Interpellé samedi 7 août 2010 pour avoir manifesté contre les mesures visant à annihiler la contestation au Parc des Princes et à remplacer les supporters des tribunes populaires par un public de consommateurs — sous couvert d’une lutte contre la violence par ailleurs nécessaire —, Sami B. a été interdit de stade pour une durée de six mois avec obligation de pointer au commissariat. Contestant les faits de violence et de blocage qui lui sont reprochés, il a fait appel de son interdiction de stade et a porté plainte auprès de l’inspection générale des services (IGS).
Son intervention dans le reportage d’Envoyé spécial n’ayant pas été accompagnée de ces précisions, Sami nous a contacté pour faire savoir les conditions dans lesquelles il avait accepté de témoigner à visage découvert.
Interview réalisée samedi 8 janvier 2011.
Les conditions du témoignage à visage découvert
Comment vous êtes-vous retrouvé dans le reportage d’Envoyé spécial ?
Linda Bendali m’a contacté en m’expliquant qu’elle faisait un sujet sur les dérives de la politique actuelle du PSG. Elle me posait des questions, mais il ne s’agissait pas d’une interview, elle voulait seulement obtenir des informations sur les interdictions de stade. Je lui ai expliqué ce qui s’était passé le 7 août, je lui ai envoyé à sa demande tous mes documents — les interdictions de stade d’urgence, les procès-verbaux. Elle m’avait expliqué qu’elle souhaitait vérifier si un IDS pouvait acheter une place. Je lui avais dit dès le début : « Mais une fois que vous l’avez prouvé, cela ne change pas grand-chose, parce que même s’il a acheté une place il reste IDS et doit pointer pendant le match. » Elle a tout de même persisté, et m’a prévenu qu’elle avait trouvé quelqu’un pour faire le test ; cela devait en rester là en ce qui me concerne. Mais finalement, elle m’appelle un soir pour me dire que le supporter qui devait témoigner l’avait planté, et me demande si une personne du collectif 07/08 accepterait de venir le lendemain sur les Champs-Élysées pour tenter d’acheter une place.
Je lui ai répondu que j’étais d’accord, mais qu’il fallait clairement que le reportage explique la raison de nos interdictions de stade. Elle m’a assuré qu’il n’y aurait pas de problème. Elle m’a demandé si j’acceptais de le faire à visage découvert en donnant mon identité — alors que son précédent contact devait apparaître masqué. Nous avons dû parler cinq ou six fois au téléphone, et nous voir à trois reprises ; je pense lui avoir dit une bonne vingtaine de fois que ma seule condition, c’était qu’ils parlent de PSG-Saint-Étienne, qu’ils expliquent qu’il s’agissait d’une manifestation, que tout le monde avait été embarqué, et qu’il n’y avait eu aucun débordement. À chaque fois que j’en parlais, elle me répondait : « C’est scandaleux ce qui vous est arrivé, je ne comprends pas que cela n’ait pas fait plus de bruit dans les médias ; évidemment nous allons en parler. » J’y suis allé, j’ai acheté des places comme on l’a vu dans le reportage, puis nous avons fait l’interview.
J’ai bien vu ce qu’elle voulait dans la manière dont elle orientait les questions, elle n’arrêtait pas de me dire : « Donc aux yeux du PSG et de la préfecture, vous êtes considérés comme un dangereux supporter, et vous avez quand même réussi à acheter une place ? » C’est tout ce qui l’intéressait ce jour-là. Je ne lui ai jamais répondu : « Oui, je suis considéré comme un dangereux supporter », parce que je savais qu’elle aurait gardé cette séquence-là. À chaque fois j’essayais de réorienter mes réponses, mais j’ai bien senti que ce n’est pas ce qu’elle cherchait durant cette interview. À la fin, je lui ai dit : « Je suis journaliste moi aussi, j’ai bien compris comment vous avez orienté l’interview. Je vous le redis, que ce soit bien clair : j’accepte que vous utilisiez ma séquence et que vous me montriez à visage découvert, mais seulement si vous expliquez comment j’en suis arrivé à être interdit de stade, que non seulement ce n’était pas pour des faits de hooliganisme mais pour une manifestation, mais que par ailleurs nous contestons toute violence durant la manifestation. » Elle m’a expliqué que c’était d’accord, et le cadreur m’a répondu : « Ne t’inquiète pas. »
Nous avons interrogé Linda Bendali sur l’absence de précision à l’égard de votre interdiction de stade. Que pensez-vous de sa réponse ?
Je trouve que c’est malhonnête. Admettons qu’elle n’ait pas réussi à écrire son sujet en faisant un petit écart sur les interdictions de stade de ce match-là : qu’est-ce qui l’empêchait de m’appeler et de me dire : « Nous ne pourrons pas contextualiser, nous ne pourrons pas du tout dire que tu es IDS pour autre chose que des faits de violence ou que tu contestes, est-ce que tu veux quand même qu’on utilise ta séquence ? Et si oui, est-ce que tu veux quand même qu’on indique ton nom et ton prénom ? Est-ce que tu veux qu’on masque ton visage ? » Un peu de déontologie et de respect de la personne. Je lui ai fait confiance, je lui ai dit à plusieurs reprises que c’était ma seule condition, que sinon elle faisait ce qu’elle voulait de mon interview, de mon image. Si elle s’est aperçue qu’elle ne pouvait pas donner ces précisions dans le documentaire, ça lui coûtait quoi de m’appeler et de me demander ?
