Les J.O. ne ressemblent à aucune autre compétition. Parmi les épreuves encore disputées de nos jours, ils sont la compétition internationale la plus ancienne. Sans même remonter à leur version antique dont nous n’avons pas gardé grand chose, si ce n’est le mirage du fumeux esprit olympique, les jeux modernes, créés en 1896 possèdent un vécu à nul autre pareil. Chaque épreuve possède son lot d’icônes (Weissmuller, Thorpe le décathlonien, Owens, Comaneci…) d’anecdotes tragiques ou formidables (Munich et son attenta, le fameux match de water-polo Russie – Tchécoslovaquie). Le poids de cette tradition, les comparaisons que l’Histoire permet de tisser confèrent aux Jeux un statut à part.
Vae victis ! [1]
Le gigantisme de l’épreuve et la formidable médiatisation qui les entourent ne trouvent aucun équivalent. Si en bon dictateur vous décidez d’envahir une province limitrophe pour quelques puits de pétrole bientôt taris, n’hésitez pas, faites-le pendant la trêve olympique : vous serez bien tranquille. Toutes les caméras du monde sont pointées vers… tous les sportifs du monde. Ou presque.
Car l’inhumanité réside au cœur de ce soufflé médiatique : si tous sont suivis par les télévisions, du plus célèbre champion d’un sport roi au plus humble participant d’une épreuve mineure, au bout du compte seule une infime minorité goûtera à la gloire. Que vous participiez au cent mètres dans un stade archi-comble ou au skeet devant… personne, parce que votre entraîneur a dû rester dans son hôtel vu qu’il s’est fait mal au pied hier, cela ne change finalement rien : soyez dans les trois premiers et vous aurez droit de serrer la main de Gérard Holtz, avec en duplex les images de votre famille en train de pleurer dans la salle à manger du pavillon de Montreuil, et en fond sonore l’enregistrement des couinements asthmatiques d’un consultant déjà replongé depuis dans la naphtaline pour quatre ans.
Mais ratez le podium… et vous n’êtes plus rien. Ratez-le d’un cheveu, à cause d’une erreur d’arbitrage, d’une blessure, d’une méforme ou simplement parce que vous avez été battu par meilleur que vous, et une fois sorti de la zone mixte, terminé les micros. Jusqu’à la prochaine olympiade, si vous avez la chance d’en refaire une autre. Aucun bilan ne parlera plus jamais de votre prestation. Aucun reportage ne reviendra sur votre parcours. Vous aurez participé en vain.
Certes les championnats du monde de football, pour en revenir au sport concernant le PSG, se disputent eux aussi tous les quatre ans. L’opportunité d’y briller ne se représente pas forcément deux fois, comme les Français se complaisent à nous le prouver depuis 1998. Mais contrairement à l’immense majorité des épreuves olympiques, le football n’est pas un sport individuel.
Qui peut se vanter d’avoir été parmi les trois meilleurs footballeurs du monde, au bout de quatre saisons ? On nous rabat les oreilles de Cristiano Ronaldo, Kakà, Drogba, Buffon ou Messi. De Torres, Robinho, Henry et Rooney. Dégager un onze type relève déjà de la gageure, alors extraire un unique joueur… Le football ne manque pas de stars célébrées comme des athlètes hors du commun. Mais qui resterait-il exactement si on n’en gardait que trois, une fois tous les quatre ans ? Quel ce serait ce quatrième, ce perdant ? Peut-être Ronaldinho, Eto’o ou Totti ? Si on appliquait au ballon rond le même traitement qu’aux autres sports olympiques, un héros dont on nous rabat les oreilles n’aurait droit qu’à la médaille en chocolat. La place du con.
Llodra et Doucouré méritent le respect
Deux Parisiens, entre autres, ont participé à ces Jeux. Ne cherchez pas leur trace dans le stupide classement des totaux de médailles. N’espérez plus entendre parler de leurs parcours maintenant que les breloques ont été distribuées. Tous les deux vivent la même expérience : ils ont fini au pied du podium.
- Michaël Llodra à Roland-Garros
- Photo Olivier D.
Michaël Llodra et Ladji Doucouré sont supporters du PSG : ils vont au stade soutenir leur équipe, ils portent le maillot Rouge et Bleu en dehors du boulot, et ils souffrent quand le Paris Saint-Germain perd. Là où d’autres poseurs se sont exhibés avec nos couleurs sur le dos les soirs de victoire, avant de tourner talons depuis, Llodra et Doucouré sont restés, fidèles. Dans leurs interviews, malgré les saisons ratées du club de la Capitale, ils persistaient à glisser un mot d’encouragement, une pensée pour les Parisiens.
