Les supporters grognent, voilà le titre que L’Équipe a trouvé dans son édition du 19 juillet 2008 pour présenter les manifestations organisées par les associations de supporters parisiens pour maintenir la pression sur les dirigeants parisiens dans la négociation concernant le tarif des abonnements au Parc des Princes.
Les supporters parisiens grognent, c’est la crise au PSG
Mais revenons plutôt sur le terme qui nous vaut de décortiquer ce bref entrefilet : la grogne. Plus qu’une expression malheureuse, il s’agit là d’une habitude de nombre de journalistes d’employer ce terme pourtant peu adapté afin d’évoquer les manifestations, d’une façon générale. Acrimed, une association de critique des médias, s’était penchée sur la question en mai 2003, à l’occasion des manifestations sociales de l’époque dans « La "grogne" : grévistes et manifestants sont-ils des animaux ? ». Arno Gauthey y rappelait notamment que « les journalistes professionnels sont des professionnels du langage. Leur pouvoir de nomination est fort. Le fait qu’ils utilisent tel terme plutôt que tel autre produit des effets considérables. »
Un préalable nécessaire à ce stade de l’analyse recommande de se renseigner sur la signification lexicographique des grognements. Pour cela, nous avons consulté le Trésor de la langue française informatisé (TLFi), via le site du CNRTL — nous en profitons d’ailleurs pour vous recommander chaudement ces outils. On y apprend deux définitions du verbe grogner. La première est en fonction du sujet concerné :
Pousser son cri, si le sujet désigne le porc, le sanglier, l’ours ;
Émettre une sorte de grondement, si le sujet désigne un autre animal ;
Faire entendre un bruit sourd, si le sujet désigne une chose ;
Émettre un bruit sourd, des sons inarticulés, si le sujet désigne une personne (exemples : Son mari grognait de douleur dans son sommeil (Zola, Germinal, 1885, p. 1358) ; Elle bâillait énormément, à se décrocher la mâchoire… Ouah ! Ouah ! qu’elle grognait à travers la nuit (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 259).
La deuxième définition s’applique exclusivement à une personne :
Manifester un sentiment, notamment son mécontentement, par des sons ou des paroles plus ou moins articulées.
Les synonymes proposés pour cette dernière définition sont les suivants : bougonner, maugréer, pester, ronchonner. Si l’on s’intéresse maintenant à la grogne, le TLFi nous indique que cette expression, familière, évoque « mécontentement, mauvaise humeur exprimée généralement en grognant ». Ses synonymes : bougonnement, grognerie, pleurnicherie . Arno Gauthey expliquait sur Acrimed :
Un mot fait généralement partie d’un champ lexical qui va en partie conditionner ses connotations. Dans le cas de « grogne », ce terme évoque bien vite : grognard, grognasser, grognement, grogner, grognon, grognonne, grognonner et bien entendu : groin. À leur origine, on trouve grunditus, substantif latin qui désigne un des sons émis par les porcs. Cette étymologie est directement présente dans grognement […] et dans grogner (cf. les définitions présentées ci-dessus).
Le monde se divise en deux catégories : ceux qui parlent, et ceux qui grognent. Un supporter, ça grogne !
La fin de la démonstration d’Acrimed étant politique, nous nous contenterons d’en synthétiser les parallèles avec notre choucroute, en vous invitant à lire l’article dans son intégralité sur le site de l’association :
En caractérisant le mouvement des associations de « grogne », L’Équipe tend à discréditer ces actions. Le message implicite est qu’il s’agit d’une perturbation anodine, d’une « pleurnicherie », mais pas d’une revendication légitime.
Ces connotations ne sont pas explicites (il n’y a pas trace de condamnation en bonne et due forme des manifestations contre la hausse des tarifs), elles sont peut-être même involontaires. Le fait est qu’elles accompagnent pourtant l’information (l’existence de ces manifestations), et influencent ainsi leur perception par les lecteurs du quotidien sportif français.
Surtout, elles renvoient à la distinction entre d’un côté les acteurs qui discutent, négocient (dirigeants, joueurs, sponsors, actionnaires…) ; et de l’autre ceux qui ne sont bons qu’à grogner (pleurnicher, bougonner, émettre des sons inarticulés, faire part de sa mauvaise humeur…).
Le PSG perd 12 M€ par an sur la vente d’abonnements
Pour finir, nous avons encore une chose à redire concernant ce bref article de L’Équipe :
Début juillet, le Parisien estimait que le déficit du Paris SG en 2007/2008 serait de l’ordre de 12 à 14 millions d’euros. De là à penser que la hausse de quelques dizaines d’euros des abonnements en virage permettra de combler de tels montants… Il y a un pas que seul un journaliste peu attentif peut franchir — ce peut être également le résultat d’une coupe trop rapide, mais le résultat est quoi qu’il arrive désastreux.
Il fallait bien sûr comprendre : le PSG estime que cette nouvelle grille tarifaire lui permettra de ne plus perdre d’argent sur la vente d’abonnements en virages rouge, ce qu’il juge d’autant plus important qu’il a perdu plus de 12 M€ la saison passée. Pour comprendre ce dernier point, et plus globalement la protestation des supporters, David Fioux n’ayant pas concrétisé son ambition de « revenir aux origines du mouvement », nous nous y sommes attelés. Vous êtes cordialement invités à lire l’article Abonnements trop chers ? Les raisons de la colère.