Interview réalisée mercredi 6 avril 2011.
L’excellent début de saison 2000/2001
À la fin de la saison précédente, Pierre Ducrocq était international A’, et on parlait de lui à la Juventus. Finalement il est rentré dans le rang…
En 2000/2001 il ne jouait presque plus, mais c’est quand même avec moi qu’il a le plus joué. Pierre était très bon quand, un peu comme Pascal Despeyroux à Toulouse, il était chargé de récupérer le ballon et de le donner de suite. Quand il a commencé à vouloir le trimballer partout, distribuer sur les côtés… Non, ce n’était pas son jeu.
Le PSG réalise un excellent début de saison — notamment à domicile, avec 9 victoires consécutives —, grâce entre autres à Laurent Robert, qui inscrit 10 buts en 12 matches.
Laurent jouait à l’intuition. Il était capable de faire des choses extraordinaires, et d’autres un peu moins bonnes. Il était en pleine confiance. À chaque fois qu’il frappait, il marquait. Je me souviens de ses buts… Il était ingérable ! (sourires) Quand il avait la créativité, c’était exceptionnel. Nous avions travaillé une situation de coups francs sur le plan tactique avant d’affronter Montpellier. Aux 30 mètres, il pose le ballon, il marque. Il va sur le banc et me dit : « Ce n’est pas la peine de travailler coach. »
Fin octobre, Paris se qualifie pour le deuxième tour de la Ligue des champions en battant Rosenborg 7-2. L’équipe était-elle en surrégime, ou ce match reflète-t-il son véritable niveau ?
Nous avions perdu 3-1 au match aller en Norvège. En conférence de presse, après la rencontre, l’entraîneur avait chambré. Tous les journalistes avaient éclaté de rire, et le traducteur n’avait pas voulu traduire. Cela donnait une motivation supplémentaire… Il nous fallait gagner par deux buts d’écart. L’équipe avait énormément confiance en elle. Nous avions réussi à faire passer cette confiance, à tous les niveaux.
PSG-Rosenborg marque aussi la fin du bon début de saison — Paris enchaînera ensuite cinq défaites et un match nul en championnat, dégringolant de la première à la douzième place au classement. Pensez-vous qu’il y a eu un relâchement après ce match ?
Non, pas du tout. J’ai toujours donné des coups de maillet quand il fallait remettre les choses en place. Et c’est un groupe qui n’a jamais manqué d’humilité, cela se percevait dans les discours, dans le choix des mots.
- Philippe Bergeroo
- Photo PSGMAG.NET
Comment le PSG s’est écroulé en quelques semaines
Nous avons eu le sentiment que la fatigue mentale engendrée par la répétition des matches, tous les trois jours, était un vrai sujet de préoccupation pour vous à l’époque.
Oui, les joueurs étaient terriblement sollicités. Moi aussi, j’avais trois conférences de presse par semaine. J’avais toujours des médias, et au bout d’un moment il fallait protéger l’équipe. Après Rosenborg il y avait des soirées à gauche, à droite… Cela commençait à ne pas me plaire.
Aviez-vous constaté d’autres signes annonciateurs des difficultés que vous avez eu à gérer par la suite ?
Étant qualifiés en Ligue des champions, il nous fallait un effectif beaucoup plus important que la saison précédente, et j’avais des choix stratégiques à faire suivant les matches. Je vous donne un exemple : nous enchaînons Toulouse puis Rosenborg. À Toulouse je mets sur le banc de touche Jay-Jay Okocha et Nico [Anelka], et dans le vestiaire avant le match j’entends des gars que j’ai alignés ce soir-là : « De toute façon nous on ne joue que les matches amicaux. » Le TFC marque deux buts en vingt minutes, et mène 2-1 à la mi-temps. Je suis obligé de virer les mecs pour faire rentrer Okocha et Anelka, et nous gagnons finalement 2-3 [1]. Les difficultés ont déjà commencé là : le premier problème que j’ai eu, c’est un problème de concurrence. Alors qu’en Ligue des champions je me suis battu pour ces mecs-là. Il y avait 16 primes. Moi je demandais 18 primes pour l’effectif. J’essayais de faire au mieux. Lors du déplacement sur le terrain de Rosenborg, nous avions perdu (3-1), et à la fin du match un remplaçant me dit : « Tes primes tu peux te le garder, je préfère rester chez moi. » Quand on sait le montant des primes… Surtout qu’il y avait six matches [durant la première phase de groupes], puis avec la qualification il y avait tout le reste des primes qui tombait. Là je me suis dit que nous filions un mauvais coton. Ce sont des choses qui m’ont marqué.
