Supporter le Paris Saint-Germain n’a rien de facile. Tous ceux qui se sont entichés d’un club vivant au sommet de l’Europe dans les années 1990, tous leurs aînés qui ont participé aux balbutiements d’une histoire promise à devenir légende, durant les années 1980 et avant, ou même les petits derniers, venus participer à l’aventure promise par les venues d’Anelka, Ronaldinho ou Pauleta, tous savent faire rimer PSG avec déception. Voire avec souffrance.
Qu’est-ce qu’un IDS ?
Sur le papier, devenir fan du Paris SG ne prépare pas à lutter contre la relégation, à sombrer de désillusion en désillusion, après chaque nouvelle occasion manquée par les joueurs Rouge et Bleu. Face à Lyon, Paris pourrait remporter un troisième succès consécutif en L1, et retrouver ainsi un classement plus en rapport avec les ambitions de ses fans… Seulement voilà, le club de la Capitale n’a plus réalisé une telle série depuis trois saisons. Depuis lors, chaque porte entrouverte, chaque mince espoir, chaque opportunité furent autant de claques.
Lentement, ces revers ont érodé la ferveur des tribunes. Après avoir vu systématiquement s’évanouir le rêve qu’ils ont trop souvent touché du doigt, certains en viennent à douter. À se demander si le jeu en vaut la chandelle. Si payer sa place, son abonnement, si venir chanter, essayer de soutenir le PSG, si encourager ces joueurs inconstants et porter haut ces couleurs vaut vraiment le coup. Même dans les virages, certains ont laissé leur motivation décliner doucement, abîmés par ce club auquel ils ont trop donné.
La méfiance. Elle est légitime : et si le PSG, une fois encore, face à Lyon, finissait par décevoir ? Si encore une fois il renvoyait aux visages de ceux qui y ont cru, et ont soutenu sans faille l’inutilité de leurs efforts. Combien de temps peut-on lutter pour ses couleurs quand la lutte semble vaine ?
Doute. Méfiance. Des sentiments qui habitaient le Parc face à Grenoble et Toulouse. Peur d’être déçu. Frustration. Des sentiments connus, qui pèsent sur le PSG. Voilà le constat. Il est cruel.
Et la question, restée en retrait jusqu’ici, le thème de cette chronique : qu’est-ce qu’un IDS ?
Facile. Un IDS, c’est un supporter à qui on a refusé jusqu’au luxe d’éprouver ces sentiments-là.
Un IDS, c’est un interdit de stade. Oh, bien sûr, le réflexe est la défiance ! Se dire qu’on ne devient pas IDS par hasard, et que ces supporters à qui on refuse l’entrée au Parc ont bien dû chercher ce qui leur arrive est si facile. Et puis au PSG, toutes ces mesures n’ont besoin que de vagues sous-entendus pour se trouver toutes justifiées. Vous pensez, avec des supporters racistes et violents, inutile d’en dire beaucoup plus long…
Sauf que depuis un an règne au sein des tribunes une nouvelle forme de non-droit : l’IDS préventive. Une loi inique qui porte bien son nom : ne sont plus condamnés ceux qui ont enfreint la loi, mais ceux que les forces de l’ordre jugent susceptibles de l’enfreindre. On condamne avant la faute, par prévention. Au cas où…
Se retrouvent donc interdits de stade des supporters contre lesquels on n’a rien prouvé, mais qui se sont vus classés supporters à risque… comme par exemple ces ultras d’Auteuil, ou ces Kopistes dont les services de sécurité ont pensé qu’ils pourraient introduire des fumigènes, interdits par la loi Alliot-Marie. Cela suffit.
Alors pourquoi ne pas les évoquer, ces Parisiens : où est la honte ? Ce sont des abonnés comme vous et moi. Ni plus violents, ni racistes. Ils n’ont pas plus que vous été pris à craquer un fumigène. Seulement voilà, parce qu’ils faisaient partie d’une association, parce qu’ils se battaient pour la faire vivre, et à travers elle faire vivre le PSG, et parce qu’un bête fumigène a été allumé aux abords de leur groupe de supporters, ils se retrouvent traités par l’administration. Catalogués. Rangés dans une jolie case d’un tableau chiffré à remonter à la préfecture de police : IDS.
Les IDS n’ont plus le choix
Oui, face à Lyon, Paris risque fort bien de perdre. Parce que l’effectif de l’OL, parce que les coups de pied arrêtés, parce qu’entre les buts valables refusés [1], les buts hors-jeu accordés [2], les penalties et coup-francs imaginaires [3], l’arbitrage n’est jamais en défaveur de Lyon, parce que le Paris Saint-Germain a toujours su manquer la marche menant vers le haut du tableau, parce qu’après un passage à vide, Lyon revient bien, parce qu’ils ne lâcheront jamais un match contre la Capitale, complexe d’infériorité oblige… Pour toutes ces raisons, le PSG – OL qui se profile n’a rien dévident. Ne mentons pas : il a même toutes les chances d’être pénible à vivre en tribune pour les amoureux du PSG.
