Dans les compétitions sportives, quelle que soit l’épreuve et quel que soit le pays, il est de coutume que le deuxième remplace le premier au tableau d’honneur en cas de disqualification du premier. Lors des derniers Jeux olympiques de Pékin par exemple, l’Ukrainienne Lyudmila Blonska, vice-championne olympique d’heptathlon, a été contrôlée positive à un stéroïde anabolisant. Le CIO l’a immédiatement disqualifiée, puis a redistribué les médailles : l’Américaine Hyleas Foutain, initialement classée troisième, récupère la médaille d’argent et cède elle-même le bronze à la Russe Tatiana Chernova, ex-quatrième. En 1988, Ben Johnson avait cédé sa médaille d’or du 100 mètres à Carl Lewis. Il en est de même pour les épreuves par équipe : suite au dopage d’Antonio Pettigrew et Marion Jones, ce sont l’ensemble des relais américains — médaillés d’or et de bronze à Sydney en 2000 — qui ont été disqualifiés. S’il souhaite examiner les dossiers des prétendants à la redistribution des médailles, pour ne pas subir de nouveaux scandales, le CIO a d’ores et déjà annoncé par la voix de son président Jacques Rogge que « tous ceux qui sont “propres” seront médaillés ». Plus récemment, suite à l’affaire des matches truqués du Calcio, la Juventus Turin a été privée de son titre de champion d’Italie 2006. L’Inter Milan, pourtant troisième derrière la Juve et le Milan AC — également sanctionné —, compte officiellement ce titre à son palmarès. Rien de plus normal, en effet. Et pourtant…
En 1993, suite aux sanctions prononcées contre l’Olympique de Marseille, coupable de corruption lors de la 36e journée du championnat de France de football, la Ligue nationale de football — désormais connue sous le nom de Ligue de football professionnel — décide de retirer le titre à l’OM et de ne récompenser… personne. Le titre de la saison 1992/1993 est donc officiellement « non attribué ». De nombreuses raisons expliquent ce curieux oubli. Retour sur une affaire vieille de quinze ans.
Canal+ veut avant tout ménager ses abonnés
La principale explication tient à l’actionnariat du PSG en 1993. S’il est une évidence aujourd’hui que Canal+ a toujours fait passer ses intérêts avant ceux du Paris Saint-Germain — depuis le rachat du PSG lui-même jusqu’à la campagne de recrutement en 2000 —, la chaîne cryptée a longtemps tenté de faire croire que ses intérêts étaient concomitants avec ceux du club de football parisien. Ce qui n’était évidemment pas toujours le cas, cette affaire en est l’illustration. Le 20 mai 1993 a lieu le match VA-OM ; la corruption est alors rendue public, mais le pays se prépare à la fête que constitue la finale de la C1 Marseille-Milan. Onze ans avant une autre finale de coupe d’Europe qui verra L’Équipe asséner dans son éditorial « hormis quelques hooligans du PSG, qui donc, hier, dans ce pays ne souhaitait pas le succès marseillais ? », une ferveur nationale entourait donc l’équipe olympienne. Malgré la tricherie, l’OM bénéficie d’un soutien de l’opinion publique et des journalistes.
Pour ne pas froisser ses clients et nuire à son image, le groupe Canal+ décide donc que le PSG doit renoncer au titre qui lui revient de droit. Mieux, il lui sera interdit de défendre sa place en Ligue des Champions si l’OM est disqualifié — ce qui sera le cas le 6 septembre 1993.
Marseille perd son titre, personne ne le récupère
Dans l’indispensable Histoire du Paris Saint-Germain FC, de 1904 à 1998, Thierry Berthou évoque l’affaire :
Suite au déclassement de l’OM, le PSG, deuxième du classement, n’est pas couronné champion. Le titre est « non-attribué ». Au même moment, en Pologne, un scandale similaire éclate. On déclasse plusieurs clubs et le titre de champion est attribué sur tapis vert au troisième du championnat. En France, on dépossède l’OM de son titre, considérant que ce dernier avait triché et faussé le championnat, mais on n’attribue pas le titre de champion de France à son dauphin.
