retour n’aura pas eu l’effet escompté, et demande à Philippe Bergeroo, entraîneur-adjoint arrivé avec Biétry, de prendre en main l’équipe. Au terme d’une saison médiocre — « la pire de l’ère Canal+ », dit-on à l’époque —, un recrutement judicieux — Ali Benarbia, Laurent Robert, Christian… — permet au club parisien d’envisager sereinement une saison dite « de transition », c’est-à-dire pour laquelle le titre ne sera pas l’objectif, contrairement aux saisons précédentes. Finalement, l’exercice 1999/2000 se révélera meilleur que prévu, malgré une triste défaite en finale de la coupe de la Ligue contre Gueugnon (D2), au terme de laquelle Laurent Perpère refusera de serrer la main de ses joueurs : le PSG accroche en effet la place de deuxième qualificative pour la lucrative Ligue des Champions. Jusqu’ici, tout va bien…
Mais l’accalmie est de courte durée : alors que l’effectif parisien donne satisfaction, la qualification en Ligue des Champions change la donne. Pierre Lescure, le président du groupe Canal+, décide de frapper un grand coup sur le marché des transferts. Tandis que Jamel Debbouze cartonne sur la chaîne cryptée, le recrutement du club parisien doit permettre de changer l’image du club. Cette stratégie marketing orientée « banlieue » sera le premier point commun entre les recrutements de Sylvain Distin, Peter Luccin, Stéphane Dalmat et Nicolas Anelka. Le deuxième concerne le prix payé pour ces joueurs : exorbitant ! Pour relancer l’intérêt du championnat de France, son produit-phare, Canal+ n’hésite pas à investir lourdement. Ou plutôt : à endetter lourdement le PSG pour le compte de sa maison-mère. Le club parisien creuse en effet un déficit considérable — il atteindra finalement plus de 200 M€ — auprès de ses actionnaires : 70 MF (11 M€) pour Luccin, 90 MF (14 M€) pour Dalmat, et surtout 220 MF (34 M€) pour Anelka. Lescure s’investit personnellement dans ces transferts, Perpère est relégué au rôle de faire-valoir, sans contrôle ni financier ni sportif. De son côté, le PSG souffrira des années durant de cette folie estivale : sa capacité à investir sera systématiquement limitée au motif que le club est déjà endetté, et les restrictions se feront d’autant plus sévères que la direction de Canal+ subit des turbulences [1].
Durant ces péripéties, on entendra très peu le président-délégué du PSG. Elles illustrent la passivité dont Laurent Perpère fera preuve tout au long de son parcours parisien. Car s’il ne défend pas le club auprès de son actionnaire, dont il est salarié, il en est de même pour ce qui est du domaine sportif. En 2001/2002, Luis Fernandez est attaqué de toute part : par Jean-Michel Aulas avant Lyon-PSG, par Élie Baup avant PSG-Bordeaux… Luis défend ses joueurs, seul. Et Perpère ? Aux abonnés absents. Tout juste précise-t-il après la campagne médiatique du président lyonnais les jours précédent OL-PSG [2] : « Mon idée d’un dirigeant de club n’est pas celle montrée par M. Aulas. Cette petitesse ne me convient pas. La fin immédiate ne justifie pas tous les moyens. Aulas joue avec les allumettes. » Après la mascarade PSG-Bordeaux, l’entraîneur parisien écope d’une sanction inédite : six mois de suspension ! Le président de la commission de discipline, Jacques Riolacci, avait apporté la preuve de son impartialité avant de rendre son verdict : « Je suis heureux de constater que Luis a été “visité”, touché par la grâce et qu’il est sur la voie de la rédemption. Mais cela ne changera rien à la décision d’une commission dont il a traité les membres d’archaïques et de non évolués. Si Luis représente le stade suprême de l’évolution humaine, alors je suis heureux d’en être resté au stade larvaire. » Réaction de Laurent Perpère ? « Je suis surpris qu’il paraisse déjà avoir son opinion faite [sur Luis] avant même que celui-ci ne soit entendu… » Face à une telle opposition, Riolacci a pu dormir tranquille. Et Libération de titrer le lendemain : « la Ligue un brin clémente avec Fernandez ».