Rentrons dans le vif du sujet. Tout serait parti d’un joueur qui aurait monté le reste de l’effectif contre vous pour des motifs personnels — on parle notamment d’une mise au vert durant laquelle il aurait fait venir sa femme —, ce qui aurait entraîné une série de blessures diplomatiques et, pour finir, la fameuse défaite 5-1 à Sedan. Est-ce bien ainsi que les choses se sont passées ?
Oui. La saison précédente, la presse m’avait prévenu : « Philippe, nous voyons un joueur à Paris les veilles de match. » Je réponds aux journalistes : « Vous vous trompez ; vous voulez casser mon équipe. » Eux me disent : « Non, je t’assure. » Moi je ne crois pas cette histoire. Et un jour, avant PSG-Montpellier [en mai 2000], Jean-Luc Lamarche [directeur sportif du PSG] me dit : « Philippe, ma fille est à Paris, il y a un de tes joueurs qui est à Paris. » Je lui réponds : « Ce n’est pas vrai, nous sommes au vert ! » Je suis naïf, n’est-ce pas ? Il y avait un joueur qui faisait venir un taxi la veille du match à 23 heures, et qui rentrait le lendemain à 6 heures du matin. Ce joueur-là est venu me voir le lendemain matin pour discuter. Je lui ai dit : « Tu dégages ! » Il me demande pourquoi, je lui réponds : « Cela fait je ne sais combien de temps que tu me trompes. Vite vite, prends ton taxi. Sinon je vais être le premier entraîneur à dégainer un joueur. » Il est parti. Ensuite, tous les joueurs viennent me voir : « Coach, ne faites pas cela, c’est un joueur important, on risque de perdre le match. » Le président m’appelle : « Ne faites pas cela Philippe. » Je ne peux pas me permettre de faire autrement. Vis-à-vis du club, de ma responsabilité, des supporters… Voilà comment tout est parti. Je n’ai jamais pu en parler, parce que cela fait partie de la vie privée du groupe. Ensuite, il y a ce que vous avez évoqué : à Munich [en octobre 2000], il y avait du monde dans les chambres. Je ne pouvais pas l’accepter, donc je l’ai mis de côté. Et là, avec un petit groupe de joueurs…
Il est resté au club jusqu’à l’incident de Munich, et c’est là que tout a explosé ?
Oui, nous n’avons pas pu le vendre à l’intersaison. Il ne voulait pas partir.
Après il y a eu le match de Rennes. Notre avant-centre se présente cinq fois devant Bernard Lama, mais il ne peut pas marquer… Ensuite il y a Sedan… J’ai lu votre interview d’Alain Cayzac : il dit que je suis quelqu’un d’honnête, mais que j’ai mal compris la situation, parce qu’il n’était pas question qu’il me vire. Je vais répondre, gentiment : la veille du match à Sedan, un de ses meilleurs amis m’a appelé pour me dire que si je perdais j’allais être viré. Voilà. Mais Alain Cayzac est honnête lui aussi, et c’est quelqu’un que j’adore. D’ailleurs en règle générale je n’ai aucune agressivité, contre personne. Je ne pensais pas rester aussi longtemps. Le Paris Saint-Germain m’a permis de vivre des moments extraordinaires. Déjà j’étais entraîneur des gardiens, donc tout le monde se disait : « Il ne doit pas savoir coacher une équipe. » Cela m’a permis de battre l’OM, cela faisait dix ans qu’ils n’avaient pas gagné — le bémol c’est quand je me rends vers Marseille, mais je ne vais pas trop là-bas (sourires) —, et surtout de jouer la Ligue des champions avec le Paris Saint-Germain, de battre le Bayern au Parc… Je n’aurais jamais vécu tout cela si je n’avais pas été à Paris. Notre bilan en Ligue des champions est de trois victoires à domicile, un match nul et deux défaites. Avec le recul, ce n’est que du bonheur, même si l’aventure s’est mal terminée à cause de ces histoires. Et puis je pense aussi que deux ans à la tête d’un club c’est énorme ; la vie des entraîneurs, c’est un an et demi. Est-ce que de mon côté il n’aurait pas fallu que je prenne un peu de recul avec le terrain ? C’est la question que je me suis posée.