Les dirigeants du PSG jouent profil bas. On se demande un peu pourquoi… Côté joueurs, George Weah est pourtant l’un des plus clairs : « Je ne comprends pas grand-chose à ce genre d’affaires. Mais si cela me permet d’être champion de France, tant mieux [1]. » Les dirigeants du PSG ne demandent pas à hériter du titre de champion de France […].
PSG/OM, les meilleurs ennemis consacre un chapitre au scandale OM-VA. Les auteurs — Jean-François Pérès, Daniel Riolo et David Aiello — reviennent sur ce refus invraisemblable du PSG :
Le 12 juillet, la culpabilité de l’OM se précise et la presse commence déjà à évoquer les sanctions éventuelles contre le club. Si l’OM est reconnu coupable, c’est son suivant au classement, le Paris Saint-Germain, qui pourrait être sacré champion et donc prendre la place de son rival phocéen en coupe d’Europe. Au siège du club parisien, les réactions à ces simples hypothèses ne se font pas attendre. Bernard Brochand : « Si l’OM était sanctionné et que l’on vienne à nous offrir le titre de champion, nous le refuserions. » Michel Denisot : « Au cas où l’UEFA nous proposerait la Ligue des Champions, nous avons adopté une position que nous rendrons publique le moment venu. » […] Des réactions virulentes et curieuses qui tendent à justifier, contre toute logique sportive, que la disqualification du premier n’entraîne pas forcément son remplacement par son dauphin.
Ainsi la position de Denisot ne mérite-t-elle pas d’être explicitée tant que cela n’est pas vraiment indispensable. Ce le sera le 6 septembre, après que l’UEFA a annoncé l’exclusion de l’OM de la coupe d’Europe.
L’OM exclu de coupe d’Europe, l’UEFA sermonne la LNF
L’attribution du titre de champion de France n’étant un enjeu pour personne d’autre que le PSG, et celui-ci refusant de l’obtenir, le débat fera long feu à l’époque. En revanche, les motivations des dirigeants parisiens dans ce refus seront mises au grand jour par le biais d’un dommage collatéral : la désignation d’un club français pour la Ligue des Champions. Marseille n’étant pas autorisé par l’UEFA à disputer une coupe d’Europe, les instances françaises doivent désigner le club qui remplacera l’OM en C1. La question parait assez simple. Et pourtant, les palabres vont durer toute une soirée. PSG/OM, les meilleurs ennemis raconte cette désignation [2] :
Dans un premier temps, Noël Le Graët [président de la LNF], interrogé au sujet du refus parisien, avait invoqué à son retour de Zurich « l’intérêt supérieur du football français ». Dans cette affaire, le PSG va plutôt choisir l’intérêt supérieur de Canal+ et s’obstiner dans son refus. Le 8 septembre, une réunion extraordinaire est organisée au siège de la LNF. Réunion pas franchement indispensable, dont le but est de sortir un nom de club pour jouer la C1 à la place de Marseille. Les instances françaises auraient tout aussi bien pu désigner autoritairement un club. Pour Arsène Wenger, alors entraîneur de Monaco, ce rendez-vous est inutile : « Le deuxième du dernier championnat [le PSG] doit remplacer le premier. »
Le bon vouloir des uns et des autres n’aurait en effet pas dû être pris en compte. […] À 19 heures, face à Noël Le Graët et Jean Fournet-Fayard [président de la FFF], prennent place les représentants des clubs qualifiés pour les coupes d’Europe : Michel Denisot, Bernard Brochand et Pierre Lescure (PSG) ; Jean-Louis Campora (Monaco) ; Alain Afflelou (Bordeaux) ; Guy Scherrer (Nantes) ; Guy Roux et Jean-Claude Hamel (Auxerre, le club étant repêché suite à l’exclusion de l’OM). Jean-Claude Darmon, le grand argentier, est également présent. La longueur des débats — qui vont se poursuivre tard dans la nuit — est jugée aberrante par les observateurs : « Tout ce temps pour désigner un club… »
