1/5 : son arrivée au club, les années Canal+
2/5 : ses relations avec Roche et Le Guen
3/5 : les cas Moulin et Villeneuve, les fuites
4/5 : le plan Tous PSG, les supporters
5/5 : le Parc des Princes, la marque PSG
Interview réalisée mercredi 12 janvier 2011.
La nomination de Cayzac à la présidence du PSG en 2006
« Une journée de vrai bonheur. Après, les emmerdes commencent…. »
Vous êtes supporter depuis les années 1970. En 1976 vous allez au Parc des Princes le jour de votre mariage, en 1987 vous intégrez la direction du club, vous progressez petit à petit et en 2006 vous devenez président du PSG : qu’est-ce que ça fait d’être sur le toit du monde ?
Il y a deux journées de bonheur. Pas plus. Parce qu’après les emmerdes commencent… (sourires) Sérieusement, c’est exactement ainsi que cela s’est passé : je me souviens d’une journée d’euphorie, le jour de la conférence de presse. Là, effectivement, vous êtes Johnny Hallyday — j’ai été très bien accueilli, il faut le reconnaître —, c’est une journée de vrai bonheur. Mais dès le lendemain il faut négocier la prolongation de Pedro Pauleta alors que Lyon lui faisait des propositions. Et je connais une semaine de galères, au téléphone en permanence… Donc c’est vraiment une seule journée sur le toit du monde, durant laquelle vous n’avez rien à faire. Cela ne dure jamais très longtemps, et c’est vrai pour tous les présidents.
Il y a quand même une dimension tragique dans votre présidence. L’impression que vous étiez monté si haut que désormais, chacune de vos réussites serait instantanément suivie d’un coup du sort. Il y a une malédiction, une sorte de Némésis…
Il faudrait que j’aille sur le divan ? (sourires) Je pense vraiment que la deuxième année il y a eu des erreurs de faites — j’ai pêché par optimisme —, mais honnêtement la première année… Je ne le dis pas souvent mais là, avec toutes les emmerdes qu’on a eues — beaucoup de gens disaient que le club était foutu —, je suis plutôt fier. C’est vrai que j’ai vécu des moments très difficiles, mais c’est aussi le métier. C’est tellement lié aux résultats qui s’enchaînent tous les trois jours qu’à moins d’être éloigné du club, comme parfois peuvent l’être des présidents à l’anglaise, vous n’avez jamais de période de sérénité. Quand vous avez deux jours de sérénité, c’est vraiment formidable. Le seul problème c’est que pour moi tout s’est concentré en quelques mois… Mais regardez Robin Leproux aujourd’hui : il aurait tout pour être heureux : son équipe se comporte bien, elle propose du beau jeu… Mais il y a ce problème des supporters, alors qu’il n’y est évidemment pour rien s’il y a eu ce mort.
Le recrutement, Jean-Michel Moutier et Alain Roche
Lorsque vous devenez président du PSG, vous prenez tout de suite la décision symbolique de garder Guy Lacombe, mais en revanche vous remplacez Jean-Michel Moutier par Alain Roche. Pourquoi décidez-vous de vous séparer de Moutier ?
D’abord je ne le regrette pas. Quand on est président, on a plutôt envie de travailler avec des gens qu’on apprécie, avec qui on se sent en confiance, tout simplement. Et ce qu’il a écrit après son départ me conforte dans l’idée que je n’ai pas eu tort. Je lui ai demandé un jour pourquoi il écrivait des choses très aimables sur moi, il m’a répondu : « Parce que tu m’as viré. » Alors évidemment, si on en est là… (sourires)
« Il y a des jugements très injustes sur Alain Roche. »
Pourquoi le remplacer par Roche ?
Alain Roche a été critiqué quand on ne jouait pas bien, maintenant qu’on a des très bons recrutements curieusement personne ne lui dit bravo. Quand c’est Éverton-Souza c’est Roche, mais quand ce sont Nenê et Jallet ce n’est pas lui ? Je pense qu’il y a des jugements très injustes sur Alain Roche. C’est factuel. Nous avons probablement commis ensemble des erreurs, et avec l’entraîneur, mais le recrutement depuis trois ans, ce n’est pas mal. Aujourd’hui il y a huit-neuf joueurs qui étaient là avec moi, et chaque année trois nouveaux joueurs ont renforcé l’effectif — en dehors de Kezman et peut-être Sessegnon aujourd’hui. C’est une stratégie intelligente. Et le responsable du recrutement, c’est Roche. Je ne dis pas qu’il le fait seul, loin de là, mais de même qu’il ne faisait pas seul le recrutement d’Éverton Santos et de Souza.
