La philo, on sait tous comment ça se passe : toute l’année, on jette des boulettes de papier sur le prof barbu qui gesticule sur l’estrade. Les jours d’évaluation, on sort ses cours sous le nez de la petite prof toute timide à lunettes collection Afflelou automne hiver 1974/1975. Et à partir de mai, on sèche pour aller bronzer sur une pelouse en face du bahut, et tenter vainement d’échanger quelques fluides corporels avec une camarade de classe. La philo, finalement c’est plutôt tranquille. Enfin jusqu’à ce que l’on découvre les sujets le jour de l’épreuve. Parce que là, soudain, on regrette.
Tenez, par exemple découvrez en exclusivité quasi véridique comment Arnaud Hermant s’est retrouvé hier matin, penché au dessus de sa copie, la bouche sèche, et le front suant. Alors qu’à choisir il aurait préféré le contraire.
Convocation : 7h40 (du matin !). Un peu stressé, Arnaud Hermant s’est présenté pile à l’heure, sa carte d’identité dans une petite pochette plastique préparée la veille. Et re-préparée à minuit, parce qu’il avait rêvé qu’il l’avait oubliée. Puis re-re-vérifiée à 6h00, avant de partir. Tout ça pour que le surveillant se foute de sa gueule, vu que la carte d’identité en question date de 2005 et du fameux voyage familial en Tunisie, quand c’était la mode des coupes Tecktonik. On ne devrait jamais se faire prendre en photo au collège.
8h00. Le journaliste du Parisien est seul à sa table, et attend son énoncé. Brouhaha au loin : le proviseur a évidemment choisi de débuter sa distribution par l’autre bout du couloir…
8h04. Alors que tout le monde stresse, le surveillant est parti montrer la carte d’identité de Hermant au prof qui s’occupe de la salle d’à côté.
8h12. Pour la sixième fois, un enseignant rentre hilare dans sa salle pour demander qui est Arnaud Hermant. Toujours pas de sujet.
8h14. Distribution :
Sujet 1 : l’arrivée de Leonardo est-elle un nouveau départ ?
Sujet 2 : pensez-vous que plus on a de sous, plus on Qatari ?
Sujet 3 : étudiez ce texte du philosophe Laurent Paganelli…
Vous avez quatre heures.
Rapide calcul mental. Le bac est sur 380 points, avec trois points de retard en épreuves anticipées, plus le sport où Arnaud Hermant a eu 12… Euh… Ah, tiens ! Contrairement à sa première impression, même avec un zéro en philo, on n’est pas sûr d’échouer dès la première épreuve. Bon, alors Paganelli, le prof barbu a dû parler de ça en mai quand Hermant découvrait les émois printaniers, parce que là, vraiment, ça lui dit rien à notre journaliste. Ou alors il était hypnotisé par son taille crayon et n’a rien écouté. Possible : parfois les cours de philo ça rend un peu bizarre. Le deuxième sujet, avec les Qataris, Hermant pourrait prendre, mais est-ce qu’à court terme il ne risquerait pas de faire un hors-sujet à la Laurent Blanc ? On se retrouve vite à expliquer que les Arabes, ça signe des gros chèques et ça aime le dribble, mais physiquement, ça tient pas 90 minutes, et après tout le monde gueule qu’on est raciste. Pas facile de choisir…
Au bout d’une heure passée à élaborer des super plans de dissertation sur la base de synthèse-antitèse-machin, le journaliste se décide donc pour le sujet 1. Leonardo. Et voilà ce que ça a donné, quand il a fallu rendre sa feuille, à midi : « Le rôle de Leonardo au PSG se précise ».
Alors évidemment, lu comme ça, on se dit que c’est nul, et que Hermant va se taper un quatre sur vingt. Mais s’arrêter à la première impression serait injuste pour ce jeune élève. Et puis il faut se mettre à sa place. Tenez, prenez l’intro :
Moralité, Hermant se retrouve déconcentré, et explique que l’arrivée de Leonardo ne sera « pas officialisée tout de suite »… ou qu’au pire elle aura lieu « en fin de semaine ». Sachant que l’on était un jeudi au moment de la publication de l’article, ça fait forcément un peu bizarre. Donc soit Hermant ne sait pas ce qu’est une fin de semaine, soit il ne comprend pas le sens exact des mots « tout de suite », soit il ne sait rien et raconte n’importe quoi. Et voilà ce qui arrive quand on a passé l’année à faire mu-muse sur les bancs de la tribune de presse du Parc des Princes au lieu de suivre les cours de prof Kombouaré ! Le jour du bac, on a l’air d’un con. Passons à la suite :
Ah ! Ça c’est bien ! Une référence à un auteur classique. Très important, bien joué. Alors évidemment, le mieux aurait été de donner la citation de Moratti. Mais pour cela, il aurait fallu faire des recherches, apprendre ses leçons, enfin bref, bosser un peu. Non, là Hermant, pris de court, préfère parer au plus pressé et balancer du Moratti sans donner ni source ni propos exacts. À la place, une très jolie faute de concordance des temps : « Hier les déclarations se veulent… ». Ouille. Il y en a un qui n’est pas prêt d’avoir son bac !
Et pendant ce temps-là Touboul qui n’arrête pas de gratter à côté ! Il est agaçant le Touboul, avec sa bouteille d’eau au bouchon « sport », qui glougloute dès qu’il boit une gorgée ! Ça fait quoi ? Trois copies doubles qu’il redemande au surveillant ? Bon sang, mais qu’on lui file tout le paquet à celui-là, il nous énerve à la fin ! Comment voulez-vous vous concentrer dans de telles conditions ? Alors, voyons le reste…
Attendez, mais si je bosse demain, je finirai par le savoir hein ! Quoi ? Il n’y a plus philo demain ? C’est ballot alors… Non mais en tous cas, maintenant que Leonardo va venir travailler au PSG, Hermant est formel : il va prendre une part du travail de ceux qui bossaient là avant lui.
Ça c’est quand même de l’info : pour ceux qui croiraient que le Brésilien serait payé à ne rien faire, eh bien non ! Il va vraiment travailler ! Et donc comme avant il n’était pas là, et que forcément l’an passé au rayon sportif Kombouaré, Roche et Leproux s’occupaient de tout, cette saison il faudra que Leonardo empiète sur leurs prérogatives. Bien joué Arnaud, je suis sûr que personne n’y avait pensé avant toi ! Ça c’est de l’esprit déductif. Tu marques des points là.
Le meilleur pour la fin. Reste à lire le sommet de la copie de l’élève du Parisien :
Voilà voilà. Donc, pour résumer, Leproux sait ce qu’il doit faire, ou pas ; et les Qataris ne vont pas faire des folies financières, ou finalement peut-être que si. Et ça a suivi des cours de philo pendant un an ? Parfois, on se demande pourquoi on continue à payer les barbus en pantalon de velours côtelé, si c’est pour que des Hermant finissent leur lycée avec un niveau aussi indigent.
Ça sent la convocation à l’oral de rattrapage.