Sans surprise, l’attitude des dirigeants du PSG est inflexible. il est rapidement acquis que le PSG ne prendra pas la place de Marseille. En coulisses, il se murmure même que Canal+ aurait menacé de se retirer du PSG si on obligeait le club parisien à remplacer l’OM. Après Bernard Tapie, c’est donc au tour de Canal+ de faire du chantage. Les apprentis sorciers se retrouvent. Si les hommes du PSG font bloc, les autres participants acceptent très mal leur refus. Guy Scherrer, notamment, défend l’idée d’une participation du PSG à la C1, « une décision logique : le premier doit être remplacé par le deuxième. » Il avoue « ne pas comprendre les arguments du PSG qui, évidemment, n’ont rien à voir avec le sport. » […] Le nom de Monaco est annoncé officiellement pour remplacer l’OM. L’heure est aux explications : on oscille alors entre langue de bois, mensonge et grand-guignol, épilogue de ce que L’Équipe nomme alors « la soirée des dupes ». […] Noël Le Graët justifie les options retenues : « La coupe de France est, chez nous, une épreuve reine, et il est normal d’autoriser le PSG à la défendre. En outre, Monaco dispose de l’indice UEFA le plus élevé après l’OM. Tout est finalement logique. » La « logique » de cet argument qui se veut imparable est pourtant erronée. Monaco possède certes un indice supérieure à celui du PSG, mais inférieur à celui d’Auxerre (2,86 contre 2,68) ! […]
Au sortir de la réunion, Guy Roux est finalement le seul à dire la vérité : « Il aurait été plus logique que, sans réunion, Paris soit désigné. Mais il ne fallait pas froisser les chers abonnés d’une grande chaîne cryptée, et il ne fallait pas abîmer la carte électorale dans le sud de la France d’un futur candidat à une grande élection, voilà ! » […] Aujourd’hui, personne ne cache ses raisons et ses motivations dans cette affaire. Michel Denisot l’avoue sans détour :
C’est un souvenir difficile. La réflexion a été menée au niveau de la chaîne. Ce n’est pas une décision que j’ai prise tout seul, loin de là. […] C’était aussi, bien sûr, une stratégie de Canal+. Les abonnés du sud étaient dans la balance. C’est devenu une décision de politique d’entreprise. Pour un abonné de Canal, l’attachement à l’OM est très fort. Et puis, même la mairie de Paris ne trouvait pas bien que l’on prenne la place de Marseille. Ne pas passer pour des imposteurs était une chose importante à nos yeux.Alain Cayzac n’a pas assisté à cette réunion, mais il se souvient du dilemme : « Le PSG ne pouvait pas y aller. Cette décision est un acte responsable des dirigeants. » […] Une analyse partagée par Thierry Gilardi :
Personne ne voulait la place de l’imposteur. Mais les intérêts de Canal+ dans cette affaire étaient très clairs. La prise de position de Michel Denisot a été dictée par les intérêts de Canal+. Il en faut pas oublier que le président du Paris Saint-Germain est un salarié de Canal+. L’actionnaire du PSG, c’est Canal, et l’actionnaire a toujours raison […].Guy Roux garde de cette fameuse réunion des images très nettes :
Il faut bien le comprendre, c’était l’affaire de l’année. Devant la Ligue, c’était noir de monde. Toute la presse, tous les photographes français semblaient s’être donnés rendez-vous. Tout était démesuré. […] Personne ne voulait assumer les conséquences des déboires de Marseille. Les arguments parisiens, tout le monde les a très vite compris. Ils étaient avant tout économiques. Canal+ aurait trop souffert si le PSG avait remplacé l’OM. Le débat n’a pas existé. Leur décision était irrévocable. Selon eux, ils n’avaient pas créé ce problème et ne pouvaient pas mette en péril la maison mère. […] Personne ne peut ignorer l’importance de la chaîne dans le football. Une partie de nos fiches de paie est remplie par Canal, il ne faut pas l’oublier. Indirectement, nous sommes tous payés par Canal. Leur décision, le risque qu’ils encouraient pour certains de leurs abonnés… Cela me semble au fond tout à fait logique.
