Les dieux sont parfois cruels. Ils jouent avec nous. Ils tirent les ficelles, soufflent dans certaines voiles ou ferment quelques routes. Nous les amusons. Ils nous consacrent du temps. Et ne s’arrêteront qu’une fois le jouet brisé. Inutilisable. Ce qui, à les en croire, ne devrait guère tarder.
Le châtiment divin
Ils croient nous avoir tout pris. Pierre après pierre, sans qu’on n’y prête d’abord attention. Ceux qui ont arrêté de siffler les obstructions sur Nenê. Ça a commencé comme ça, peut-être. Puis ce furent les accrochages légers qu’ils n’ont plus vus. Les yeux opportunément clos par quelques idées reçues. Nenê en rajoute. Des petites fautes de rien qui se perdaient, pas assez pour changer l’issue d’un match. Juste ce qu’il faut pour agacer un joueur, l’amener à râler, à ressasser ce qu’il sait injuste. Et chaque match un peu plus. Chaque choc un peu plus. Chaque insulte un peu plus. Nenê plonge, chuchotaient sans fin les dieux. L’humiliation s’est incrustée, lente, graisseuse. Ils lui ont pris sa concentration, d’abord. Et chaque fois que Nenê se plaignait, c’était un dribble de moins. Ils lui ont gommé sa liberté, sa folie. Plus de six mois après l’attaque de Diawara, les choses sont claires. Désormais on ne siffle plus sur Nenê. Et il ne reste plus personne pour s’en étonner. Ils lui ont volé la magie qu’il avait en lui. Ils lui ont pris sa confiance. Les dieux croient nous avoir tout pris.
Ceux que Jupiter veut perdre, il les rend fous. Ceux qui ont endormi le Parc, qui l’ont à demi vidé de son sang aussi. Ils ont empêché l’union, d’abord. Mis un couvercle sur le bouillonnement de ces tribunes qui insufflait la vie aux matches à domicile du PSG. Ça ne s’est pas fait d’un coup, il n’a pas suffi d’un décret. Ils ne sont pas où on pourrait le croire. Chaque nouvelle décision creusait le fossé, en toute conscience. Ils nous ont volé notre Parc. Comme un cancer, la maladie est venue de ces cellules censées organiser le PSG. Bloquant chaque espoir d’un renouveau. Gagnant tout le Parc, c’est le corps lui-même qui s’est empoisonné. Le silence s’est incrusté rencontre après rencontre, il a conquis son royaume avec la patience de celui qui sait que le temps porte ses couleurs. Ils ont détruit notre maison. Les dieux croient nous avoir tout pris.
Une inspiration céleste a soufflé une idée. Elle est tombée dans l’oreille de ceux qui nous ont échangé la vitesse de nos joueurs contre quelques rencontres insipides. Ça a commencé par une coupe en plastique, que le PSG a eu la mauvaise idée de remporter plusieurs fois. Nous lui avons offert sa dignité, à ce trophée. Son existence, il nous la doit. Mais en échange de sa crédibilité, cette coupe nous a retiré la force. Le jaillissement. Puis ça a été la Ligue Permafrost. Coupe d’Europe des clubs congelés, sans aéroport, sans spectateur, sans fin, sans repos. Tout ça pour récupérer, après chaque nouveau déplacement, des joueurs sans vie. Et disputer ensuite des matches sans victoire. Il a fallu composer, gérer au mieux un effectif amaigri, épuisé, jusqu’à ce qu’ils nous prennent Jallet pendant 70 minutes. Plus de lucidité, plus de joie, plus d’énergie pour renverser ces matches que le PSG tordait à la force de son poignet l’automne dernier. Multipliant les compétitions, ils ont divisé nos chances de briller dans une seule. Les dieux croient nous avoir tout pris.
