Il suffit d’un petit rien pour vous rendre une équipe sympathique. Une défaite ou deux, le plus souvent. En revanche, pour construire pierre après pierre la réputation d’équipe pourrie qu’a su se forger l’OGC Nice, là on frôle le hors-catégorie. Que ce soit dans le choix de leurs entraîneurs, tous plus offensifs les uns que les autres, ou dans le comportement de leurs joueurs, la constance est remarquable. Et la médiocrité une tradition. Voire une religion. Un état d’esprit.
Tout commence traditionnellement par des déclarations à la con, qui passent bien évidemment inaperçues. Il faut dire qu’à surveiller ce qui se passe dans la chaussette gauche de l’avocat de Rothen, les journalistes n’ont plus trop de temps à consacrer à Éric Roy. Roy, l’entraîneur qui parviendrait à te faire passer les équipes de Domenech pour de dangereuses compositions bien trop tournées vers l’offensive. L’entraîneur des Aiglons l’avait dit : après deux défaites, il fallait à tout prix éviter de perdre, pour se relancer, et Paris est très bien pour ça.
Là, il faut tout de suite battre en brèche une idée reçue : le PSG n’est pas une équipe contre laquelle il est si facile de faire un nul. Ce n’est pas du tout ce que Roy voulait dire… Non, le truc c’est que face au Paris Saint-Germain, si tu bétonnes comme un ours, personne ne t’en voudra.
Si tu vas à Marseille avec tes 10 défenseurs, là en revanche, on te saoulera avec ta mauvaise vision du football. C’est tonton Saccomano qui sera pas content. Pareil à Lyon : Aulas te sortira que c’est pas normal, que la L1 ne rapportera jamais assez de droits télé si les équipes ferment le jeu. Le journal L’Équipe t’en sortira trois pages de diagrammes à la con®, et ça jasera pendant plus de temps qu’il n’en faut à Drogba pour se relever après qu’un adversaire lui a soufflé dessus [1]. À Bordeaux, avant, ça réglait le problème : dans ce cas de figure Gourcuff se roulait par terre à l’heure de jeu, et Chamakh ou un défenseur marquait sur coup franc. Bon, depuis l’hiver dernier, ça ne marche plus. Les arbitres ont mis dix-huit mois à comprendre l’astuce, mais entre temps, les Girondins avaient réussi à devenir champions, alors ça aide à relativiser.
Contre le PSG en revanche, vas-y, viens avec Ljuboja seul en pointe, tout le monde s’en tape. Alors évidemment, Roy aurait tort de s’en priver ! Mieux encore : tout le monde loue sa stratégie. L’entraîneur qu’est trop fort et qui a trop bien joué le coup. Le gars qui est tellement bon entraîneur que son équipe ne doit sa survie qu’à une organisation sans faille. Un truc de ouf hyper travaillé à l’entraînement : tu coupes le rythme par des fautes honteuses, ton gardien mets trois plombes à dégager la balle lors de chaque remise en jeu, et tes joueurs tentent quatorze fois le fameux « j’ai trop mal, faut arrêter la partie… Ah bah non, en fait ça allait. » Après c’est tous derrière, et tu laisses ton gardien se démerder, en priant pour qu’il ait plus de chance que ces deux dernières semaines. Ouah, ça c’est du plan de jeu ! Vivent les coaches niçois.
Bon, il ne faut pas non plus caricaturer : l’ancien Marseillais a quand même dû délivrer des consignes claires. À voir comment ça s’est passé, la causerie des vestiaires a dû être super technique. Un truc de ce genre là :
Le feutre Velleda au poing, le coach niçois pointe du doigt les abords de sa surface…
« Et donc là Sablé, tu fais comme on a dit : quand tu dois défendre à trente mètres de nos buts, tu te jettes par terre !
— Mais, répond l’ex-Stéphanois à l’œil brillant de sagacité, sur la feuille de match je suis attaquant aujourd’hui, non ? Pourquoi je défendrais juste devant nos buts ? »
Retenant un soupir, Roy choisit de répondre lentement. Les mots de son mentor lui reviennent en tête pendant que le feutre redescend mollement le long du 4-5-0-0-0-1 travaillé à l’entraînement… « Tu verras, lui disait le sage au crâne plat et dénudé par les vents de l’île de beauté : coacher le vestiaire niçois, c’est un peu comme s’occuper de grands enfants. » Sauf qu’il n’avait pas compris qu’Antonetti lui parlait de leur âge mental.