Mais vous nommez tout de même quelqu’un qui à l’époque n’a pas fait ses preuves dans le recrutement. La première année, ses recrues sont Frau, Diané, Baning et Traoré. Rétrospectivement, on peut se dire qu’il a fait ses dents durant votre présidence et que vous en avez pâti.
Non, parce que Diané par exemple c’est un bon recrutement. Je continue à dire que ce mec, qui tactiquement n’est peut-être pas très au point, c’était une vraie bombe — je n’arrête pas de le dire à mon copain Houllier, qui cherche des joueurs, mais il est cher, parce qu’au Qatar il gagne beaucoup d’argent. Et c’est quand même lui qui nous sauve. C’est un joueur d’un talent fou. Certes difficilement intégrable parce que un peu « désordonné » — les entraîneurs aiment bien les joueurs qui défendent, ce qui, il faut le reconnaître, n’était pas vraiment son point fort —, mais nous nous sommes bagarrés avec Lyon pour le recruter, et je n’ai aucun regret de l’avoir pris. Frau ? Très bon joueur. Peut-être pas adapté pour Paris. À la fois Lacombe et Le Guen m’ont dit : « C’est bien si vous pouvez avoir Frau. » Il faut aussi savoir que ce sont des joueurs à 3 M€, 4 M€. Et aujourd’hui si vous additionnez Lucho, Gignac et Rémy, cela fait 50 M€. Nous on avait 10 M€… Je ne suis pas sûr qu’il fallait mettre autant sur Gignac — cela ne me regarde pas —, mais si on a 50 M€ on en dépense une bonne partie sur Lisandro, si on a 10 M€ on va prendre des bons joueurs, mais qui valent un peu moins d’argent. Donc c’est bien de prendre des choses concrètes : pour moi Frau et Diané ne sont pas des erreurs.
Et Traoré ou Baning ?
Sammy Traoré est un remplaçant honnête. Le problème c’est qu’à cause des ennuis de Yepes [1] il est devenu titulaire alors qu’il n’avait pas été recruté pour cela. Et Sammy Traoré à 1,4 M€, je continue à penser que ce n’est pas idiot. Albert Baning est une erreur, mais qui n’a pas coûté cher. Continuons la liste : Grégory Bourillon ? Le Guen, qui le connaissait pour l’avoir eu à Rennes, le voulait absolument ; il était en équipe de France espoirs. À l’inverse, Marcos Cearà, c’est Alain Roche. Guillaume Hoarau, c’est nous qui l’avons pris, et Roche a eu autant d’importance que Le Guen ou moi. Vraiment, la connerie que nous avons faite, ce sont les deux Brésiliens après que Gouffran nous a fait un enfant dans le dos. Nous étions pressés, j’ai appelé la Terre entière, tout le monde m’a dit du bien de Souza — et d’ailleurs il n’était pas si mauvais —, et nous voulions absolument quelqu’un côté droit. L’erreur a été non pas de prendre Souza, mais de prendre les deux. Parce que médiatiquement il y a eu une attente particulière due au fait que deux Brésiliens arrivaient à Paris. Et nous avons sans doute un peu survendu Éverton Santos. C’est une connerie. Mais c’est autant une connerie de Le Guen et moi que de Roche. Je ne suis pas en train de dire qu’Alain Roche est parfait, mais le bon recrutement d’aujourd’hui doit lui être imputé autant que celui d’Éverton Santos.
Pour en terminer avec Alain Roche, comment expliquez-vous les déclarations de Le Guen, qui a parlé à son égard d’incompétence et d’allégeance avec le pouvoir ? [2]
C’est incompréhensible. J’espère qu’il regrette, mais comme je n’ai pas parlé avec Paul Le Guen depuis deux ans et demi, je ne peux pas savoir. Je ne comprends pas, lui qui d’habitude n’est pas violent… Je ne sais pas ce qu’il y a eu, est-ce que c’est lui, est-ce que c’est Yves Colleu — Colleu n’appréciait pas du tout Alain Roche, depuis assez longtemps. Alain Roche est quelqu’un de légitimiste. Quand on est légitimiste, on peut être accusé d’être proche du pouvoir. Mais je ne peux pas vous donner d’explications sur ces déclarations, je n’ai pas compris. Nous avons certes fait des erreurs, mais aussi des choses pas mal, regardons l’équipe d’aujourd’hui : Edel, Cearà et Hoarau sont arrivés à notre époque ; Camara montre actuellement qu’il est un bon joueur ; Clément et Luyindula ont rendu de grands services ; nous avons prolongé Armand, fait signer Sakho et Chantôme. Il y a eu quelques erreurs, mais qu’il est assez injuste d’attribuer à Alain Roche, parce qu’en général les décisions étaient très collectives. Jamais nous n’aurions pris quelqu’un si Paul Le Guen nous avait dit qu’il n’en voulait pas [3].