Enfin, cerise sur la gâteau, Laurent Perpère est finalement sorti de sa réserve… pour désavouer son entraîneur. Alors en bisbille avec Ronaldinho, fraîchement champion du monde à qui il reproche son manque de professionnalisme, Luis Fernandez est victime d’une campagne médiatique d’une ampleur démesurée. Chaque jour ou presque, Jérôme Touboul et Karim Nedjari demandent sa tête dans L’Équipe et le Parisien. Se sentant menacé par Xavier Couture, le nouveau patron de Canal+, Laurent Perpère tente de se démarquer du coach parisien dans une interview au Monde : « Personne n’est intouchable. Si nous perdons contre Lyon, mercredi, nous aviserons. Fernandez a obtenu les joueurs qu’il souhaitait. Cet effectif de qualité est le sien. Si ces joueurs ne peuvent exprimer pleinement leur talent sur le terrain, il y a peut-être un problème de coaching. […] Nous souhaitons conserver Ronaldinho jusqu’à la fin de la saison. Son talent est indiscutable et il apporte énormément à l’équipe lorsqu’il évolue en retrait, derrière deux attaquants de pointe. Pour être clair, il me semble que, aujourd’hui, se passer des services de Fernandez serait moins préjudiciable pour l’avenir du club que de laisser partir Ronaldinho… »
Après l’avoir laissé en première ligne dans toutes les épreuves qu’il a dû affronter, Laurent Perpère est donc venu à la rescousse de Luis Fernandez… pour lui appuyer la tête sous l’eau. Tragique erreur, qui ne sauvera ni l’entraîneur — « je ne suis plus à un désaveu prêt », commente alors celui qui sera désormais en porte-à-faux dans son vestiaire [3] —, ni le président — il quittera le club avec Luis —, ni surtout le PSG. S’il est une chose qu’un président du Paris SG doit comprendre, c’est qu’il n’y a rien de bon à étaler les désaccords sur la place publique. A contrario, comme l’entraîneur protège ses joueurs, le président doit protéger le staff technique des critiques. Et surtout, a minima, ne pas en rajouter… Dans son mea culpa final, Luis Fernandez expliquera que sa relation avec les médias l’a gêné : « Je reconnais, dans mes attitudes, dans ma façon de parler, un côté excessif. Face aux médias, j’ai adopté une attitude défensive et agressive. Si le PSG était agressé, je me sentais blessé. Cette attitude m’a rongé. J’aurais dû prendre un directeur de la communication. » En montant en première ligne pour ce qui ne relève pas stricto sensu du terrain, le président a un véritable rôle à jouer.
Bien qu’il soit resté près de cinq ans à la tête du PSG, Laurent Perpère n’aura pas laissé un souvenir impérissable : considéré comme un pion de Canal+, transparent sur les dossiers majeurs, il n’a pas su gérer la crise de novembre 2002. Pressé par les médias de virer son troisième entraîneur après Jorge en 1998 et Bergeroo en 2000, il a pris la pire décision : celle de ne rien décider. En maintenant un homme qu’il désavoue publiquement, jusqu’à se prononcer sur des questions sportives — le positionnement tactique de Ronaldinho —, il a contribué à pourrir une situation qu’il aurait dû assainir. S’en est suivi une infernale série de désillusions sportives, accompagnées de grèves dans les tribunes. À Paris, l’homme fort du club doit être imperméable aux critiques, et surtout il doit savoir prendre de la distance avec les médias, cet « environnement » si particulier qui regorge de conseils avisés pour faire le doublé Ligue des Champions - championnat de France.
Comme un symbole, la présidence de Laurent Perpère se terminera sur un double échec dans des circonstances contestables, mais dans l’indifférence générale : à Auxerre, Guy Roux annule un but inscrit par le PSG, et l’arbitre expulse Luis Fernandez, coupable d’être resté sur son banc sans jouer aux émirs du Koweït. Une semaine plus tard, les deux équipes s’affrontent en finale de la coupe de France : après l’expulsion imméritée d’Hugo Leal, Paris encaisse deux buts et s’incline à la dernière seconde. Le PSG, qui avait remporté son dernier trophée six mois avant l’arrivée de Perpère à la tête du PSG, boucle sa cinquième saison blanche consécutive. Pour revoir Paris glaner un titre, il faudra attendre… la saison suivante. De son côté, Laurent Perpère attend la fin de la saison pour réagir, dans Le Monde : « La DTNA est une escroquerie, avec Michel Vautrot en grand manitou ad vitam aeternam. Les primes des arbitres ont augmenté de 30 à 40 % : c’est du professionnalisme déguisé. Tout le monde sait que tel arbitre est toujours bien noté pour qu’il puisse jouer les matches internationaux, avoir des défraiements… C’est un système mafieux. Et ce sont ces mecs là qui décident de la vie et de la mort des clubs. Quand je vois ce qui s’est passé à Auxerre, je me dis que les arbitres sont vendus. […] Il était clair que tout le monde voulait qu’Auxerre gagne la coupe de France. » Une sortie bien tardive, et très vite recadrée : « Je reconnais que les termes “mafieux” et “vendus” sont inappropriés, sortis du contexte d’une longue conversation et ils me choquent moi-même. »
Interrogé par le site des anciens élèves de l’ENS après son départ du PSG, Laurent Perpère résumera ainsi son passage à Paris : « J’ai eu notamment l’occasion de faire venir Anelka [4] puis Ronaldinho ». C’est un bon résumé…
Francis Graille, l’ami des supporters
Exit Laurent Perpère, welcome Francis Graille. L’ancien président de Lille débarque au PSG à l’été 2003 avec Vahid Halilhodzic dans ses cartons, pour reconstituer le tandem qui avait réussi au Losc. Surtout, Canal+ souhaite entamer le processus visant à se désengager du Paris Saint-Germain, qui ne fait plus partie de ses activités stratégiques… Francis Graille doit ainsi racheter 15 % des parts du club.