Après la défaite à Bordeaux, l’Olympe doit résonner de leurs rires. Présomptueux Parisiens, croyons-nous vraiment pouvoir remporter un match en terres girondines ? Le PSG n’y gagne jamais ! Se laisser humilier par Sochaux, perdre 4-0 dans son propre stade, y laisser fierté, honneur, qu’importe ! Là-bas, seule une victoire contre le PSG décide si leur saison est ratée ou réussie. Repus de la fange dans laquelle ils s’étaient consciencieusement oubliés pendant des mois, les Bordelais ont sauvé leur inutile saison en empêchant le Paris Saint-Germain de passer devant Lyon. L’espoir d’accéder au podium et de ne plus le lâcher, ils nous l’ont agité sous le nez puis escamoté dans un match sans cadre, sans repère. Encore une fois, l’espoir de faire la course en tête nous a été retiré. L’espoir de faire passer la peur dans le camp lyonnais, ils nous l’ont pris, encore. Les dieux croient nous avoir tout pris.
À l’échelle d’une saison, le piège est délicieux. Comment ne pas s’y noyer ? Ouvrir la porte en grand eut été trop grossier. L’entrebâiller, nous laisser y coincer le pied, nous donner à croire que c’est nous qui forcions le destin, que nous pourrions y arriver en dépit de tout, là c’était génial. Souffler le chaud et le froid, nous maintenir juste en deçà d’une position de confort, pour que jamais nous ne puissions nous interroger, puis refermer le coffre à jouets avant de se délecter du spectacle. Les dieux croient nous avoir tout pris.
Ils se trompent.
Un oubli. Le plan était parfait parce qu’imprévisible à l’échelle humaine. Parfait parce que d’un autre niveau. Et c’est justement ce qui peut le perdre. Un divin petit oubli. Le PSG n’est pas parfait, justement. Encore moins divin. Il est humain.
L’étincelle PSG
Incapables de passer la vitesse supérieure face à une équipe bordelaise d’une faiblesse totale, les joueurs parisiens ne sont pas parfaits. Ils sont humains. Détruits, éparpillés, humiliés parfois aussi, les supporters du PSG ne sont pas parfaits. Ils sont bourrés de défauts, d’incohérences, et tout ce qu’il y a de plus humains. La folie. L’humanité. Les dieux ont oublié la folie. Cette toute petite étincelle que le PSG cache en lui. Cette lumière qui ne brille que lorsqu’il ne faudrait pas, ou lorsque plus personne n’y croit.
Cette folie a pu enflammer le Parc et renverser des montagnes. Madrid. Bucarest. Twente. Lille ? Il y a une chance sur mille que cette lumière éblouisse le Parc, samedi. Peut-être moins. Les Nordistes voudront tuer le championnat, enfin. C’est le titre qu’ils viendront chercher sur le terrain de la bête malade. Chez nous. Ils nous ont battu il y a une semaine. Ils ont goûté notre sang. Ils se croient plus forts. Plus rapides. Plus confiants. Et sans doute le sont-ils. Mais le PSG n’est pas encore mort.
Les dieux nous ont laissés à peine vivants, à deux points de Lyon. L’agonie est plus amusante que le trépas. Nous abandonner si près du rêve, quelle ironie ! C’est peut-être leur plus grosse erreur. Nous sommes trop près du but. C’est encore possible. Même avec un demi souffle d’air dans les poumons.
Oui, peut-être une chance sur mille, tant l’adversité parisienne n’a rien de comparable à celle de Lyon. Une chance sur mille de ne pas finir en pleurs, et avec des regrets comme seules armes pour combattre l’avenir. Une chance sur mille de ne pas recevoir en plein visage la victoire lilloise, le supplice absolu. Une chance sur mille de ne pas vivre la malédiction prévue.
Cette chance, quel Parisien accepterait de ne pas la jouer ? À quoi bon se dire supporter, si c’est pour refuser de la tenter, cette chance ? Quel amoureux du PSG pourrait tourner le dos à cette étincelle qui rend son club différent de tous les autres ?
Tenez-là au creux de votre main. Si petite, elle ne vous brûlera pas. Elle n’a l’air de rien. Regardez-là de plus près. Seule, elle ne sert à rien. Soufflez dessus lentement. Cultivez-là. Peut-être grandira-t-elle. Cette étincelle, c’est nous. Nous sommes les Parisiens. Et nous chantons en chœur. Nous sommes les Parisiens. Fidèles à nos couleurs.
Les dieux croient nous avoir tout pris. Voyons cela.