Que vous soyez moins présents lors des entraînements ?
Que je ne les fasse pas du tout. Or là c’est moi qui faisais tout, parce que j’aimais cela. Je pense qu’au bout de deux ans, les mecs… Peut-être aurait-il fallu que je me mette un peu sur le côté du terrain, comme je le fais en sélection aujourd’hui : c’est mon adjoint qui fait la séance, je n’interviens que si quelque chose ne va pas.
Avez-vous parlé aux joueurs après le match ?
Oui, je suis rentré dans le vestiaire, et je leur ai dit : « L’histoire est finie. Ceux qui m’ont lâché, un jour ou l’autre ils le payeront. Je vous demande simplement de penser au club. Tout n’est pas perdu, vous n’êtes pas loin en championnat, et vous êtes qualifiés pour le deuxième tour de la Ligue des champions. Pensez au club ! » Je suis parti, j’ai fait une conférence de presse. Cela a été un moment émouvant. Tu arrives là, et tout le monde sait que tu es viré. Je leur demande : « Vous avez des questions ? » Ils posent les stylos et répondent : « Non Philippe, nous n’avons aucune question à te poser. » J’ai dit : « J’ai fait le job jusqu’au bout. Vous avez vu ce qui s’est passé, il y en a qui le payeront, mais qu’ils pensent avant tout au club, parce que c’est un très bon club. » Et c’est vrai que c’est un club que j’aime. Ensuite je vais au Camp des Loges pour récupérer mes affaires — je ne voulais pas revenir le lendemain parce que je savais qu’il y allait avoir la presse, cela aurait été un enterrement de première —, et je vois quatre voitures arriver : quelques uns des mecs qui m’ont lâché.
Comment des joueurs peuvent-ils en arriver à un tel comportement ?
Ils ne jouent pas, ils ne peuvent pas vendre leur image… Pour certains joueurs, je n’étais pas ce qu’ils attendaient de moi, je le comprends. Quand je ne faisais pas jouer certains, j’avais des appels d’agents et des menaces. Un jour, je reçois un coup de téléphone : « Vous ne faites pas jouer Untel. Soit vous l’augmentez, soit demain il vous met le bordel à l’entraînement. » Je raccroche. Le lendemain, j’ai une bagarre à l’entraînement… C’est quelqu’un qui ne jouait pas beaucoup, qui était un peu en train de perdre sa carrière…
Ce raisonnement est valable pour les remplaçants, mais vous avez également été lâché par des titulaires.
Ils se sont laissés entraîner par quelques uns. C’est juste du suivisme…
Vous avez croisé à Clairefontaine l’un des titulaires qui vont ont lâché, quand il est venu passer ses diplômes d’entraîneur. Pouvez-vous nous raconter ?
Déjà c’est un joueur qui n’a pas de chance : il tombe sur moi à l’oral. Donc c’est compliqué : il tremble, il transpire… (sourires) Il se dit : « Il va me tuer. » Et je ne l’ai pas tué, au contraire je l’ai aidé, parce qu’il était en grosses difficultés sur le plan mental. Je préfère cela, plutôt que de lui mettre un coup. Il m’a dit : « Je m’excuse pour ce que j’ai fait. » Je lui ai répondu : « Tu sais à peu près répondre aux questions que je t’ai posées, même si tu as tremblé. Voilà ta note. » Et j’ai mis un 5. Je poursuis : « Tu es un enfoiré. » Puis je lui mets un 1 devant, pour faire 15. Je lui dis : « Je ne veux plus entendre parler de toi. » Et de temps en temps il m’appelle, comme quoi… (rires)
À l’époque, il y avait un entraîneur qui se montrait disponible. En dehors de l’attente que cela a créé auprès des journalistes et des supporters, pensez-vous que cela a joué dans le vestiaire ?
(réflexion) Oui. Je sais qu’il avait des relations avec les joueurs. J’arrivais au Parc des Princes avant un match, je les voyais discuter ensemble. Et quand j’arrivais, les joueurs partaient. Mais peut-être qu’ils faisaient des sudoku (rires), c’était juste qu’ils disaient bonjour. Dans le même ordre d’idées, je me souviens d’une émission, à la télévision, où ils faisaient une rétrospective des Nantes-PSG. Nous avons gagné 0-4 à Nantes [il s’agit de la plus large victoire du PSG à l’extérieur en L1], et il n’y avait pas ce match-là…
L’échec de la saison 2000/2001
À la fin de la saison 1998/1999, la stratégie annoncée était celle d’un « PSG, club de l’Île-de-France », avec un projet sur cinq ou six ans. Finalement, nous avons le sentiment que tout a été balayé par les ambitions de Canal+ à l’été 2000.
