1/5 : son arrivée au club, les années Canal+
2/5 : ses relations avec Roche et Le Guen
3/5 : les cas Moulin et Villeneuve, les fuites
4/5 : le plan Tous PSG, les supporters
5/5 : le Parc des Princes, la marque PSG
Interview réalisée mercredi 12 janvier 2011.
L’arrivée de Michel Moulin, la démission d’Alain Cayzac
Votre démission tient-elle à la personnalité de Michel Moulin — un nom qui revient depuis longtemps —, ou à la façon dont on vous le présente ?
Il y a vraiment les deux. J’ai rendez-vous avec Sébastien Bazin après Caen-PSG. J’ai quelques idées, qui sont forcément du rafistolage à quelques journées de la fin — amener Costantini, Noah ou Houllier par exemple —, dont je suis prêt à discuter avec Bazin. Mais il ne me laisse pas commencer : « Avant de te laisser la parole, sache que nous avons pris une décision : tant que je serai actionnaire tu resteras président, mais on a décidé d’adjoindre au sportif Michel Moulin pour redonner du peps, et nous te demandons de l’annoncer toi pour bien montrer que c’est ta décision. » Je n’hésite pas une seconde, je lui réponds : « Tu ne me connais pas, je serai parti dans 20 secondes. » D’une part parce qu’un président à qui on impose quelqu’un, cela devient un président fantoche ; d’autre part parce que Michel Moulin, je n’étais pas fâché avec lui mais comme vous dites cela fait un an et demi qu’il essayait de se faire une place… J’ai pensé ce n’était pas la solution. J’ai dit à Bazin : « Nous ne sommes pas fâchés. Tu es actionnaire, tu as tous les droits. Moi je suis manager, mon droit c’est de partir. »
À votre avis, Sébastien Bazin croit-il que vous allez accepter ?
(réflexion) Oui. Il se dit : « Il aime tellement le club, il y est tellement attaché, il va accepter pour quatre matches. » Mais je le laisse à peine finir, je lui dis : « Tu plaisantes. » Et là il me répond : « Bon, je te connais un peu… » Ce n’est même pas négociable. Il fait rentrer Paul Le Guen à ce moment-là. Et que ce soit très clair, je ne lui reproche pas du tout d’être resté. Cela aurait été grand de dire : « Moi non plus je n’ai pas envie [de travailler avec Moulin], je suis solidaire de Cayzac. » Cela aurait été grand, mais cela lui aurait coûté de l’argent.
Vous aimez bien les symboles…
Oui, j’aime bien. Mais lui aurait fait un sacrifice financier de plusieurs millions de francs. Après, la grandeur a un prix…
On vous a rarement entendu sur Michel Moulin.
Pour une raison d’abord, c’est que je n’ai pas vécu cette période de l’intérieur. En ce qui me concerne, Moulin était plutôt correct, il venait me voir pour que j’assiste aux matches par exemple. Mais je n’en veux pas à Moulin : il voulait quelque chose, il l’a obtenu ; j’en veux à ceux qui ont accepté.
A-t-il servi à quelque chose selon vous ?
Je ne sais pas. Il y a une chose, c’est que nous nous sommes sauvés. Si je suis mauvais joueur, je peux dire que nous nous serions aussi bien sauvés avec moi ou avec un autre, puisque personne ne le sait… Mais ce n’est pas par faiblesse si je n’ai rien dit à propos de Moulin, c’est seulement que je n’avais pas de raison. À partir du moment où l’actionnaire ne me fait plus confiance, c’est à lui que je signifie mon mécontentement en m’en allant. Après, que chacun joue sa carte, que Moulin essaie de venir, c’est légitime. Et puis j’étais très supporter du club, je n’étais vraiment pas obsédé par Michel Moulin. Honnêtement je souhaitais le maintien par amour du club, mais aussi par orgueil personnel : si nous étions descendus, on n’aurait pas dit que c’est la défaite de Moulin, on aurait dit : « C’est Cayzac. »
Le plan d’Alain Cayzac, le bilan de sa présidence
Vous en parliez tout à l’heure, vous avez posé durant votre présidence la base de la situation actuelle : vous disiez que le PSG jouerait le titre en 2011 avec la stratégie des trois tiers [1]. Nous y sommes, non ?
