Les matches qui opposent Paris à Marseille se déroulent depuis des années dans un climat délétère. Cette saison, les deux clubs abordent le dernier tiers du championnat au coude à coude. En tribunes, on devrait enfin en revenir à quelques valeurs à l’ancienne : le combat.
L’égarement dans le rejet
Depuis les années 1990, les matches opposant les deux plus grandes villes de France ont pris des allures de classiques. De l’enjeu donc de la pression. De la pression qui crée de l’attente. Une attente sur laquelle surfent les médias. Des médias qui mettent en avant l’enjeu… Le monstre était en marche. Depuis, il a évolué. Grandi, forci… et s’est encore enlaidi.
Paris – Marseille, match paradoxal pour les supporters. Place to be pour les uns, prêts à tout pour décrocher une place au Parc ; rencontre pénible pour d’autres, qui savent comment ça se passe. Les Paris – Marseille s’étaient perdus en chemin. De lutte pour le titre ils ont viré à la guerre de tribunes, puis à la foire au n’importe quoi. Tifos d’insultes géants, obscènes. Abrutis qui attendent patiemment qu’un corner soit tiré sous leur nez pour pouvoir enfin balancer la bouteille vide gardée en main depuis le début de la partie… Projections de piles, portables, sièges d’une tribune à l’autre. Supporters muets tout le reste de l’année, qui passent 90 minutes à dégueuler leur frustration, majeur tendu.
PSG – OM, c’est le match où, pour beaucoup, l’adversaire a plus d’importance que son propre club. Ceux-là mettent davantage d’énergie dans leur affirmation de vouloir entretenir des rapports sexuels sodomites avec tout ce qui passe qu’à encourager leur club. Ils préfèrent arborer une écharpe anti plutôt que pro. Et là, les deux clubs sont à égalité. Unis dans la connerie. Pas un camp mieux que l’autre.
Bouquin, porte-voix au Kop de Boulogne depuis près de vingt ans, le rappelait :
Je suis pour une rivalité entre les clubs [de Paris et Marseille], mais des chants du type Marseille, Marseille, on t’encule, je suis désolé, ce n’est pas notre chant. Ça, c’est merdique, indigne du Paris Saint-Germain et du Kop. On a un OM, OM, je te hais : qu’on le chante ! C’est quand même autre chose !
De la volonté de soutenir sa propre équipe n’est plus resté chez certains que la vulgarité, l’agression, et l’insulte. Ce ne sont pas nos valeurs. Tous, nous nous sommes égarés. D’écharpes Anti-OM en tee-shirts Pédo Sado Gay, là où chacun venait défendre ses couleurs et son club, aujourd’hui seul le rejet de l’autre a survécu. Il a même prospéré en notre sein, et au fil des saisons nous avons tous oublié pourquoi nous étions venu. Pour notre club. Nous nous sommes perdus, à trop nous focaliser sur l’autre. Le club ennemi. Lui donnant bien trop d’importance.
La L1 n’est pas un monde de Bisounours
L’hypocrite guimauve que nous sert la LFP dans ses discours a de quoi écœurer tout supporter un peu expérimenté. Il ne s’agit pas de fraterniser dans un monde de Bisounours. Nous avons franchi trop de barrières, et consenti trop de sacrifices. Les fans ne sont plus là pour apprécier un spectacle et assister passifs, mais gorgés de hot-dog et de bière sans alcool, à une partie de foot. L’investissement personnel, démesuré, a balayé cette vision du foot-marchand. Il fallait aller toujours plus loin, soutenir davantage notre club. Certains ont laissé leurs études, d’autres une petite amie en route. Tous ont sacrifié de l’argent… et trop de temps pour vivre normalement. Personne ne nous forçait, mais tous nous l’avons fait. Déplacements européens, saisons à 20, 25, 30 matches, bien plus pour certains. Une vie dans la vie. Avec un seul but, au départ du moins : aider le club.
Alors revenir en arrière, et s’asseoir sans trop faire de bruit, afin de ne pas troubler la digestion des people vautrés dans leurs loges ? Jamais. Il est trop tard.
Marseillais, Parisiens, nous ne ferons pas la paix. Comme il n’est pas question de la faire avec un Lorientais, un Messin, ou que sais-je. Même pas à cause des inimitiés, du caractère pseudo-historique de la rivalité entre supporters. Juste parce que nos valeurs nous en empêchent. Ces fameuses valeurs qui effrayent la ménagère de moins de cinquante ans, et qui nous ont quitté au fil des ans. Le combat. L’affrontement. Et la violence.
Que de gros mots… et surtout, que d’incompréhension. Les médias se sont focalisés sur les heurts, les agressions physiques. Certains ont choisi cette voie, l’ultime, pour matérialiser leur soutien à leurs couleurs, pourquoi le nier ? Il ne s’agit pourtant pas ici de faire l’apologie de ce supportérisme « à l’anglaise », mais d’admettre une réalité : oui, le comportement du supporter actif est forcément violent… mais pas toujours physiquement. Et ce n’est pas pour ça qu’il est malsain.
