Interview réalisée vendredi 23 octobre 2009.
Première partie : les Cahiers passés au crible — le journal, le site et le forum —, et leur sentiment sur la presse sportive en général.
Deuxième partie : la critique des médias, les journalistes.
Troisième partie : la médiatisation du PSG et de ses idées reçues.
Quatrième partie : le Ballon de Plomb de Bernard Mendy.
Alors que les Cahiers du Foot s’apprêtent à rendre public le choix des nommés pour le Ballon de Plomb 2009, nous avons interrogé Jérôme Latta sur les polémiques qui ont accompagné le trophée ces dernières saisons, à commencer par son attribution à Bernard Mendy en 2006.
Le Ballon de Plomb en question
Plusieurs vainqueurs du Ballon de Plomb ont fait l’objet de contestations ces dernières années. Pensez-vous qu’il corresponde toujours à l’idée que vous en aviez à sa création ?
Oui, son principe n’a pas vraiment changé depuis 2003. Et rappelons-nous que le Ballon de Plomb a toujours donné lieu à de grands débats, au sein de la rédaction comme parmi les lecteurs. Le deuxième lauréat [Fabrice Fiorèse en 2004] avait déjà été très contesté à l’époque ! C’est peut-être même ce qui le définit le mieux, ou justifie le plus son existence : être un moteur de polémiques et de débats un peu futiles comme on les aime dans le foot.
Avez-vous envisagé de mettre un terme à cette élection ?
Non, pas sérieusement, même s’il faut bien avouer que ce n’est pas la chose la plus intelligente que nous ayons inventée (rires). Il faut aussi dire que c’est un bel outil de promotion pour les Cahiers, puisque c’est une initiative qui est beaucoup reprise dans les médias… Mais cela ne constituerait pas une raison suffisante pour continuer. Le Ballon de Plomb pose des questions par certains aspects, mais il est conforme à l’esprit satirique initial des Cahiers. Il constitue d’abord une parodie du Ballon d’Or, qui mérite plus que jamais d’être tourné en dérision, et il permet de fustiger, au travers de certains joueurs, les travers du football d’aujourd’hui, de se venger en quelque sorte de sa médiatisation excessive et de ses hypocrisies.
« Nous évitons de nommer des joueurs qui, ayant une grosse notoriété, ont trop le profil de têtes de Turc sans l’avoir véritablement justifié. »
Les Parisiens et les Marseillais étaient surreprésentés dans les premières éditions. Depuis trois ans, c’est beaucoup moins vrai [1]. S’agit-il d’une volonté délibérée de votre part ?
Non, il n’y a pas eu de politique consistant à mettre moins de joueurs du PSG ou de l’OM. Mais pour ces clubs-là, nous savons qu’il y a un risque de surreprésentation des votants parisiens et marseillais, ou antiparisiens et antimarseillais — il y a la tentation de sanctionner le club derrière le joueur —, donc nous nous posons la question. Cette saison il y a le cas Hatem Ben Arfa… Mais je vais ménager le suspens à son sujet (rires), nous allons bientôt divulguer la liste des nommés 2009. Dans le passé, nous avions écarté Dhorasoo par exemple, dont le principal tort était d’avoir tourné un film un peu intello et d’avoir été le premier joueur pro licencié par son club. Nous évitons de désigner à la « vindicte » des joueurs qui, ayant une notoriété importante, ont trop le profil de têtes de Turc sans l’avoir véritablement justifié.
Mais n’est-ce pas le cas malgré tout ? Si l’on regarde le palmarès, on retrouve surtout des joueurs du PSG ou de l’OM qui ont beaucoup fait parler, plutôt que des joueurs qui répondent aux trois critères [2].
Il est très difficile de faire le plein sur les trois critères — la mentalité du joueur telle qu’on la perçoit, ses qualités footballistiques intrinsèques et ses choix de carrière. C’est d’ailleurs de là que vient l’ambiguïté du Ballon de Plomb : selon les années, l’élément déterminant pourra être l’un ou l’autre, parfois un panachage de deux critères, mais rarement les trois en même temps. À part Francis Llacer, qui était probablement le vainqueur le plus légitime… Il y a effectivement un risque de surexposition pour les joueurs qui évoluent à Paris, Marseille ou Lyon. Plusieurs lauréats étaient d’ailleurs des vainqueurs « partagés », ayant été transférés à l’intersaison — comme Fiorèse ou Pedretti. Et y a aussi le fait que Paris et Marseille ratent peut-être plus leurs transferts que d’autres, ou en tout cas rendent plus spectaculaires ces ratages. Les choix de carrière étant un critère très important, cela joue aussi en faveur de ces candidats-là.