Nous avons recruté pratiquement les meilleurs joueurs de l’équipe de France Espoirs. L’objectif du club était de systématiquement terminer parmi les cinq premiers. Pour cela, le projet était de prendre des jeunes joueurs prometteurs comme Dalmat et Luccin, pour essayer d’avoir une stabilité. Et je pense que, même si j’étais viré, au lieu de tout casser, il fallait les garder. C’étaient de jeunes joueurs, ils auraient pu pérenniser les résultats du club.
Ne pensez-vous pas que le club a voulu aller trop vite, en changeant huit titulaires d’un coup au prix d’un recrutement pharaonique ?
Non, c’était la possibilité de durer. Il faut de la stabilité dans un club. Nous avons essayé de mettre les choses en place avant Lyon, qui a appliqué cette politique, et nous nous sommes cassés la gueule pour x raisons. Mais je pense que même après mon licenciement il fallait les garder. C’étaient les meilleurs espoirs français.
Selon vous, l’échec de la saison 2000/2001 s’explique uniquement par les problèmes extra-sportifs que nous avons évoqués ?
Oui, c’est ce qui a tout fait exploser. Et je me pose la question : est-ce qu’il fallait que je ferme les yeux ? Vis-à-vis des joueurs, des mecs qui bossaient à l’entraînement, je ne pouvais pas. Nous jouions le samedi, certains étaient blessés le dimanche, le lundi c’était repos ils n’allaient pas aux soins, le mardi ils étaient blessés, le mercredi c’était la séance forte ils étaient blessés, le jeudi ils trottinaient un peu et le vendredi ils étaient aptes pour jouer. Ils ne faisaient pas les séances physiques, alors que les remplaçants cravachaient. Après c’est un problème d’éthique. Peut-être ai-je eu tort ? Est-ce qu’il fallait que je ferme les yeux, que je dise : « Laissez tomber, ils font ce qu’ils veulent » ? Mais cela faisait quand même beaucoup, après la finale de la coupe de la Ligue… C’est une ligne de conduite que j’ai, une philosophie de vie ; il y a des choses que je n’accepte pas. Je suis mort pour cela. Quand on m’a demandé de réintégrer un joueur, j’ai dit à mes dirigeants : « Il n’en est pas question. Vous me virez de suite. » Parce que je ne suis pas en faute.
Qu’aurait-il fallu faire pour éviter ce lâchage ?
Laurent Perpère a essayé de me maintenir jusqu’à la fin, mais il avait tout le monde contre lui. Le comité directeur affûtait la guillotine. (rires) Et quand je lui ai demandé comment s’est passée la réunion, il m’a répondu : « Laissez tomber. » Je savais que c’était chaud. Mais il a essayé jusqu’au dernier moment. Est-ce qu’il avait les mains libres ? Je ne suis pas sûr. Mais bon, il n’y avait plus de résultat, quelle était l’autre solution pour le président ? Des gars libres dans les tribunes, des joueurs qui ne veulent plus avancer, qui se bouffent une coupe de la Ligue parce qu’ils ont pensé au pognon plutôt qu’au sportif… Moi je les connaissais trop, peut-être fallait-il changer.
Deux ans à la tête d’une équipe, c’est la moyenne désormais pour un entraîneur, mais cela reste tout de même très court. N’y a-t-il rien à faire pour empêcher quelques joueurs de prendre le pouvoir ?
Les dirigeants peuvent faire quelque chose. Mais il faut avoir le courage de le faire. Il faudrait je ne dirais pas un président fort — parce que, je le redis, il a tout fait pour éviter ma chute —, mais avoir un groupe de dirigeants forts. Que certains ne fassent pas la tête quand on se qualifie en Ligue des champions par exemple, en disant que c’était un match minable [PSG 3-0 Montpellier, en mai 2000] et qu’on ne méritait pas d’être en C1. C’est la première fois que j’entendais cela ! Ou quand on perd face à Monaco [0-3, en septembre 1999] après une première période qui était l’une des meilleures que nous pouvions faire — il y avait 0-0, et nous avions touché le poteau —, qu’une personne ne vienne pas vous serrer la main en disant : « Félicitations, nous avons pris une leçon de football. » Là, cela a été chaud. Laurent Perpère m’a entraîné à l’écart : « Philippe, Philippe, venez… » C’est ce genre de choses qui a été le plus dur à assumer.