Si elle s’en est rendu compte lors du montage, il était sans doute trop tard pour refaire les images.
D’accord, mais elle pouvait masquer mon identité ou mon visage. Ne serait-ce que ne pas faire apparaître mon nom de famille.
Auriez-vous accepté qu’elle diffuse les images dans ces conditions, même si le reportage n’évoquait pas les manifestations du 7 août ?
Oui, je pense. Objectivement le sujet fait plus de mal au PSG qu’à moi. Une chose est sûre : si j’avais su qu’il n’y aurait pas cette contextualisation, jamais je n’aurais accepté qu’il y ait mon nom et mon visage. Et Linda Bendali le sait. Je ne pense pas avoir trop de mal à m’exprimer, je le lui ai fait comprendre dans des termes assez clairs, et elle m’a fait comprendre qu’elle avait compris. C’est plus parce qu’elle avait quelque chose à faire. Elle l’a dit dans votre interview : elle voulait aller droit au but, et elle savait qu’avec une personne qui donne son vrai nom, à visage découvert, ce serait beaucoup mieux pour sa démonstration. Donc ce n’est pas de la négligence, ce n’est pas qu’elle n’a pas pu, c’est qu’elle a préféré privilégier son intérêt dans son documentaire. Je ne suis qu’un petit dommage collatéral, et tant pis si cela peut avoir des conséquences pour moi.
Justement, avez-vous eu des retours de vos proches ou de vos relations de travail ?
Des membres de ma famille m’ont appelé, certains étaient surpris. Franchement c’est compliqué ce qui se passe au PSG, donc je n’avais pas dit à toute ma famille que j’étais interdit de stade et ce qui s’était passé ce soir-là ; j’étais prêt à ce qu’ils l’apprennent, mais dans un autre contexte. Là j’ai eu pas mal de retours de mails… Je suis journaliste, j’ai un site public, mon CV est en ligne, il suffit de taper mon nom et mon prénom sur Google pour y accéder. Je travaille avec beaucoup de boîtes de production qui par définition ont tendance à regarder la télévision. C’est évident que cela peut me nuire plus qu’autre chose. Je l’ai fait parce qu’elle était dans la panade et qu’elle avait besoin d’une personne, j’ai joué le jeu, j’aurais apprécié qu’elle le joue également. J’estime que c’est vraiment un manque d’intégrité et d’honnêteté de sa part. Quatre millions de personnes qui ont vu mon nom, mon prénom, mon visage : notre collectif a beau avoir fait un communiqué, le mal est fait.
La séquence en questions
Que pensez-vous de la démonstration du reportage à propos des interdictions de stade ?
Je lui ai toujours dit clairement que je la trouvais totalement inutile. Autant je ne suis pas du tout d’accord avec la nouvelle politique du PSG, et en général les communiqués du club depuis le début de saison me font plutôt vomir qu’autre chose, mais là quand ils précisent qu’un interdit de stade peut acheter une place, c’est vrai. C’est d’ailleurs pour cela que je l’ai fait. Nous nous sommes renseignés auprès de notre avocat, et il nous a répondu : « Juridiquement, vous avez le droit. » Surtout, la véritable mesure dissuasive à l’égard des interdits de stade, c’est l’obligation de pointer au commissariat durant le match. À quoi ça m’avancera d’acheter des places à la boutique si je dois me rendre à l’autre bout de Paris pendant le match ? J’irai pointer avec les places dans la poche…
Vous semblez très critique à l’égard de la séquence dans laquelle vous apparaissez. Ne pensez-vous pas que votre apparition dans Envoyé spécial permet de pointer du doigt le caractère superficiel des billets nominatifs ?
Si bien sûr, je le dis dans le reportage : les billets nominatifs ont pour seuls objectifs de rassurer les gens — qui se disent que s’il y a leur nom sur le billet, c’est que cela doit être sécurisé — et de les ficher. Cela ne contribue absolument pas à la sécurisation du stade. On sait très bien que les personnes qui veulent poser des problèmes, soit elles achètent des billets par des amis ou au marché noir, soit elles rentrent sans même avoir de place. Combien de fois est-ce arrivé que des groupes de 40-50 personnes minimum rentrent de cette manière ? On sait très bien que ce n’est pas avec des billets nominatifs que l’on va empêcher une frange dure de poser problème. Si ma participation a permis de le montrer au grand public, tant mieux…
Le PSG met en doute la véracité des places achetées par Linda Bendali. Pouvez-vous nous raconter la scène que l’on voit à l’écran ?
Je n’étais évidemment pas avec l’équipe d’Envoyé spécial quand ils sont rentrés au Parc — j’étais en train de pointer au commissariat… —, mais ce que je peux dire c’est que nous avons vraiment acheté ces places, je les leur ai vraiment données, c’était vraiment dans la tribune Boulogne. Je me suis inscrit à Tous PSG pour cela. Je n’ai toujours pas la carte, qui devait me parvenir par courrier, mais je ne l’attends de toutes façons pas avec une grande impatience…
Où en sont vos démarches à propos des interpellations de PSG-Saint-Étienne ?
Personnellement je ne suis plus interdit de stade désormais, la sanction prenait fin en décembre. J’ai donc purgé toute ma peine, mais pour le principe, pour que nous soyons blanchis, nous allons poursuivre nos démarches. Nous attendons une réponse d’ici mi-2011. Quant à la plainte que nous avons déposée à l’IGS, nous n’avons aucune nouvelle.
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