Un bel exemple nous est donné avec Valeurs actuelles, l’hebdomadaire « libéral de droite » diffusé à près de 90 000 exemplaires. Dans son édition du 18 avril 2008, Valeurs Actuelles pose son regard sur les tribunes parisiennes, rubrique Société, dans un article intitulé « Un soir au parc des Princes ». Le reporter Vladimir de Gmeline y raconte sa brève immersion — le temps d’une soirée — dans le monde des supporters. Comparé à d’autres, le récit de Vladimir apparaît plutôt factuel, modéré et nuancé. S’il ne comprend manifestement pas la passion de ses voisins de tribune, il a au moins le mérite de ne pas verser volontairement dans la caricature. Ce qui n’empêche pas les approximations…
Précisons d’emblée que ce récit évoque le match PSG 2-3 Nice, qui a eu lieu dimanche 13 avril 2008.
Les fantasmes et les peurs du reporter
Mauvaise nouvelle : ses vérifications auraient mérité d’être vérifiées à leur tour…
Reprenons :
une « grande banderole » déployée « le long de la tribune d’Auteuil », c’est en fait une petite banderole déployée sur la bâche des Supras, qui couvre environ un cinquième de la largeur du virage.
- Wir sind die Supras, wir sind die Horde
Ô Ville Lumière, symbole de virilité tendancieuse ? Voilà qui est original, bravo Vladimir !
Horde ? Supras ? Des mots qu’on ne connait pas ? Sans doute des fachos assoifés de violence. Et en allemand en plus… (ajouter une note de bas de page : l’Allemagne, le pays du nazisme) Ajoutez à cela des « bras tendus » (éviter toute précision qui pourrait permettre de lever l’ambigüité sur ces gestes [1]) et — ô mon Dieu — des tambours, avouez qu’il y a matière à se poser des questions. L’honnêteté intellectuelle nous oblige toutefois à rappeler que, dans un tel cas de figure, TF1 ajouterait des images de hooligans espagnols faisant des saluts nazis et Le Monde une croix gammée au milieu d’un dessin représentant les supporters parisiens ; comparé à ses confrères, Valeurs Actuelles parait ainsi particulièrement mesuré en se contentent d’insinuer les choses…
Les « Supras » sont présents partout en Europe, mais seulement pour supporter le Paris SG en déplacement : Supras, c’est la contraction de « supporters » et « ultras ». Confondre Supras et Ultras n’est pas grave en soi ; ça l’est plus quand il s’agit d’informations censées avoir été « vérifiées ». Passons…
La « visite des cousins d’outre-Rhin » s’interprète peut-être différemment si l’on précise d’une part que les amitiés et les jumelages entre associations ultras de différents pays sont courantes, et d’autre part que ce match marquait le cinquième anniversaire de l’amitié entre les Supras et la Wilde Horde, une association de supporters de Cologne [2]. De là à évoquer la légende germanique du XIIe siècle pour conclure sur « quelque chose de passablement étrange » qui « ne met pas très à l’aise », il n’y qu’à féliciter la fertile imagination du reporter de Valeurs Actuelles — ou sa capacité de divagation.
Preuve du malaise, la banderole est « d’ailleurs » vite retirée. Mais si elle avait tout simplement été retirée par les supporters eux-mêmes ? Vladimir connaît la parade : il suffit de suggérer l’hypothèse — fausse — que ce retrait est peut-être dû au « service d’ordre du stade », le doute ainsi induit permettra de laisser planer un sentiment « passablement étrange » qui « ne met pas très à l’aise » aux lecteurs n’ayant pas eu la chance de sentir le souffre d’aussi près que le reporter de Valeurs Actuelles.
Dommage que l’hebdomadaire libéral n’ait pas d’iconographe digne de ce nom, les lecteurs auraient pu juger eux-mêmes cette grande banderole qui ne met pas très à l’aise ; au lieu de ça, c’est un traditionnel gros plan sur deux drapeaux français brandis en tribune Boulogne.
Un folklore incompris, des poncifs renforcés
L’article se poursuit de manière plus factuelle. Il raconte les cadavres de canettes de bière à proximité du stade, les jeunes fascinés par l’ambiance dans les virages voisins, les insultes envers les supporters adverses ou l’arbitre et enfin la présence de filles dans les gradins (« elles aussi insultent assez bien »). Un dernier regret néanmoins : après avoir à peine évoqué le folklore des stades deux paragraphes plus haut, Vladimir choisit d’insister une nouvelle fois sur la grossierté des mots entendus aux abords du stade. Rien d’autre ne méritait donc d’être relevé qu’un simple mot, anecdotique, banal et sans aucune portée ? « Fin de match. Dans la rue, il pleut des cordes et les supporters parisiens repartent déçus, forcément : “Mener 2-1 et perdre 3-2, faut vraiment être une équipe d’enc…” Décidément, c’est une fixation. » Une fixation, oui. Mais pour qui ?