Dans son ouvrage sur le PSG, publié aux éditions Pages de Foot, Thierry Berthou confirme à son tour les motivations de Canal+, avec un élément probant à la clef :
La position de Canal+ dans le sud de la France est sans doute mise en balance par les « propriétaires » du club… Une lettre de Canal+ (signée Pierre Lescure et Charles Biétry) adressée à tous ses abonnés provençaux le montre clairement : « Cher public provençal, […] depuis 5 ans déjà, nous avons soutenu financièrement l’Olympique de Marseille à un niveau d’ailleurs bien supérieur à celui que nous avons effectué dans le PSG… »
Jacques Chirac prépare sa campagne électorale
Outre Canal+, un autre partenaire du PSG a tenu à ce que le PSG fasse profil bas pour protéger ses propres intérêts. Il s’agit du maire de Paris, Jacques Chirac, en pleine préparation des élections présidentielles de 1995 ; Annie Lhéritier, sa chef de cabinet, siège alors au Conseil d’administration du club parisien. PSG/OM, les meilleurs ennemis évoque l’intervention du futur président de la République à l’occasion du remplacement de Marseille en coupe d’Europe :
Pour Le Graët et Fournet-Fayard, la difficulté va alors être de trouver un club capable d’endosser le rôle de l’imposteur. Car, malgré la décision européenne, et l’instruction d’une affaire qui contient des éléments sérieux, la France croit majoritairement en l’innocence de l’OM. Jean-Philippe Goron travaille alors pour France Info ; il se souvient de cet immense soutien populaire : « À Valenciennes, où je couvrais l’affaire, comme dans le reste du pays, j’avais l’impression que, dans l’inconscient collectif, on était pas loin de du pain et des jeux. C’est-à-dire que l’on était prêt à tout pardonner à l’OM, tous les excès, pourvu que le club ait gagné. Cette victoire, on la voulait à n’importe quel prix. »
Selon un sondage publié le 7 septembre 1993 dans les colonnes du Parisien, 61 % des personnes interrogées estiment que l’exclusion de Marseille est injustifiée […]. Des chiffres encore plus élevés dans le sud de la France. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, 77 % des sondés s’opposent à la décision de l’UEFA. Ces chiffres sont la seule explication valable à l’intervention de Jacques Chirac à ce moment de l’affaire. Dans un entretien au club de la presse d’Europe 1, le maire de Paris donne son avis sur le dossier et sur l’identité du futur remplaçant de l’OM : « On ne doit mener que les combats pour lesquels on s’est qualifié. Le PSG a gagné la coupe de France, et il se battra dans la coupe des vainqueurs de coupes. Il n’a aucune raison de se battre dans une compétition pour laquelle il ne s’est pas qualifié. » La seule raison aurait pu être tout simplement sportive : le deuxième remplace le premier. Mais, comme le dit à l’époque Guy Roux, entraîneur d’Auxerre : « Il importait notamment de ne pas froisser les ambitions électorales dans toute une région d’un futur candidat à une échéance importante. »
Le jeu des assimilations, développé par Tapie, prend donc ici toute sa dimension. Jacques Chirac, c’est Paris, et Paris c’est le PSG. Le maire de la capitale enverra d’ailleurs une note aux dirigeants de Canal+ et du PSG en leur demandant d’adopter une position très clairement négative sur une éventuelle substitution. Attitude que le PSG avait de toute façon déjà retenue.
Un complot contre Marseille
Un dernier point mérite d’être cité à ce chapitre : le complot fomenté par Paris pour nuire à Marseille. Cette thèse, un véritable cliché, est aujourd’hui encore soutenue mordicus par nombre de supporters olympiens. Jean-Philippe Durand la résume en une phrase : « L’affaire VA-OM a jeté de l’huile sur le feu, parce que Paris est le symbole du pouvoir central et que beaucoup de supporters ont assimilé la capitale à la Ligue, à la Fédération, à toutes les institutions accusées de faire du mal à l’OM. » Cela contribue également à expliquer les craintes de Canal+ pour son image, s’il agissait d’une façon qui puisse déplaire aux Marseillais.