Prenons le cas de Bernard Mendy, qui est la raison de cet aparté sur le Ballon de Plomb…
Je m’attendais plutôt à une question sur Fiorèse (rires).
C’est peut-être une réécriture de l’histoire a posteriori connaissant la suite de sa carrière [3], mais le cas de Fiorèse nous semble moins choquant [4].
Et pourtant, Fabrice Fiorèse a été l’un des plus contestés, justement parce que, quand nous avons procédé au vote en novembre 2004, il passait pour un bon joueur. Il avait fait une très bonne saison au PSG, et devait même être en tête du classement des passes décisives. À l’époque, certains estimaient que « c’est un trop bon joueur pour être élu Ballon de Plomb ». La suite a montré qu’il a eu du mal sportivement, et probablement à cause de décisions comme celle qu’il a prise à l’intersaison 2004. Il faut d’ailleurs souligner qu’à chaque fois qu’on a pu avoir des doutes sur la légitimité des vainqueurs, il s’est avéré que la suite de leur carrière a en quelque sorte confirmé cette distinction. Aucun détenteur du Ballon de Plomb n’y a « survécu » par la suite, ou alors dans un certain anonymat, comme Pedretti.
Tout dépend de ce qu’on entend par « survivre ». Bernard Mendy n’a pas disparu de la circulation…
Non, effectivement, ce n’est pas Moussilou ou Piquionne, qui ont mené leur carrière dans une impasse.
Même à l’époque ! Le choix de carrière de Mendy en 2006, c’est simplement de rester au PSG. Et puisque sur l’aspect personnalité il n’y a pas grand chose à dire — vous écriviez vous-mêmes avoir de la tendresse pour lui —, seules ses qualités intrinsèques sont censées justifier le Ballon de Plomb qu’il a reçu en 2006. Cela nous semble très, très excessif…
Le paradoxe, c’est que Bernard Mendy est sans doute notre Ballon de Plomb préféré, justement parce que c’est celui que nous regardons avec le plus de tendresse. En fait, il y a deux façons de voir ce trophée : celle qui vient le plus spontanément à l’esprit, c’est celle d’une sanction : on « punit » un joueur qui a été arrogant, qui a fait des choix de carrière très discutables, ou qui a eu une attitude criticable sur le terrain et en dehors. L’autre version, c’est le Ballon de Plomb « tendresse » : c’est la figure du joueur un peu laborieux, un peu limité, de l’attaquant très maladroit un peu à la Matt Moussilou ou de l’arrière latéral qui n’est pas très brillant mais qui se bat, qui est capable de coups d’éclats — comme Mendy et son but extraordinaire à Athènes — et en même temps de rater ses centres ou de s’empaler dans l’adversaire avec une régularité assez impressionnante.
Pour en revenir à Mendy, ce n’est justement pas sa mentalité qui est fustigée. Il a plutôt le profil du Ballon de Plomb sympathique, du joueur qui a une certaine capacité d’autodérision, puisqu’il s’était lui-même présenté comme « le champion du monde des centres au troisième poteau ». Il a réuni autour de lui des suffrages à un moment où il incarnait à la fois le joueur peut-être un peu trop payé, les déboires du PSG — tout simplement parce qu’il y est resté un peu plus longtemps que les autres —, mais aussi le profil du footballeur limité qu’on retrouve souvent chez les arrières latéraux — c’est une catégorie un peu mésestimée chez les footballeurs, probablement à cause du caractère ingrat du poste. Cela faisait longtemps que Mendy alimentait des moqueries gentilles [5] sur son côté chien fou et maladroit — il a quand même une technique assez fruste —, donc cela a été une sorte de couronnement. Mais je ne pense pas que sa victoire ait été une punition de la part des gens qui ont voté pour lui.
« Souvent, le Ballon de Plomb n’est pas reçu de la manière dont nous l’avons conçu, en particulier pour un Bernard Mendy que nous voyons élu avec une certaine tendresse. Mais il n’y a pas d’ambiguïté dans la façon dont nous présentons les choses. »
Pensez-vous que ce côté « tendresse » corresponde à la fois aux motivations des gens qui ont voté pour lui et surtout à l’interprétation qu’en font tous ceux qui ont entendu parler de sa victoire ? Quelques jours après celle-ci, Mendy s’est fait huer par le Parc des Princes à chaque toucher de balle. Or, et même s’il a eu une histoire compliquée avec le public parisien, d’une part un tel acharnement était inédit et d’autre part rien d’autre ne pouvait expliquer un changement d’attitude si soudain des spectateurs.