Allez au Parc des Princes dimanche. Deux possibilités, soit votre cœur bat Rouge et Bleu, soit il penche vers le Ciel et Blanc. Mais si vous êtes supporter, et qu’importe le camp, vous êtes animé par votre passion, et votre envie de tout faire pour aider votre équipe. Pourtant, dans un cas ou l’autre, il faudra repartir déçu. Battu.
Battu après avoir tout donné. Battu après avoir forcément espéré. Battu après des heures passées à jouer le match par avance pour le lycéen qui découvrait là le Parc. Battu après des semaines de travail sur les tifos pour les Ultras. Après des mois passés à soutenir votre équipe sur ce championnat, des années à avoir sillonné la France pour certains abonnés. Tous, battus… devant l’autre, qui lui a gagné. La voilà la violence. Celle que ne peuvent voir ceux qui méprisent l’investissement des supporters sans chercher à le comprendre. Cette violence-là, elle touche tous les supporters, un jour ou l’autre. Celle de la défaite qui marque, qui vous brise. Parce que vous avez tant fait, tant donné…
Et cette violence, certains s’en sont coupé. Parce que gagner ou perdre ne comptait pas tant que mettre la misère au supporter d’en face, balancer LA bouteille qui touchera le gardien — dernière des lâchetés —, ou agonir d’insultes la tribune adverse.
Supporter son club, c’est prendre en compte une logique d’affrontement. Il y a un vaincu. Le nier relève de la naïveté. Supporter son club, c’est aussi se préparer à ce combat contre la défaite. Parce que le vaincu souffre, et qu’il vaut mieux le savoir, et lutter pour l’éviter.
Retrouver le juste combat
Dimanche, Paris reçoit l’OM. Pour la première fois depuis 15 ans, ces clubs troqueront le costume d’ennemis héréditaires pour endosser celui d’adversaires directs. Le Paris SG compte trois points d’avance sur Marseille. Une victoire parisienne, et les Phocéens pourraient quasiment dire adieu au titre. Une défaite et ce sont les Olympiens qui relanceraient leur course à la Ligue des Champions, voire au trophée. Pendant ce temps, les autres n’attendront pas. Toulouse ne perd plus, Bordeaux va bien finir par réagir, Lille y croit de nouveau et Rennes n’est jamais aussi dangereux que lorsqu’on les oublie. Quant à Lyon, que certains voudraient déjà enterrer, ils n’en sont pas moins toujours en tête…
Le sport, le classement, la victoire revêtent une importance capitale. Insulter le supporter adverse, chercher à lui nuire directement, ou à le blesser tant physiquement que moralement n’aura pas de sens. Dimanche, d’un côté comme de l’autre, c’est la victoire qu’il faudra quérir.
Oh, certains ne le comprendront pas. Les vieux réflexes ne sont pas si faciles à lâcher, surtout quand ils flattent ce qu’il y a de plus bas. Ils passeront leur match tournés vers la tribune d’en face, à mimer un acte sexuel qui ne reflète finalement que leur propre nature de frustrés. Ils trouveront même d’autres abrutis pour leur répondre, pas d’inquiétude à avoir de ce côté-là.
Mais à quoi servent-ils ? En quoi aident-ils les joueurs, ou leur club ?
La réponse viendra du terrain. Pour ce match, il ne faudra pas se tromper de combat, se disperser en de vaines provocations. Seule la vérité du tableau d’affichage importera. Boat People, ancien président et capo des Supras, le rappelait dans un discours à Auteuil l’an passé, en pleine crise :
Si je savais comment aider ces joueurs à gagner, je le ferais, quitte à me couper un bras.
La lutte pour le maintien est finie. C’est désormais le titre qu’il faut aller chercher. La question demeure : qui sait quoi faire pour aider ses joueurs à gagner ? Personne ne peut assurer qu’en chantant assez fort, son équipe emportera la décision… Mais si nous ne le faisons pas ? Qui pourra se regarder dans une glace s’il n’a pas donné 100 % dimanche soir ? Qui pourra rentrer chez lui sereinement si, sur un but adverse, il préférait adresser des doigts à une tribune qui ne devrait rien en avoir à faire, plutôt que d’encourager son défenseur à fournir le dernier effort, et arracher le ballon ?
Dimanche, Paris et Marseille iront au feu. Avec lucidité, envie, peur aussi, peut-être, pour certains. Dimanche, en tribunes, il faudra se dépouiller et fournir ce supplément d’âme, cette étincelle qui peut faire que… Dimanche, il faudra puiser loin, et garder à l’esprit ce que nous pouvons conquérir. Trouver la dose d’agressivité, de folie, se faire violence aussi pour se surpasser et vivre ce pourquoi nous sommes devenus supporters. Dimanche, Parisiens et Marseillais vont se livrer bataille. À la voix. Et pour la première fois depuis quinze ans, le mobile ne sera peut-être pas le ressentiment envers l’autre club.
Dimanche, chacun va livrer un juste combat. Il va falloir le gagner. Par amour pour le Paris Saint-Germain. Car rien d’autre ne compte.
Ensemble nous sommes invincibles…