Pourtant, la réalité des conséquences de l’affaire OM-VA est tout autre : la LNF et la FFF ont au contraire tout fait pour protéger l’OM des sanctions imposées par les instances internationales du football, que la question du centralisme français ne doit pas empêcher de dormir ; les politiques, du gouvernement Balladur à François Mitterrand, ont d’abord soutenu l’OM durant l’été 1993 ; les médias furent particulièrement longs à réagir, encore émerveillés par la victoire marseillaise en coupe d’Europe. Une nouvelle fois, le livre PSG/OM, les meilleurs ennemis — dont est issue la citation précédente de Durand — évoque admirablement ce dossier dans le chapitre consacré à l’affaire OM-VA. Quelques extraits permettent d’en rendre compte :
À première vue, rien ne semble pourtant relier cette affaire de corruption au club parisien. Mais, par un jeu d’assimilations grossières orchestré notamment par Bernard Tapie, la rivalité PSG-OM, et au-delà Paris-Marseille, atteint alors son paroxysme et fait dangereusement vaciller l’ensemble du football français. Profitant en outre de sa position de député des Bouches-du-Rhône, Tapie transforme instantanément ce dossier en une vengeance politique, dont lui et son club seraient les victimes désignées. Totalement étranger à l’histoire, le PSG va se retrouver, bien malgré lui, impliqué au point de devenir LE rival honni de toute la métropole provençale.
À tel point que l’ethnologue Christian Bromberger affirme qu’en cet été 1993, « à Marseille, tout décision de la Fédération française de football contre l’OM apparaît comme un complot téléguidé par les puissances septentrionales, d’où l’amalgame entre le Paris Saint-Germain et les décisions de justice dans la capitale. […] Marseille n’a jamais supporté les jugements venus du pouvoir institutionnel, concentré dans la capitale. Quel que soit le fond de l’affaire, et même si M. Le Graët n’a rien d’un Parisien, les supporters marseillais n’ont pas accepté que les procédures contre le club soient parties de Paris. » De Paris au PSG, l’assimilation est facile ; elle est compréhensible. Ce qui l’est moins, en revanche, c’est de rajouter un élément à l’équation, qui donne alors : « Justice = Paris = PSG ». […]
Alors que l’UEFA n’a pas encore tranché, Tapie révèle : « Fournet-Fayard a eu la tentation, au moment de la présentation des équipes françaises en coupes d’Europe, d’inscrire le PSG à la place de l’OM. » Paris coupable d’en vouloir à Marseille, voilà une nouvelle fois l’argument massue de Bernard Tapie [3] […]
À Marseille, l’idée du complot parisien est encore vivace. Pourtant, le 13 mars 1995, dès l’ouverture du procès, Jean-Pierre Bernès avait avoué : « Il y a eu corruption sur ordre de Bernard Tapie. Tous les joueurs savaient que le match était arrangé, demandez à Deschamps ou Desailly. Aujourd’hui encore, je suis sûr que des gens croient à un complot. » […] Sur le site Internet Anti-LNF, les Marseillais ont ainsi pu réaffirmer leur rejet de tout ce qui vient de Paris. Dans une chronique parue dans le mensuel Le Foot en juillet 2003, Jocelyn Angloma s’élevait contre la demande du président Bouchet [que le titre soit finalement attribué à l’OM]. « Ce titre a été sali, il ne faut plus en parler et l’oublier. » […]
L’OM s’est vue humilié, puis expédié à l’étage inférieur. Et à sa place, au sommet du football français, s’est installé l’ennemi, le PSG de Canal+. Pour la majorité des supporters marseillais, le doute n’existe toujours pas : dans l’ombre de la Ligue et de la justice, c’est le pouvoir parisien qui a tiré les ficelles. Rachid Zéroual, des South Winners, l’un des principaux groupes de supporters de l’OM, en est persuadé. « C’était la victoire de l’argent, d’un club superficiel fondé par le show-biz sur un club populaire. Paris et ses dirigeants voulaient notre place, ils l’ont dit et répété. Alors, ils nous ont mis dans la merde. »