Tout d’abord, je ne peux pas prétendre dire quelles étaient les intentions des 2 356 lecteurs des Cahiers qui ont voté pour lui [6]. Plusieurs critères s’entremêlent, donc personne ne sait lequel domine et si les votants l’ont choisi par vindicte antiparisienne ou parce qu’ils sont supporters parisiens, un peu excédés par la médiocrité récurrente des effectifs.
De la même manière, je suis parfaitement incapable de dire si Mendy a été sifflé ce jour-là parce qu’il a reçu le Ballon de Plomb. Il était en délicatesse avec le public parisien à cette époque-là, il n’était vraiment pas au mieux de sa forme. Alors est-ce que l’information, qui effectivement a été reprise dans les médias, a eu une influence sur les sifflets ? Peut-être, mais honnêtement, je n’en sais rien.
Ensuite, et c’est effectivement assez gênant même si nous n’en sommes pas vraiment responsables, souvent le Ballon de Plomb n’est pas reçu de la manière dont nous l’avons conçu, en particulier pour un Bernard Mendy que nous voyons élu avec une certaine affection. Il y a beaucoup de dépêches, de brèves ou de médias qui présentent le Ballon de Plomb comme l’élection du plus mauvais footballeur de l’année, ce qui est complètement faux. Les qualités intrinsèques sont l’un des critères, mais c’est pas le seul. Ce ne serait même pas dans l’esprit, parce que nous considérons le système consistant à donner des notes aux joueurs à la fois absurde et illégitime [7]. Ce qui nous gène le plus dans le Ballon de Plomb, c’est cette caricature sous la forme d’une sanction effectivement bête et méchante frappant le plus mauvais footballeur de l’année, ce qui ne devrait pas être le cas. Le Ballon de Plomb ne devrait pas être sifflé, il devrait être applaudi ! C’est aussi une consécration… (rires) Mais ce sont des effets pervers qu’on ne peut pas complètement maîtriser.
Je conçois très bien qu’on ne trouve pas légitime ce Ballon de Plomb. D’ailleurs, nous n’avons pas beaucoup voté pour lui au sein de la rédaction cette année-là — c’est même très rarement notre lauréat en interne qui est élu par les internautes. Il n’y a pas d’ambiguïté dans la façon dont nous présentons les choses, et en l’occurrence nous avions présenté la victoire de Bernard Mendy comme étant celle de ce type de footballeurs un peu laborieux, un peu anonymes, un peu maladroits, mais attachés à leur club. Pour schématiser, il y a l’archétype de l’attaquant maladroit devant le but que sont les Bakayoko, Moussilou ou Dagui Bakari et l’archétype du latéral un peu limité. C’est plus ce profil-là qui avait été « récompensé » avec Mendy.
De la même manière que le Ballon d’Or récompense le joueur dont le palmarès au cours de l’année fait l’unanimité, le Ballon de Plomb n’est-il pas condamné à désigner celui qui fait l’objet du plus de moqueries, sans autres considérations ? Par exemple, Bernard Mendy est l’une des têtes de Turc favorites de Guy Carlier — et c’est rarement un bon signe d’être d’accord avec lui…
Tout à fait, c’est très perturbant (rires). Dans la façon qu’a Guy Carlier de fustiger les uns et les autres, il n’y a aucune tendresse, très peu de talent et surtout de la méchanceté. Je ne le connaissais pas bien avant qu’il n’officie à France 2 Foot, où je l’ai trouvé sinistre. C’est un comique triste. Et c’est typiquement le genre à s’acharner sur des cibles faciles : fort avec les faibles et faible avec les forts. Bref, son acharnement sur Mendy était effectivement assez grotesque, caricatural, et il est regrettable que le Ballon de Plomb ait donné l’impression de donner raison, de ce point de vue-là, à Guy Carlier. Mais nous ne sommes responsables que de ce que nous écrivons, et en l’occurrence tout ce que nous avons écrit sur Mendy à l’occasion de son Ballon de Plomb, avant ou même après, nous l’assumons parfaitement et c’est à des années-lumière de la conception de Guy Carlier. D’ailleurs, nous n’avons jamais dit que Bernard Mendy était un mauvais footballeur, c’est plus complexe que ça.
« Nous avons une part de mauvaise conscience à cause du détournement de l’esprit du Ballon de Plomb au travers de sa médiatisation, mais les joueurs peuvent assumer ce genre de déboires. »
Même si vous avez pris des précautions dans la manière de présenter les résultats et que la responsabilité des sifflets revient avant tout aux siffleurs, ne pensez-vous pas être en partie responsable des dommages collatéraux que cela peut avoir ?