Au final, cet article nous laisse un goût amer : si, comme nous le disions en introduction, le but ne semble manifestement pas une stigmatisation particulière des supporters, son auteur se laisse porter par ses fantasmes, ses peurs et ses a priori, survolant les inconnues sans chercher à les comprendre. Pire, en assurant à ses lecteurs qu’il a effectué des vérifications — un travail de journaliste théoriquement banal —, ceux-ci ont dû légitimement juger fiable cet exposé imprécis et incomplet sur un monde dont on peut penser qu’il leur est étranger…
Construit sur les poncifs de son reporter, l’article de Valeurs actuelles s’avère finalement instructif pour les personnes capables de pointer ses erreurs, mais dramatique pour le reste du monde : en reproduisant les clichés habituels, ce reportage ne fait que les ancrer encore plus solidement dans l’esprit de ses lecteurs. Pas volontairement caricatural donc, mais tristement dans l’air du temps… Le même jour, les Lutèce Falco déployaient une banderole indiquant « démagogie, désinformation, hypocrisie, sensationnalisme et antiparisianisme : bienvenue chez les médias » [3]. Valeurs actuelles n’en parlera pas…
Un soir au parc des Princes Vladimir de Gmeline, le 18-04-2008
Belle nuit humide, stade éclairé, légère odeur de haschich, le match a commencé il y a cinq minutes. Face à Nice, le PSG joue son maintien en Ligue 1. Nous sommes dans la tribune H, à gauche du virage d’Auteuil. En face, celle de Boulogne, fief du Kop et des célèbres Boulogne Boys, soupçonnés d’être impliqués dans l’affaire de l’inscription « Pédophiles, chômeurs, consanguins, bienvenue chez les Ch’tis », lors du match face à Lens, le 29 mars. Si leur dissolution prochaine est annoncée,ce soir leurs couleurs s’affichent encore sur toute la largeur du stade.
Le long de la tribune d’Auteuil, une grande banderole est déployée : « Wir sind die supras, wir sind die Horde ! » (“Nous sommes les supras, nous sommes la Horde !”). Une “horde”, des “supras”, tout ça en allemand, avec des chants un peu “virils” (« Ô Ville Lumière sens la chaleur de notre coeur/Vois notre ferveur quand nous marchons près de toi/Dans cette conquête, chasser l’ennemi/Enfin pour que nos couleurs brillent encore »), des tambours et des bras tendus,on se dit qu’il va peut-être falloir songer à rejoindre Londres,au cas où… Vérification faite, les “supras” sont présents partout en Europe,et ceux de Cologne s’appellent Die wilde Horde, “la horde sauvage”. Sans doute une visite des cousins d’outre-Rhin, l’Europe en train de se faire… Reste que ce côté “Internationale des Nibelungen” a quelque chose de passablement étrange et ne met pas très à l’aise. La banderole est d’ailleurs vite retirée,par le service d’ordre du stade ou par les supporters euxmêmes.
Un match du PSG,c’est une question de curseur : si l’on n’est pas habitué, c’est un peu spécial. Dans le cas contraire, c’est juste “folklorique”. Les chants, les symboles, la gestuelle des groupes de supporters semblent au profane un peu martiaux. Eux mettent surtout en avant des valeurs de “fidélité aux couleurs”, “fraternité”, et “l’effacement de l’individu au profit du collectif”. Et il en faut, des valeurs et de l’amour,pour supporter un club dont la descente aux enfers semble avoir du mal à s’arrêter depuis quelques années. Dans le métro,peu avant le match, les fans en écharpe bleu et rouge se pressent les uns contre les autres. Des aficionados qui commentent inlassablement le championnat et ses rebondissements, avant de se diriger vers le stade ou de faire une halte aux Trois Obus, la grande brasserie de la porte de Saint-Cloud.L’alcool est interdit dans l’enceinte du Parc, il s’agit donc de faire le plein avant.
Il y a des filles dans les stades, elles aussi insultent assez bien
Tout autour de l’enceinte, le sol est jonché de canettes de bières et de bouteilles de whisky. À l’entrée du Kop, les “stewards”, la sécurité du PSG,épaules de 2 mètres d’envergure et coupe-vent rouge : « Pour cette tribune, il faut un abonnement ! » Gentils, mais pas tous à jeun non plus…
Comme souvent cette saison,le match est une catastrophe pour les Parisiens. Après avoir mené 2-1, ils perdront 3-2. Il y a des pères avec leurs fils,une mère qui semble se demander ce qu’elle fait là, et un garçon de 12 ans tout au plus, bonnet blanc sur la tête, qui fait des doigts d’honneur en direction des Niçois et insulte l’arbitre en évoquant des pratiques,disons,contre-nature.À côté, son père et ses frères. Le garçon tape dans ses mains et jette régulièrement un oeil en direction des tribunes, calquant ses gestes sur ceux des supporters. Il y a des filles dans les stades de foot aujourd’hui, elles aussi insultent assez bien,notamment les joueurs de l’équipe adverse lorsqu’ils repartent sur un brancard. Comme les Niçois gagnent, ils sont contents et le montrent. Ils ont un drapeau sudiste, et l’on peine à trouver le rapport entre Niçois et confédérés américains. En tout cas, les Parisiens trouvent vraiment que ce sont des « enc… » et le leur font savoir.
Fin de match. Dans la rue, il pleut des cordes et les supporters parisiens repartent déçus, forcément : « Mener 2-1 et perdre 3-2, faut vraiment être une équipe d’enc… » Décidément, c’est une fixation.