La fracture est profonde, et « toujours pas refermée », selon Christophe Bouchet, qui ajoute : « Pour les Marseillais, à juste titre, la sanction venait de la Ligue, donc de Paris. La perte par Marseille du rôle historique de capitale du football a été ressentie comme une profonde injustice. » Interrogé en octobre 1993 par l’hebdomadaire France Football, l’attaquant parisien David Ginola résumait ainsi ce dialogue de sourds quasiment sans issue : « Des gens influents à Marseille ont entretenu la rumeur que le PSG était à l’origine de l’affaire VA-OM. Le problème, c’est que cela s’est transformé en certitude pour les supporters de l’OM. » L’OM mal-aimé, persécuté par les diverses instances nationales et le pouvoir central parisien : l’image fonctionne encore très bien chez les supporters, comme en témoignent les nombreux forums sur Internet. Chaque décision, justifiée ou non, de la LFP envers le club y est interprété comme une volonté de nuire au club et à la ville. Écorchés vifs, les fans de l’OM ? Ils ne sont pas les seuls. […] [José Anigo] insiste sur l’identité marseillaise, qui puiserait sa force dans le supposé rejet des élites de la capitale :
C’est clair qu’avant de me sentir Français, je me sens Marseillais. […] Paris représente la capitale. C’est une force, une puissance, et comme nous, nous sommes rebelles, eh bien on est contre ! En fait, je crois qu’on est contre tout et contre rien à la fois. On est délocalisés, loin des cercles de décision, loin de Paris, alors on se sent isolés, seuls contre tous.
Cliquez-ici pour lire d’autres extraits du chapitre OM-VA, précisant les rôles respectifs de la LNF et de l’UEFA dans l’exclusion de Marseille de la coupe d’Europe 1993/1994.
Dans le même livre, les auteurs racontent qu’avant le match Marseille-Lens, le 24 juillet 1993, Tapie a interdit l’entrée aux caméras autres que celles « alliées » de TF1 et de Canal+ : « À l’issue de la rencontre, […] un caméraman de France 2 est agressé d’un coup de tête. Deux jours plus tôt, au large du golfe d’Hyères, Tapie avait jeté à la mer une caméra de France 3. » En écho à ce fait divers, voici un extrait d’une chronique du chanteur Renaud, supporter de l’OM, publiée dans Charlie-Hebdo :
Depuis quelques mois une jeune journaliste de Téléfoot, Marianne Mako, ayant eu vent de ma présence régulière chez les Winners, souhaitait m’arracher quelques mots d’interview. La semaine dernière, à l’occasion d’un match contre Auxerre, je finis par céder à son insistance et […] j’acceptai qu’elle et sa petite équipe, caméra et son, me suive pour filmer mes réactions durant tout le match. […]
Des milliers de personnes qui, dans notre dos, quittaient le stade légèrement dépités, une centaine de braillards hystériques attirés par le projo de la caméra se détachèrent alors pour venir nous entourer, d’abord en chantant leur amour pour l’OM puis leur haine pour la rivale de toujours, Paris Saint-Germain. Jusque-là ce fut bon enfant… Jusqu’à ce qu’un plus excité commence à insulter la journaliste parce que TF1 = Paris, parce que Paris = PSG, même si je suis la preuve vivante que pas forcément. En quelques secondes la foule devint furieuse, le cameraman reçut un bourre-pif, le preneur de son un caillou, Marianne Mako se fit cracher au visage par dix bons enfants et les trois se firent traiter de quelques noms d’oiseaux même pas dans le dictionnaire. Avant qu’ils ne se fassent véritablement lyncher par cette meute hystérique, nous avons tous promptement entamé un repli stratégique vers une autre sortie.