Ses relations avec Paul Le Guen
Vous semblez avoir été blessé par la fin de votre relation avec Paul Le Guen. Lui déclare au contraire que vos rapports ont toujours été courtois. Comment expliquez-vous cette différence de ressenti ? [4]
Je ne suis pas choqué par ce qu’il dit. Je ne lui ai jamais reproché de ne pas m’avoir soutenu, au contraire. Je suis allé le voir le lendemain de ma démission pour lui dire : « Paul, je ne te demande pas du tout de me suivre. Moi je suis bénévole, toi c’est ton boulot. Je ne souhaite pas continuer à être président parce qu’on m’impose quelqu’un que je n’ai pas choisi — c’est mon problème —, mais je comprends très bien que tu restes. » Vraiment je ne lui en veux pas du tout d’être resté.
On a l’impression que votre relation a changé après votre départ…
C’est mon livre qui a tout déclenché. C’est vrai qu’un ancien président qui reste administrateur, ce n’est pas forcément très sain, je le reconnais, surtout quand il écrit un livre. Moi je voulais redevenir simple supporter. De toutes façons je ne demande absolument rien — j’ai quatre abonnements en tribune D rouge pour mes enfants, j’aurais pu aller avec eux sans aucun problème.
Pourquoi êtes-vous resté au conseil de surveillance alors ?
Lorsque j’arrive pour mon dernier conseil, Laurent Platini [le responsable juridique du PSG] me fait signer une feuille de présence. Je lui réponds que je ne suis plus rien, que je suis juste venu dire au revoir. « C’est Bazin qui veut que vous soyez censeur », me répond-il. Et je suis resté un peu malgré moi, ne mesurant pas les conséquences. Cela montrait que je n’étais pas fâché : je pars parce que je suis en désaccord, mais ce n’est pas la guerre. Et dans mon livre, effectivement, j’ai repris une liberté de parole que je n’aurais peut-être pas dû reprendre du fait que j’étais toujours dans le giron. Pour en revenir à Le Guen, j’ai dit ce que je pensais de lui, c’est-à-dire que quand il est arrivé je pensais vraiment qu’il serait président du Paris Saint-Germain. J’aurais trouvé cela beau, parce que c’est un mec qui a une culture, qui est intelligent, un ancien joueur… Je m’imaginais vraiment lui passer le flambeau. Et j’ai dit dans le livre que je m’étais trompé, qu’il avait de très bonnes qualités d’entraîneur mais pas — pas encore, en tout cas — des qualités de manager, qui communique, s’ouvre à des profils différents de lui-même et de ceux qu’il connaît habituellement. J’ai simplement dit ce que je pensais. Mais je comprends qu’il n’ait pas apprécié.
« Il y a des gens avec qui je me fous complètement d’être fâché. Paul non. »
Notre impression en relisant Passion impossible, c’est que vous entretenez une relation d’amour avec le PSG, et qu’il y avait une sorte de dépit avec Le Guen. Qu’en pensez-vous ?
Vous ne vous trompez pas, c’est un peu cela. Honnêtement il y a des gens avec qui je me fous complètement d’être fâché. Paul non. Je comprends qu’il m’en veuille, nous sommes tous pareils : quand il y a un article sur moi avec neuf lignes sympas et une ligne pas bien, je ne lis que la ligne pas bien. Le dépit que j’ai eu, c’est le silence. Parce que ce n’est pas mon tempérament, moi je n’ai jamais boudé. Avec ma famille, avec ma femme, quand il y a un problème, je communique. Et le fait qu’il soit resté silencieux… S’il m’avait dit : « Vraiment je n’ai plus envie que l’on se parle, parce que ce que vous avez écrit ce n’est pas bien, vous êtes toujours dans le club, et vous avez dit des choses qui m’ont fait mal », j’aurais répondu : « Paul, je comprends. » Mais le fait qu’il n’y ait pas eu d’explication, que je n’ai même pas eu de réponse quand je lui ai envoyé un SMS le jour où il fait son 100e match en tant qu’entraîneur au PSG : « Bravo, tu as fait 100 matches, on en a fait quand même quelques uns de sympas ensemble. » Pas une réponse, rien. Donc le dépit, ce n’est pas la fâcherie, c’est le silence. Mais sinon, je comprends. Je tiens cependant à rappeler que j’ai également dit des choses très positives : qu’il était un bon entraîneur, que ses causeries étaient vraiment très bien faites, que c’est un mec courageux — quand nous sommes arrivés à Lens en étant derniers, il fallait quand même ne pas avoir la trouille, on connaît des entraîneurs qui ont peur, lui n’a jamais eu peur. J’ai seulement dit qu’il avait des failles, comme tout le monde. La communication, je suis désolé mais j’y allais tout seul. Quand il y avait des défaites — et il y en a eu quelques unes… —, les journalistes me demandaient d’y aller parce que lui faisait le minimum. Combien de fois lui ai-je demandé d’y aller ensemble ou de parler tous les deux dans la presse ? En plus nous avions des rapports un peu différents d’un président et d’un entraîneur classiques, nous nous connaissions depuis longtemps, nous avons tous les deux le club dans la peau… « Non président, ce n’est pas mon rôle, je ne veux pas parler, je n’ai rien à leur dire. »
Les médias et la communication
Sur les médias, on voit dans votre livre s’établir une espèce d’épuisement à répondre aux journalistes jour après jour. N’en avez-vous pas trop fait ?