Ses relations avec les journalistes
Nous avons eu le sentiment que si la presse avait salué votre communication en 1999/2000, vos relations étaient bien plus difficiles la saison suivante.
Oui, parce que les journalistes n’avaient qu’une chose en tête, c’était de connaître la composition de l’équipe. Il n’y avait que cela. Et c’était la guerre entre deux journaux. Un des journalistes me demandait : « File moi la composition d’équipe. » Je lui ai répondu : « Tu n’as qu’à regarder les entraînements. » Il l’a fait pendant six mois, puis il a compris mon fonctionnement. Parce qu’il voyait, dans tous les petits jeux que je faisais, les associations que je mettais. Donc lui annonçait à chaque fois la bonne composition d’équipe. Mais l’autre journal a pensé que je donnais les informations à l’un, et pas à l’autre. Avant le match PSG-Rosenborg, ce journal m’a tanné pendant plus d’un mois en expliquant qu’il fallait que je fasse jouer Okocha, que je fasse jouer Untel…
Tous ceux qui ne jouent pas en fait !
Voilà. Et le matin du match, ils disaient que si je ne me qualifiais pas, il fallait que je donne ma démission. C’était une période très compliquée. J’ai appelé Aimé [Jacquet] : « J’ai une grosse pression, qu’est-ce que tu en penses ? » Il me dit : « Écoute, ton équipe est meilleure avec qui ? » Elle était mieux avec Dalmat et Luccin, parce que certains n’avaient plus d’hygiène de vie, et je le savais. Je savais ce qui se passait ailleurs, les soirées parisiennes… Et à la fin de ce match, c’est là que je ne suis pas bon : le gars vient me voir, il me dit : « Tu es l’invité d’honneur du journal. » Je lui réponds : « Tu vas te faire foutre. » Il me demande de répéter. « Tu vas te faire foutre. » Il me lance : « On va te tuer. » Là je pense que j’ai fait une erreur. J’aurais dû répondre à l’invitation. J’ai un défaut : je ne suis pas courtisan. Après c’était fini. Par exemple à la veille d’un match à Lille [fin novembre 2000] j’avais perdu une personne dans ma famille, je devais aller à un enterrement. Je n’avais donc pas fait le dernier entraînement. Et je lis : « Philippe Bergeroo ne vient plus aux entraînements. » Ils savaient que j’avais un décès dans ma famille, mais quand ils veulent s’acharner, ils s’acharnent…
Personne au club ne pouvait vous défendre, un directeur de la communication par exemple ?
Non, là c’était terminé. Le pouvoir était pris par d’autres personnes. À un moment donné j’avais l’impression de conduire un camion, tu n’as pas de route, tu as de la nitroglycérine derrière, et un mur devant. (rires) Mais bon, est-ce que j’ai tout su gérer ? Peut-être pas. Mais honnêtement, je le répète, j’ai pris beaucoup de plaisir. Je me suis mis minable, et j’ai quand même eu un bon retour. Quand on me dit : « Paris c’est un échec », je réponds : « Non, cela a été une réussite exceptionnelle. » Rennes a été un échec. Parce que nous étions mal classés. Paris, quand j’ai été viré, nous étions à quelques points des premières places.
Êtes-vous d’accord si l’on établit un rapprochement entre Paul Le Guen et vous, dans la manière de gérer la communication, de ne pas donner aux journalistes ce qu’ils attendent pour rester fidèle à vos principes ?
Oh, je pense que je rigole un peu plus que Paul quand même. (sourires) Je suis capable de lâcher des informations, il n’y a pas de problème. Un jour il y avait un journaliste qui était perché dans un arbre pour voir l’entraînement à huis clos. Quand je l’ai vu, j’ai ouvert. « Tu vas me tomber, je lui dis. Allez rentre, prends un café. Je ne veux pas avoir un accident de travail. » (rires) On m’a fait passer pour quelqu’un de lisse, de triste, basque catho… Alors que non, j’ai une joie de vivre, j’aime bien chambrer, rigoler… Dans les vestiaires nous ne nous ennuyions jamais. Il y avait toujours des histoires, des conneries… On ne peut pas dire que c’était triste. Mais je ne suis pas tellement médiatique, je ne cherche pas à l’être. Je ne fais pas de déclarations tonitruantes. Mon image dans la presse, c’est que je suis un mec transparent.