Cliquez-ici pour lire l’intégralité de la chronique de Renaud.
Pour en finir avec le titre de 1993…
Certains Marseillais tentent aujourd’hui de récrire l’histoire, en affirmant que le titre était assuré pour l’OM. Nous avons vu dans un article précédent qu’il n’en était rien, la victoire à Valenciennes ayant au contraire été décisive pour que l’OM aborde l’avant-dernière journée en favori face à son dauphin. Ainsi certains supporters estiment-ils aujourd’hui, tel le site OM Planète, que « le titre était, rappelons-le, déjà quasiment acquis avant le match VA-OM », ce qui est rigoureusement inexact [4]. Tant que le titre restera non attribué, la question se posera. Sur RMC, Éric Di Meco justifiait ainsi sa demande d’attribution du titre à l’OM par le fait que… le PSG ne l’a pas réclamé : « Que je sache, le deuxième n’a jamais revendiqué le titre car il savait très bien qu’il ne le méritait pas. » Or si le club parisien n’a rien demandé, ce n’était, on l’a vu, que pour des raisons économico-politiques.
Autre illustration de l’absurdité de cette décision bâtarde, Éric Di Meco appuie aujourd’hui sa demande sur le fait qu’aucun champion n’ait été désigné : « Et puis ce titre n’a pas été distribué, on ne le prend à personne », explique-t-il ainsi dans Le 10 Sport. « Joueurs et supporters n’attendent que ça », écrit complaisamment le quotidien régional La Provence. À l’époque où il était président, Christophe Bouchet l’avait d’ailleurs déjà demandé en 2003, avec un maximum de démagogie : « Comme Marseille, l’OM s’est heurté au centralisme. L’affaire VA-OM, c’est ça. C’est la combinaison de la Ligue, de la justice et du pouvoir politique. Et, pour le compte, il y a vraiment eu complot. Ce n’est pas une paranoïa marseillaise. » Et l’ancien pourfendeur de Bernard Tapie d’ajouter que l’attribution du titre à l’OM serait un « signe fort envers les supporters marseillais ». La FFF doit-elle sérieusement s’excuser d’avoir sanctionné les pratiques illégales de Marseille ?
… et corriger une anomalie de l’histoire
Certains épisodes de l’histoire, bien qu’inexplicablement inachevés, restent parfois en l’état des années durant. La faute à l’habitude, à l’oubli… L’attribution du titre de champion de France 1993 rentre dans cette catégorie. Depuis quinze ans, les supporters du Paris SG savent que leur club aurait dû ajouter une ligne à leur palmarès l’année précédent leur deuxième titre. À l’époque, le débat n’était pas envisageable, pour toutes les raisons que l’on vient d’évoquer. Les présidentielles de 1995 passées, la présence du groupe Canal+ à la tête du PSG empêchait toujours toute action. Une fois le club revendu, en 2006, la page était tournée depuis longtemps : depuis 1993, le Paris SG a glané un autre titre de champion, une coupe d’Europe, quatre coupes de France, trois coupes de la Ligue [5]. Réclamer si longtemps après un titre pourrait paraître dérisoire. Sans aucune contestation possible, le plus important est le titre que le club parisien remportera demain.
Mais après tout… Puisque d’aucuns n’ont pas cette gêne ; puisqu’il y aura bien, un jour, un dirigeant français suffisamment démagogique pour accéder aux demandes marseillaises [6] ; puisque, surtout, il est indiscutable que ce titre revient de droit au PSG, les seules raisons ayant empêché cela étant économiques et politiques en 1993, médiatiques aujourd’hui [7] ; alors le titre de champion de France 1992/1992 doit être officiellement rendu au Paris Saint-Germain. Car il ne s’agit pas de gagner un titre sur tapis vert aujourd’hui, mais bien de rendre enfin ce qui aurait dû revenir au PSG en 1993. Lorsqu’il s’agit de réparer une erreur, mieux vaut tard que jamais.
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