Mais au moment de passer les portiques du Parc des Princes, pensez plutôt à celui qui pendant ce temps-là est obligé de pointer au commissariat de son quartier. Alors que vous subirez la palpation, au pied de votre tribune, pensez à celui qui la vit au milieu des policiers de garde, un samedi soir.
Être IDS, ce n’est pas seulement ne pas aller au stade. C’est le carrelage démodé qui se descelle aux pieds du guichet du planton. Planton occupé à saisir une main-courante racontant la rixe entre deux clochards avinés sur un PC antédiluvien. IDS c’est le bruit de la vieille imprimante qui sort des compte-rendus idiots pendant que vous attendez, pensant à tout ce que vous pourriez faire si seulement… L’IDS préventive c’est l’injustice, la haine de devoir subir tout cela pour une faute que l’on n’a même pas commise.
Non, un IDS ne profite pas d’une pause, il ne se ressource pas, ne coupe pas avec ce club qui peut rendre fou de douleur après une défaite. Il est condamné une fois, dix fois, autant de fois qu’il y a de rencontres du Paris Saint-Germain. Vous vous maintenez au courant du calendrier pour suivre les rencontres ? Lui aussi lit le calendrier. C’est pour savoir quels matches il ne pourra pas suivre, car il lui faudra passer sa soirée avec les forces de l’ordre. La voilà la torture de l’IDS : devoir se présenter chez ceux qui vous ont condamnés pour rien, juste « parce que vous auriez pu », chaque fois que joue le PSG.
Là, pas de soirée où on n’a pas envie. Pas de petite rencontre où, par lassitude, on préfère rester chez soi, aller voir un ami, ou participer à une fête familiale. Les IDS sont liés au Paris Saint-Germain, à son actualité, comme aucun d’entre nous ne peut l’être : ils sont condamnés à rester derrière sa face cachée.
Quand certains abandonnent doucement contre Grenoble, épuisés, eux sont au loin, incapables de ne serait-ce que regarder ce match à la télé. Quand certains gardent le silence face à Toulouse, parce qu’ils sont découragés et ne trouvent plus la force de donner encore à ce club si difficile, les IDS ignorent tout de cette rencontre sur laquelle ils ne peuvent ne serait-ce que rêver de peser.
Oui, peut-être que chanter ne sert à rien. Peut-être que ces joueurs ne méritent pas toujours la ferveur des virages. Peut-être qu’il y a quelque chose de pourri dans ce football moderne dans lequel on ne se reconnaît plus trop.
Mais peut-être qu’une ambiance peut transcender un groupe. Peut-être le Parc retrouvera-t-il cette folie qui avait permis de revenir face à Saint-Étienne, alors que la L2 ouvrait grand les bras. S’il ressent la pression des virages, si la peur des tribunes le gagne, peut-être l’arbitre hésitera-t-il à accorder un de ces coup-francs que les Lyonnais passent leur temps à chercher ? Rien qu’un, et le cours du match peut en être changé.
Se laisser couler et devenir spectateur. Même inconsciemment, même pour quelques minutes… Ou au contraire rester avec pour seule règle de ne rien lâcher. Tout donner, quatre-vingt-dix minutes ! Les supporters présents au Parc auront ce choix. Les IDS eux, ne l’ont plus…
Paris est aux portes d’un retour à l’avant-scène. Paris peut retrouver ce rang qu’il n’aurait jamais dû quitter. Et ceux qui assisteront à ce PSG - OL auront la possibilité de l’aider. L’opportunité de se livrer, de tout tenter pour battre Lyon.
À ceux-là, à part une gorge défoncée, à part les épaules qui brûlent de trop lever les bras, à part les tempes serrées par la tension des hurlements, et à part la peur de tout perdre, encore, à part la pluie et le froid qui tord les pieds, on ne peut rien leur promettre. Oui, tout cela, les Parisiens présents au Parc le risquent.
Mais en contrepartie, il y a cette possibilité. Elle est infime, négligeable. La possibilité de vivre… non, de participer à une victoire historique du PSG. C’est cette lumière-là, cette petite flamme vacillante que les IDS eux ne voient plus. C’est elle qu’on leur a retirée.
Si Paris était mené, si les Rouge et Bleu ne mettaient pas un pied devant l’autre, si nos couleurs étaient souillées ou si la sono restait muette, et quand les bras tendus d’écharpes tireront à en trembler, quand vous vous direz que vous n’en pouvez plus, quand vous vous rendrez compte que vous avez lâché le chant au refrain précédent, c’est à eux qu’il faudra penser. Ceux que l’on empêche de vivre notre passion, sans raison. Ceux à qui on retire ce qui compte le plus. Ceux à qui on dénie le droit d’être ce qu’ils sont : des supporters du PSG.
C’est pour eux qu’il ne faudra rien lâcher, quelle que soit leur tribune. Se battre quoi qu’il arrive, aux côtés du Paris Saint-Germain. Parce que eux l’auraient fait. Lutter jusqu’au bout. Pour l’honneur et par respect. Le respect à nos IDS.