Je suis d’accord, nous avons une part de responsabilité, et je dirais même que nous avons une part de mauvaise conscience à cause de ces effets secondaires, du détournement de l’esprit du Ballon de Plomb au travers de sa médiatisation. Je ne sais pas si c’est notre vieux fond moral qui resurgit, mais quand nous cherchons des photos pour illustrer la victoire du Ballon de Plomb et que nous plongeons notre regard dans celui du vainqueur désigné, nous ressentons une pointe de culpabilité. Je me souviens d’un des tout premiers reportages sur la maman de Moussilou à Sarcelles, qui avait été diffusé à ses débuts, auquel j’ai repensé lorsqu’il a été désigné…
Mais bon, ça s’arrête là. Le Ballon de Plomb est un trophée caricatural dont la notoriété est peut-être excessive par rapport à ce qu’il devrait représenter, et surtout qui est soumis à des interprétations un peu abusives, mais on parle de footballeurs exerçant un beau métier, qui sont très bien payés, qui sont dans la lumière et qui peuvent assumer ce genre de déboires en retour. Cela ne me semble pas très grave. Par ailleurs, et cela rejoint ce que je disais sur notre dimension satirique, nous n’allons pas nous priver du plaisir de la dérision et de la caricature au prétexte que certaines personnes vont mal l’interpréter. Ce que nous écrivons est diffusé auprès d’un public averti, qui a les clefs pour prendre les choses avec distance. Si nous devions écrire en fonction de la pire interprétation qui pourrait être faite de nos propos, nous serions dans l’autocensure ou dans le politiquement ultra correct.
Vous racontiez avoir laissé un message sur le répondeur de Mendy dans le cadre d’une émission de radio. Lui aviez-vous parlé finalement ?
Non, il n’y a eu aucune suite. Nous n’avons jamais pu discuter avec un lauréat pour voir comment il le prenait. Nous avions essayé de contacter Fabrice Fiorèse et Benoît Pedretti notamment, mais ils n’avaient pas souhaité s’exprimer, selon l’expression consacrée. Nous le comprenons assez bien, parce que cela reviendrait à donner un peu plus de légitimité et de notoriété au trophée, il vaut mieux faire profil bas et faire, comme beaucoup d’autres acteurs du football, comme si les Cahiers du Foot et le Ballon de Plomb n’existaient pas. En terme de communication, c’est l’attitude la plus rationnelle. Il faudrait vraiment tomber sur un lauréat qui ait une capacité d’autodérision très rare dans le milieu pour s’exposer et dire « venez me le remettre » ou « j’accepte une interview pour parler de ma carrière ». Nous pourrions le faire rétrospectivement, j’adorerais aller interroger Pedretti, parce que je trouve son parcours intéressant — nous en avons parlé récemment, à propos du fait qu’il était systématiquement interrogé sur son manque d’ambition ou le fait qu’il n’ait pas un niveau de jeu extraordinaire parce qu’il ne quitte pas Auxerre. Nous aimerions bien aller le voir, pour parler de beaucoup de choses et entre autres de ce que ça lui a fait de recevoir le Ballon de Plomb.
Ce n’est pas évident parce que leurs conseils, leurs agents ou les responsables de la communication des clubs ne connaissent pas forcément bien les Cahiers du Foot, donc ils ne savent peut-être pas que ce serait très rentable en terme de communication de se montrer un peu grand seigneur et de dire « j’accepte le Ballon de Plomb, je m’en explique et je le prends avec le sourire ». Un peu de la manière dont, mais dans un contexte beaucoup plus consensuel, Philippe Guillard remet le Marcel d’Or à l’occasion des trophées UNFP en fin de saison. Mais on voit bien la différence : le Marcel d’Or reste quand même gentil, c’est une bonne blague, sur un geste ou deux commis sur le terrain. Le Ballon de Plomb a tendance à consacrer une saison voire une carrière… Cela dit, Stéphane Dalmat, en apprenant qu’il avait été nommé, avait dit qu’il était prêt à le recevoir, mais qu’il faudrait que nous venions le lui remettre à Sochaux. Ce qui constituait déjà en soi une grosse punition (rires).
Il ne l’a pas reçu, finalement ?
Non ! C’est typiquement le genre de candidats pour lesquels nous votons massivement au sein de la rédaction, que nous avons rêvé de voir élus. Dans le même genre, Philippe Christanval fait partie de ces joueurs souvent placés mais jamais gagnants. C’est incompréhensible (rires).
Première partie : les Cahiers passés au crible — le journal, le site et le forum —, et leur sentiment sur la presse sportive en général.
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