S’ils avaient gagné, sans doute aurions-nous eu la joie de les voir donner le coup d’envoi d’une rencontre, au Parc des Princes. Seulement voilà, ils sont quatrièmes. Voués à l’oubli, jugés comme ayant raté leurs Jeux. Et le PSG de se retrouver, avec eux, à la place du con. Conforme à la réputation que lui accorde le Français moyen…
Sauf que s’arrêter là serait injuste. Pas forcément digne d’un supporter parisien. La solidarité ne doit pas fonctionner que dans un sens, vers le club de la Capitale, sans espoir de retour. Quand le PSG sombrait, l’an passé, toute marque d’affection faisait l’effet d’une bouffée d’air à chaque supporter.
En tant que Parisiens, ceux qui ont vu les larmes de Doucouré, après son 110 mètres haies, ceux qui ont lu Llodra après sa défaite contre la paire américaine ne peuvent que compatir. L’Équipe.fr a recueilli les propos du tennisman :
On est très touchés par la défaite. On était venus ici pour faire quelque chose de grand. Essayer de ramener une médaille. Malheureusement, on échoue tout près du but. C’est très dur. […] J’ai du mal à trouver les mots pour décrire notre déception, notre frustration. Nous avons vu ce rêve olympique de très près. Hier, on n’est pas passés loin. A deux points près… Aujourd’hui je n’ai pas envie de penser aux Jeux Olympiques de 2012. Pour l’instant, on est en 2008. On vient simplement de perdre notre match pour la médaille de bronze, et j’ai du mal à comprendre ce qui se passe. C’est dur.
- Ladji Doucouré (photo finneye)
Il faut se souvenir des reportages consacrés aux entraînements de Ladji Doucouré. Le revoir enchaîner ces courses de côte, sur un bout de trottoir en région parisienne, au milieu des voitures. Il faut se remémorer la souffrance sur son visage, lorsqu’il inflige à son corps des efforts si pénibles qu’il ne peut s’empêcher de vomir. Terminer en quatrième place, à quelques centièmes d’un Américain, était à ce prix.
Il faut se rappeler de la fin de match de Llodra, quand le score en était à dix-sept jeux partout dans le dernier set d’une demi-finale homérique. Quatre heures quarante-cinq minutes de courses, de frappes de balles, d’espoirs ou de doutes. C’est la durée de trois matches de football à la suite, c’est une heure de plus qu’un 50 km marche, ou encore deux marathons mis bout à bout. Si les efforts, les chocs ne sont bien entendu pas comparables, la durée seule a déjà de quoi faire peur, surtout dans un sport aussi exigeant mentalement que le tennis. Rester lucide tout ce temps, trouver la ressource physique et mentale pour continuer à se battre près de cinq heures… pour finalement tout perdre.
- Michaël Llodra (photo Chris Taylor)
Aujourd’hui, Doucouré et Llodra sont à terre. Tous ceux qui se préparaient à profiter des lauriers de la victoire qu’ils leurs prédestinaient s’en sont retourné depuis longtemps. Il ne fait pas bon traîner aux côtés de ceux qui portent l’étiquette du perdant.
- Ladji Doucouré
- Photo Thomas Faivre-Duboz
Mais quoi ? Qui peut se vanter d’avoir atteint sans faillir leurs sommets ? Ladji, blessé au printemps, incapable de poser le pied par terre est revenu au courage pour lutter face aux meilleurs. Où a-t-il démérité ? Quand Llodra, fils d’un joueur du Paris SG [2], a-t-il fait autre chose que porter haut nos couleurs lors de ce tournoi ? Ils se sont battus jusqu’au bout, ont eu le courage de se confronter à leur destin plutôt que se retrancher derrière des excuses, des faux-semblants.
Ils ont fait honneur à Paris. Mieux que d’autres, ils ont fait leurs ces vers de Kipling :
Si tu peux rassembler tout ce que tu conquis Mettre ce tout en jeu sur un seul coup de dés, Perdre et recommencer du point d’où tu partis Sans jamais dire un mot de ce qui fut perdu ; Si tu peux obliger ton cœur, tes nerfs, ta moelle À te servir encore quand ils ont cessé d’être, Si tu restes debout quand tout s’écroule en toi Sauf une volonté qui sait survivre à tout ;
[…]
Si tu sais mettre en la minute inexorable Exactement pesées les soixante secondes Alors la Terre est tienne et tout ce qu’elle porte Et mieux encore tu seras un homme mon fils !
Le Paris Saint-Germain comptait de belles figures dans ses rangs. Depuis ces Olympiades, il faut y compter deux hommes de plus. Merci et bravo à Ladji et Michaël.