J’ai peur de le dire moi, mais effectivement j’avais annoncé qu’il nous fallait quatre ans. C’était le plan. Quand je suis arrivé, je n’avais pas une mauvaise équipe — j’ai même pensé qu’elle était meilleure qu’elle n’était après qu’on a eu gagné la coupe de France. C’était là une erreur. Mais deux ans après, à la fin de mon mandat, il n’y avait plus que 3 pros sur les 31 du départ : Armand, Rothen et Mendy. C’était cela la reconstruction. Ce n’est pas que je voulais à tout prix virer tout le monde, mais certains joueurs arrivaient en fin de parcours ou ne s’étaient pas adaptés au Paris Saint-Germain — Kalou, Rozehnal, Pauleta, Yepes, Dhorasoo —, et ne pouvaient pas aider à bâtir l’avenir. J’avais parié sur Armand — un très bon joueur, qui a de l’expérience, j’ai toujours pensé qu’il fallait des joueurs comme cela dans l’équipe — et Rothen ; Mendy n’était pas suffisamment aimé du public, c’était difficile. Ensuite, l’idée était d’avoir un socle de jeunes auxquels nous croyions beaucoup comme Sakho ou Chantôme. Il y en avait d’autres auxquels nous croyions avec Paul, mais qui n’étaient pas encore mûrs. J’aurais probablement gardé Mulumbu aussi. Ensuite, avec au cours des deux trois années suivantes un recrutement raisonnable — dans la mesure où nous n’avions pas d’argent — mais tenant compte des erreurs du passé, je pensais que cela suffirait. Et apparemment c’est ce qui se passe. C’est ce qui a été fait, et bien fait ; là je tire un coup de chapeau aux différents présidents qui m’ont succédé. Makelele et Giuly, que je n’avais pas recruté tellement on me parlait de la masse salariale, c’est quand même un succès. Kezman, cela arrive qu’un joueur ne s’adapte pas. Sessegnon c’est spécial, mais il a de grandes qualités. En 2009 il y a eu Coupet, Jallet et Erding : bon recrutement, indiscutable. Cette année : Tiéné, Nenê et Bodmer, c’est plus que bien. Donc il s’avère que le plan — ne parlons pas de Cayzac, parlons de Colony Capital, qui est très critiqué —, le plan de reconstruction du club sans mettre trop d’argent, peut être une réussite. Nous verrons à la fin de l’année. La bonne idée aurait peut-être été de faire différemment, de mettre plus d’argent au départ… Probablement. Cela aurait été en tout cas une idée possible : au lieu de mettre 15 M€/15 M€/15 M€ ou 10 M€/10 M€/10 M€, mettre dès que je suis arrivé 30 M€ ou 40 M€. Mais au début c’est vrai que nous étions plutôt optimistes.
Vous avez notamment émis le regret de ne pas avoir demandé les 50 M€ que Blayau vous avait recommandés.
D’une part je pense qu’il avait raison, d’autre part je ne les aurais jamais eus. Parce que Colony Capital est un fonds d’investissement : il ne gère pas son argent, mais celui des autres, donc ils sont quand même prudents. Quand ils sont venus, ils sont d’ailleurs allés chercher Butler et Morgan Stanley pour partager les risques à trois. Il ne faut pas croire que c’est l’équivalent de Louis-Dreyfus ou Canal+. Si j’avais dit la première année qu’il ne fallait pas 10 M€ mais 20 M€, peut-être que je les aurais eus ; mais jamais je n’aurais eu 50 M€. Et, encore une fois, nous venions de gagner la coupe de France, nous restions sur une bonne dynamique, nous nous sommes dit que nous y arriverions avec trois ou quatre renforts qui coûteraient 10 M€-12 M€.
« À la fin de ma première année je suis peut-être aveuglé, mais j’ai aussi des raisons objectives d’y croire. »
Est-ce que le fait d’être amoureux du PSG ne vous aveugle pas ? Ne vous voyiez-vous pas forcément trop beaux parce que vous aimez ce club ?
Non. Je sais qu’on me l’a dit, mais je pense que l’on n’aime jamais assez son entreprise. Est-ce que cela s’appelle être aveuglé d’être parfois un peu optimiste ? Quand par exemple à la fin de ma première année nous jouons comme dans un rêve les deux matches du tournoi Emirates, je suis avec Arsène Wenger qui me dit : « Qu’est-ce que tu t’emmerdes à recruter… » Je ne sais pas si c’est de l’aveuglement ; c’est probablement un excès d’optimisme, mais qui était aussi entretenu par d’autres personnes. Je pensais vraiment que les jeunes allaient arriver à maturité, que les recrutements nous permettraient de progresser… Je suis peut-être aveuglé, mais j’ai aussi des raisons objectives : sur les neuf derniers matches de ma première saison, nous avons six victoires et une seule défaite ! Nous sommes quatrièmes à l’extérieur cette saison-là — il y avait comme un traumatisme au Parc après la fermeture des tribunes. Quand on gagne six fois sur neuf, et qu’on fait match nul deux fois, il y a quand même des raisons d’y croire.
- Alain Cayzac
- Photo Mathieu Genet — PSGMAG.NET
Charles Villeneuve, l’étrangleur ottoman et les fuites
Comment expliquez-vous que Charles Villeneuve vous a accusé d’être l’étrangleur ottoman à l’origine de sa démission forcée ?