« Julien… OK, là, sur le dessin, tu es devant. Mais je t’ai expliqué toute la semaine : on joue contre le PSG, c’est pas la peine ?!?… Bon sang, Julien : on joue au PSG, c’est pas la peine d’attaquer ! Pas compliqué ça tout de même ! On a passé quatre séances d’entraînement à la réviser notre tactique ! » Sentant monter comme une envie d’ôter sa cravate pour tenter de voir si elle n’irait pas mieux à son joueur, une fois bien serrée, Roy exécuta les exercices de sophrologie que lui avait conseillés le médecin du club.
« Et donc, je disais que dès que tu es à trente mètres de nos buts, tu te jettes… Quoi encore ?
— Je suis désolé coach, c’est juste que si je joue derrière comme d’habitude, je comprends pas pourquoi alors sur votre compo je suis marqué devant…
— Mais j’ai plus de place nulle part là ! À Paris le tableau n’est pas prévu pour qu’on mette cinq milieux défensifs, ça tient pas ! Au stade de la Raie on en a commandé des spéciaux, y a plus de place en bas. Du coup toi là tu es inscrit devant, forcément. Sauf qu’en fait ça veut dire que tu es derrière. Avec tous les autres. D’accord ? »
Sentant confusément qu’il était de mentir, Sablé sort l’arrêt réflexe.
« Euh… Je crois oui…
— Donc, à trente mètres, zou, par terre. D’accord aussi ?
— Je crois… »
Roy ferma les yeux, n’osant reboucher son feutre. Quand il les rouvrit, il lui fallu constater non sans amertume que malgré les cinq interminables secondes de pause consacrées à invoquer Sainte Rita, patronne des mal-comprenants, Julien Sablé continuait à le regarder tristement…
« Vas-y Juju, dis-moi ce qui t’embête !
— C’est que je me demandais… Et si quand que je suis par terre, pour du vrai il n’y avait pas faute ?
— T’inquiète, c’est Ledentu qui arbitre. Avec un Parisien à moins de dix mètres de toi, il y aura faute.
— Hum… Et donc je fais un peu comme à l’entraînement de cette semaine alors ? »
Là… C’était là. Enfin, Éric Roy vivait son grand moment. Ce pour quoi il avait choisi d’embrasser sa carrière d’entraîneur. Pour la première fois, un de ses joueurs semblait avoir retenu à grand-peine un de ses conseils. Retenant quant à lui une larme d’émotion, le coach niçois senti des bouffées paternalistes l’envahir. Accompagnant son joueur comme on tient par la main son fils le jour de la rentrée de maternelle, il encouragea Sablé :
« Voilà, très bien ! C’est exactement ça : on fait comme si l’entraînement, ça servait à s’entraîner pour le jour du match. Trèèèèèès bien ! Allez, on le répète ensemble, je suis sûr que tu peux ! »
Le vestiaire, tendu comme le string de Zahia un soir de Ligue des champions, retint son souffle. Civelli, bien content que l’interro surprise tombe sur un autre, ne put s’empêcher de former les mots avec ses lèvres pendant que son coéquipier ânonnait difficilement.
« On joue contre le PSG, c’est pas la peine d’attaquer.
— Très bien Julien !
— On vient de Nice, on défend à dix.
— Vaaaalà !
— Quand c’est Paris qui joue, mes genoux ils sont tout mous.
— Oui, continue !
— Pour que le PSG recule, il faut que je simule.
— Bravo !
— Pour que le jeu s’arrête, je me tiens la tête.
— Super !
— Pour obtenir un carton, je me tiens le front.
— Impec’ !
— Et si le jeu continue, je me tiens le…
— Le pied, ça ira le pied…
— Et dans le temps additionnel, quand Paris tire au but, on se roule tous par terre comme des…
— Niçois ! Comme des Niçois, ça suffira, y a des enfants qui nous lisent là… »
Quatre-vingt-dix minutes de simulations foireuses, de coups de coude, de poussettes, de oh mon Dieu, j’ai trop mal au tibia… ah bon, on a un contre en fait ? Bon bah je cours alors…, il faut donner raison à l’entraîneur niçois. La presse est unanime : il a bien joué le coup. Y a pas à dire, ces Niçois, ils nous font rêver.
Moi en l’occurrence, je rêve qu’ils redescendent en L2. Et qu’ils y restent. Mais longtemps alors…