J’en ai probablement trop fait, mais j’ai deux excuses : la première, c’est que nous ne gagnions pas. Sinon j’aurais été comme beaucoup de présidents : quand on gagne, on est rare, la presse dit du bien du club et de vous, vous n’apparaissez pas. Là, comme tout a été mal barré dès le premier match, j’étais sans arrêt obligé d’aller voir la presse pour dire : « Arrêtez de m’emmerder avec ce mot crise », j’avais sans arrêt besoin de défendre le club, parce que nous avons quand même eu la première année beaucoup d’emmerdes qui n’étaient pas forcément des erreurs — les tirages de maillots en début de saison par exemple, sans parler de la mort du supporter. Et la deuxième raison, c’est que j’en faisais beaucoup parce que je n’avais pas un entraîneur qui en faisait assez. Et à un moment donné j’aurais été ravi que Paul me dise : « Président, faites en un peu moins, je vais faire telles interviews. » Quand vous perdez, quand vous êtes en situation difficile, et que les journalistes n’ont personne devant eux, cela donne une impression de vide… À la fin du match de Nice, qui a scellé mon départ — c’est mon pire souvenir, pire que le match de Caen parce que nous étions chez nous et que j’ai cru à 2-1 que cela s’arrangeait —, nous allons manger nos traditionnelles pâtes avec les joueurs. Et là on vient me voir pour me dire qu’il y a 50 journalistes qui attendent. À part Paul, qui a dû leur dire quatre mots, personne n’est allé leur parler. Évidemment que j’y vais. Ils s’attendent à ce que j’annonce que je vire Le Guen ou que je démissionne. J’ai dit : « Nous avons été nuls, nous allons tout faire pour nous sauver. » Mais je suis obligé d’y aller. Pareil à Caen, qu’est-ce que vous voulez que je dise ? On perd 3-0, et là j’ai 50 mecs devant moi. Le problème c’est que l’on ne peut rien faire. Si je veux faire un effet de manche je peux dire que je vire l’entraîneur, mais avec qui on s’entraîne le lendemain matin ?
« La première année, c’est parce que je communique beaucoup qu’on s’en tire. »
D’un point de vue plus général, à partir du moment où L’Équipe ou le Parisien décident que c’est la crise, et qu’ils alimentent tous les jours leur propre crise autoproclamée, est-ce possible d’y mettre un terme avec de la communication ?
Je pense que l’on limite les dégâts. Le pire, c’est le silence. Il faut aussi reconnaître que si je râlais quand ils parlaient de crise trop tôt — quand on perd contre Lorient le premier match, je leur dit : « Attendez, je suis aussi déçu que vous, mais c’est le premier match » —, mais on ne peut pas non plus leur demander de sauter au plafond quand nous sommes quinzièmes ou que nous arrivons à Lens en étant derniers. En parlant, je n’alimente pas la crise, au contraire je l’atténue et je montre qu’il y a quand même quelqu’un à bord. Sinon il n’y a rien de pire, on a l’impression que tout va à vau-l’eau. Non je ne regrette pas. Je pense que la première année, c’est parce que je communique beaucoup qu’on s’en tire : j’appelle les supporters à l’union sacrée, j’explique, je suis là… Honnêtement les journalistes ont été plutôt corrects avec moi, même s’il n’y a pas eu de bons résultats je n’ai quand même pas été trop à plaindre, parce que comme je les « respectais » — pour employer un mot galvaudé dans le football —, comme je leur parlais, ils étaient plus enclins à être indulgents que si je les avais traité avec mépris.
1/5 : son arrivée au club, les années Canal+
2/5 : ses relations avec Roche et Le Guen
3/5 : les cas Moulin et Villeneuve, les fuites
4/5 : le plan Tous PSG, les supporters
5/5 : le Parc des Princes, la marque PSG