Si c’était à refaire, feriez-vous quelque chose différemment pour le faire savoir ? On se dit que cela a pu jouer en votre défaveur.
Qu’est-ce qui a joué en ma défaveur ? Les résultats, c’est tout. Et je garde tout de même de très bonnes relations avec quelques journalistes. Celui qui avait compris mes entraînements par exemple : une fois, après qu’il m’a emmerdé sur une conférence de presse, j’ai fait une mise en place deux jours avant le match, et la veille de la rencontre j’ai fait des petits jeux durant lesquels j’ai tout changé. Donc lui avait une composition d’équipe qui était catastrophique. (rires)
Avez-vous d’autres souvenirs de vos relations avec les médias ?
Je travaillais avec un mec de la communication de Canal+. C’était quelque chose de très, très intéressant, parce que lui avait des informations, et avant les conférences de presse il me disait : « Tu vas te faire attaquer sur tel sujet, tel sujet, tel sujet… » Par exemple, quand nous n’avons pas renouvelé le contrat de Bernard Lama. Il me disait : « Ils vont t’attaquer là-dessus, ils vont te poser une question, puis une autre, une autre, encore une autre, et quand tu vas t’énerver ils vont te filmer. Ils ne vont montrer que cela à la télé : “Regardez, Philippe Bergeroo est à bout de nerfs.” » Donc nous travaillions ensemble. Il me disait : « Fais répéter la question, parle doucement. Quand ils te posent la deuxième question, reviens sur la première, en disant que tu as oublié de rajouter quelque chose. » La conférence de presse a été un bordel… (rires) Cela a été un véritable fiasco ! Il n’y a pas une image qui est sortie. Et à la fin, j’ai demandé : « Cela s’est bien passé messieurs ? » Ils m’ont répondu : « Toi, on te chopera… » (rires)
Nous avons le sentiment qu’aujourd’hui l’aspect communication a pris une ampleur démesurée dans le rôle d’un entraîneur.
Oui, maintenant ce qui compte ce n’est pas d’être un bon entraîneur, c’est de savoir gérer tout ce qui est humain, et de bien présenter les choses. Vous prenez un bon entraîneur, vous gérez les problèmes de communication… D’ailleurs sur le DEPF nous réfléchissons à créer deux diplômes différents : un DEPF de terrain, pour le gars en deuxième division qui devra aller bosser, et une autre orientation pour les managers. Nous allons y être obligés. Regardez Laurent Blanc : il se comporte comme un manager, et c’est Jean-Louis Gasset qui s’occupe des entraînements.
Quelles relations entretenez-vous avec les supporters parisiens depuis votre départ ?
J’ai beaucoup de respect pour les supporters. Je ne retourne pas beaucoup au Parc, mais quand j’y retourne les gens viennent me saluer, et c’est cela le plus important. La dernière fois que j’y suis allé, c’était pour voir un match de coupe de France du PSG contre Bayonne [en 2004]. Les portes du stade n’étaient pas encore ouvertes. Le député de Bayonne, Jean Grenet, va pour rentrer, mais le stadier lui dit : « Monsieur ce n’est pas ouvert. » Moi je n’avais pas fait attention, je viens pour entrer, le gars me salue en me tapant sur l’épaule : « Oh Philippe ! » Et le député : « Attendez, vous laissez rentrer Philippe et moi vous ne me laissez pas rentrer, alors que je suis député. » Le stadier répond : « Oui mais la différence entre vous deux, c’est que lui il a entraîné Paris, et vous vous ne l’entraînerez jamais. » Et le député est resté dehors, j’ai trouvé cela extraordinaire… (rires) Et je le dis, ce n’est pas pour passer la pommade : même si cela s’est mal terminé — à la fin ils ont scandé le nom d’un autre entraîneur (sourires), mais je savais d’où cela venait —, j’ai passé deux années exceptionnelles à Paris.
1998/1999 — Bergeroo : « PSG-OM ? J’en ai encore des frissons »
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