C’est une erreur judiciaire totale. (sourires) Non mais à la limite je n’en ai rien à faire — il ne me serre pas la main, bon… —, mais je vais vous raconter. Un jour, alors que le club cherchait un président après l’épisode Moulin, je prenais un café avec Arsène Wenger au Murat [2], qui est un peu notre QG. Charles Villeneuve était là quand j’ai demandé à Arsène pourquoi il ne viendrait pas au PSG. Il m’a répondu : « Pourquoi pas un jour, mais tout de suite, non. » Villeneuve, je ne le connaissais pas bien, juste ses émissions. Quand son nom a été évoqué, je me suis un peu renseigné, j’ai appelé un patron de chaîne. Je me souviens n’avoir posé qu’une seule question : n’est-il pas d’extrême droite ? Il m’a répondu non. Villeneuve a des opinions à droite, mais il y en a d’autres — mon ami Brochand par exemple, personne n’est parfait (sourires). Christophe Chenut, aujourd’hui directeur général de Lacoste, qui avait travaillé avec lui quand il était le patron de L’Équipe, m’avait dit : « Il est réglo. »
Dans la mesure où j’avais un petit rôle de conseil — j’étais d’ailleurs administrateur de Colfilm, la holding actionnaire du PSG, et je le suis encore aujourd’hui —, parce que Bazin était un peu perdu, j’ai dit : « Pourquoi pas, c’est peut-être une bonne solution. ». Même s’il n’avait pas besoin de moi pour décider — il avait eu une recommandation forte de la part de Michel Derbesse, ancien directeur général délégué du groupe Bouygues —, j’aurais pu, si j’avais vraiment été convaincu, lancer : « Ne fais pas cette erreur-là », et vraiment je ne l’ai pas fait malgré l’avis plus que réservé — c’est là un euphémisme — de ses anciens collaborateurs à TF1 comme Thierry Roland et Jean-Michel Larqué. Après, durant sa présidence, cela s’est passé normalement entre nous, le contact était plutôt correct. Je trouve que Villeneuve communiquait plutôt bien, il n’y avait vraiment aucun problème. Tout le monde me prêtait des intentions de revenir, mais ce n’était pas du tout le cas. J’étais en train de me guérir de ma présidence, tout cela m’allait correctement jusqu’à ce qu’il envoie cette fameuse lettre. Et là il pense que c’est moi, un peu Simon [Tahar]… Et je n’ai jamais compris pourquoi. Je n’ai pas eu besoin d’intriguer pour qu’il s’en aille, Bazin a tout de suite jugé que c’était inacceptable, tout comme l’ensemble du conseil d’administration. Les plus silencieux ont été Simon Tahar, Charles Talar et moi-même… Et d’ailleurs nous n’avions pas le droit de vote. J’ai estimé que c’était une décision de l’actionnaire, et surtout que moi, ancien président, je n’allais pas la ramener. Je suis donc resté assez neutre. Et je ne sais pas pourquoi, il y a des journalistes qui lui ont dit que j’étais intervenu durant le week-end. Ce n’est pas vrai. Peut-être qu’il y a eu une mauvaise compréhension : le JDD m’a appelé — et j’ai peut-être parlé à tort — pour me demander : « Est-ce que Villeneuve va sauver sa tête ? » J’ai dû répondre : « Cela va être difficile. » Cela lui a été rapporté, parce qu’il a parlé du JDD. Donc il a dû penser que j’avais fait campagne, ou mis de l’huile sur le feu… Honnêtement, c’est faux.
« Les problèmes internes ? Globalement, c’est une légende. Ce qui ne l’est pas, c’est ce problème de fuites permanentes. »
Selon vous, Villeneuve a-t-il été évincé par le propos-même de la lettre ou par le fait qu’elle a été rendue publique ?
Le fait qu’elle soit rendue publique, il s’est réfugié derrière cela, mais cela n’a eu aucune importance. La lettre était déjà connue de tout le conseil d’administration — à qui il l’avait lui-même envoyée —, donc elle était de facto publique. Je ne sais toujours pas comment la presse l’a eue, mais de toutes façons Arnaud Hermant [journaliste au Parisien] a souvent toutes les infos… Et puis il n’y a jamais eu une lettre à un conseil qui soit restée complètement confidentielle. Alors au PSG…
C’est fou, non ?