La saison 2003/2004 est une réussite : après un départ calamiteux — 17e après cinq journées —, le PSG termine finalement à une plus qu’honorable deuxième place à seulement trois points du leader lyonnais. En parallèle, le club remporte la coupe de France, son premier trophée depuis 1998 ! Tout semble donc réussir au président Graille, conforté dans son idée selon laquelle il est aisé de gérer le PSG, avec un peu de bon sens. Seul bémol à cette époque, il n’a toujours pas avancé sur le rachat du club.
Mais la saison suivante sera une autre histoire : Déhu, Sorin, Heinze et Fiorèse quittent le club. La saison reprend de manière très poussive : après trois défaites et quatre matches nuls, le PSG se retrouve 18e. À ces difficultés sportives s’ajoutent les problèmes liés à la nomination au poste de directeur de la sécurité de Jean-Pierre Larrue. L’ancien policier bordelais entend résoudre les principaux problèmes causés par les supporters du Paris SG. Violence, racisme ? Non : fumigènes ! Un conflit s’instaure entre les supporters parisiens et la direction du club, qui se répondent par communiqué de presse interposé. Les tribunes demandent la démission de Jean-Pierre Larrue puis de Francis Graille, et s’engagent dans une longue grève des encouragements, quitte à nuire aux résultats du club.
Plus que leurs craintes sur le recrutement, argument opportuniste utilisé pour fédérer un soutien massif, les associations et les Indépendants reprochent à Larrue sa politique répressive : il rend indispensable la présentation d’une carte d’identité pour acheter un billet en déplacement, et résilie les abonnements de supporters interpellés pour introduction de fumigènes, même si aucune charge n’est retenue contre eux. À ces mesures s’ajoutent le durcissement des accès aux locaux des associations — où elles préparent les animations —, la censure de banderoles de contestation et d’autres mesquineries qui achèvent de convaincre les ultras de la nécessité d’une action commune. Authentiks, Boulogne Boys, Gavroches, Lutèce Falco, Rangers, Tigris Mystic et Indépendants s’unissent contre l’ancien responsable du GIPN. Les protestations atteindront leur paroxysme lors du match PSG-Metz durant lequel une centaine de fumigènes, fusées et autres engins pyrotechniques seront utilisés pour d’une part afficher la détermination des supporters, et d’autre part taper au porte-feuilles, les clubs étant sanctionnés financièrement par la LFP dans de tels cas de figure. Paris écopera d’un match à huis-clos. Les supporters mécontents finalisent un dossier de presse et entament une procédure de médiation judiciaire pour montrer leur volonté de sortir de l’impasse. Leurs exigences : les départs de Larrue et Graille.
Dans le même temps, les résultats sportifs ne s’améliorent pas, et Francis Graille peine à convaincre Canal+ de la fiabilité de ses investisseurs. Son plan de rachat passe de 15 % à 34 % avec Alain Cayzac, puis à 100 % avec un nouveau tour de table. Mais Canal+ tergiverse, et Bertrand Méheut demande publiquement au président parisien d’améliorer la situation avec les supporters avant d’envisager un avenir commun. En faisant un amalgame entre l’utilisation « responsable » de fumigènes souhaitée par les ultras et les problèmes de violence ou de racisme — réels, et qu’il est indispensable de combattre [5] —, puis en sous-estimant le poids des supporters au PSG, Francis Graille a démontré son incapacité à comprendre son environnement et à prendre la mesure des spécificités rendant impossible à Paris ce qui est réalisable ailleurs. Amené à licencier son « ami de trente ans » Vahid Halilhodzic, celui qui fut correspondant de l’AFP à ses débuts s’est englué dans une situation désastreuse. Pressé par Canal+ de régler tous ces problèmes avant de négocier la vente, repoussée sine die pendant près de deux ans, Francis Graille n’a pas su rectifier le tir. La sanction tombera en fin de saison : l’actionnaire unique du club lui reproche de ne pas avoir de plan de reprise crédible, et juge qu’il n’est plus l’homme de la situation.
La deuxième saison, celle de la confirmation, est souvent la plus dure. Francis Graille, trop sûr de lui à son arrivée — multipliant comme ses prédécesseurs les avis à l’emporte-pièce, affirmant que gérer le PSG ne doit pas être si compliqué —, a payé pour apprendre. Médias, actionnaires ou encore supporters, les paramètres dont il faut tenir compte à Paris sont nombreux. L’oublier peut s’avérer fatal…
Portrait-robot du futur président du PSG
1991-1998 : les journalistes de Canal+
1998-2005 : le financier et le provincial
2005-2009 : de Canal+ à Colony Capital