En effet, c’est fou. Et là je ne peux pas dire que j’ai fait mieux que les autres : il y a des décisions que j’ai prises dans mon bureau, nous étions deux, et je les lisais le lendemain dans la presse. À un moment j’ai même fait expertiser les téléphones… Donc je ne sais pas qui a balancé la lettre, mais peu importe. Il aurait envoyé la même lettre à Bazin seul, je pense qu’ils se seraient vus, ils se seraient peut-être engueulés, mais cela se serait arrangé. Là, le fait que tout le conseil soit au courant, cela devenait impossible de recoller les morceaux. Et je pense aussi que s’il était venu quand le conseil lui a proposé de s’expliquer après PSG-Sochaux, il y aurait encore eu une chance de rapprochement. Il aurait pu dire qu’il avait fait une boulette, qu’il y avait eu un malentendu, et là pourquoi pas… Mais il n’a pas voulu venir, mal conseillé par son avocat. En tout cas, si j’avais été à l’origine de son départ, aujourd’hui je n’aurais aucun problème à le revendiquer. Au contraire je dirais avec un peu de fierté : « J’ai joué un rôle très important. » Mais pas du tout. Et puis nous n’avions aucune idée de par qui il fallait le remplacer. Certains ont parlé de plan machiavélique, quelqu’un a fait un bouquin [3] disant : « Cayzac rigolait le soir au Murat parce qu’il pensait prendre la place de Villeneuve », mais cela n’a jamais, jamais été envisagé, ni par le club ni par moi. Au contraire il fallait trouver quelqu’un, et il y avait urgence. Enfin, ce n’est pas l’épisode le plus agréable, mais pas non plus le plus important.
En dehors de l’étrangleur ottoman évoqué par Villeneuve, il est courant d’entendre des personnalités du club parler de problèmes internes. En 2009, Makelele avait estimé qu’il fallait « nettoyer le club de ses saletés ». Le Guen avait ensuite réagi en disant : « Je n’emploie pas ces mots-là, mais il y a effectivement au club des rentes de situation. » Qu’en est-il ?
Globalement c’est une légende. C’est un club très sain… Bon, c’est le seul que j’ai connu de l’intérieur, mais je ne pense pas qu’on puisse avoir un club plus familial et plus chaleureux. Il n’y a que des gens de bonne volonté. Les dirigeants historiques, je ne parle pas de moi, que ce soit Talar ou Tahar, ce ne sont pas des gens qui ont une ambition, ce sont des gens qui adorent le club, qui aiment le servir. Ils sont sensibles à un peu de reconnaissance, c’est la vie, mais pas plus. Au siège du PSG, tout est normal. J’ai assez connu d’entreprises pour constater qu’il y a ni plus ni moins de problèmes qu’ailleurs, et même plutôt moins. À un moment il y a eu la fameuse taupe, mais dans tous les clubs, dès qu’un joueur ne joue pas, il parle. Le joueur parle à son agent, qui parle à la presse… On sait comment cela se passe, cela arrive partout, et dans tous les pays. Il n’y a pas non plus de rente de situation, tous les gens qui sont là ont un vrai job : Alain Roche [directeur du recrutement], Thierry Morin [directeur du CFA], Jean-Luc Vasseur [entraîneur des U17 nationaux], Pierre Reynaud [en charge du recrutement du centre de formation] et d’autres… Parfois nous avons même dû dire à certains anciens grands joueurs, qui souhaitaient venir, que nous n’avions rien à leur proposer. David Ginola était venu me voir par exemple. Je lui ai dit, peut-être à tort : « Ce serait formidable que tu viennes, mais je ne vois pas trop quelle serait ta fonction. » Il avait raison de proposer ses services, surtout qu’en l’occurrence pour David ce n’était pas une question d’argent, mais je ne souhaitais pas que ce soit simplement un coup d’image. Quand j’ai pris Raí [4], il n’y avait aucune pression, c’est parce que j’avais envie de prendre Raí. Tout cela est en fait très normal ; ce qui ne l’est pas, c’est ce problème des fuites permanentes qui n’a jamais été résolu.
Et ensuite il y a le double jeu de la presse qui dit : « Regardez, ils sont complètement paranos, ils font vérifier les micros. »
J’ai souvent dit à Arnaud Hermant, parce que je suis aussi administrateur du groupe Amaury : « Vous m’avez vraiment emmerdé, mais je dis souvent à vos patrons qu’il faut vous augmenter. » Je ne sais pas comment il fait, mais il a tout. Et ça, c’est un problème. Encore une fois ce n’est pas essentiel — tout le monde est toujours traumatisé par les fuites alors que cela ne change pas la vie d’un club —, mais cela peut semer la zizanie. Cette fameuse lettre de Villeneuve, même si pour moi cela n’a pas été l’élément essentiel, c’est un peu curieux de la voir le lendemain dans le Parisien. Qui a pu la leur donner ? Certains ont cru confortable de nous accuser. Je me vois filer une lettre au Parisien… Et honnêtement, je n’ai aucun soupçon.
1/5 : son arrivée au club, les années Canal+
2/5 : ses relations avec Roche et Le Guen
3/5 : les cas Moulin et Villeneuve, les fuites
4/5 : le plan Tous PSG, les supporters
5/5 : le Parc des Princes, la marque PSG