Le 10 février dernier, à la faveur du match opposant l’Équipe de France et celle d’Argentine au stade Vélodrome de Marseille, RMC investissait l’OM Café pour une série d’émissions spéciales. En point d’orgue, l’After Foot donnait la parole à Éric Di Meco afin qu’il expose pourquoi, selon lui, le titre de champion de France 1992/1993 devait être réattribué aux Phocéens.
- After Foot du 10 février 2009
Voyons pourquoi les arguments avancés par l’ancien défenseur de l’OM et de l’Équipe de France n’ont pas convaincu.
Marseille, champion des services rendus
La première ligne de défense d’Éric Di Meco tient aux services que le club marseillais aurait rendus à l’ensemble du football français.
Di Meco : En 1994, après la défaite face à la Bulgarie, quand l’Équipe de France était en lambeaux avec des joueurs qui ne voulaient plus y jouer, Aimé Jacquet a rappelé une demi-douzaine d’anciens de l’OM car ici il y avait l’esprit de la gagne. Ensuite il remportera la coupe du monde avec trois Marseillais. […] Quand en 1998 Didier Deschamps lève la coupe et dit aux Français qu’on l’a gagnée grâce à l’OM, car c’est là-bas qu’on a appris l’esprit de compétition, de gagne… voilà, je me dis qu’à un moment donné ces gens-là ont oublié ça. Peut-on être entendu, nous [les joueurs de 1993] ?
Ce fameux esprit de la gagne, Di Meco y revient plusieurs fois lors de cet After. Insufflé à tous par les Olympiens, il vaudrait bien que l’on passe l’éponge sur quelques arrangements avec des joueurs adverses… Mais pour commencer, encore faut-il évaluer dans quelle mesure l’OM a effectivement servi le football français.
Il semble évident, même vu de Paris, et malgré les contentieux qui opposent les deux clubs, que l’on se doit de rendre aux Marseillais ce qui leur appartient. À l’image des Stéphanois en 1976, ils ont tiré le football hexagonal vers le haut, prouvant par l’exemple qu’il était possible d’accéder aux derniers tours d’une coupe d’Europe. Sauf qu’en plus, les Phocéens sont allés au bout, et ont gagné. Ce qui changeait tout dans une France alors quasi vierge de titres continentaux.
Michel Denisot lui-même a reconnu plus tard que l’Olympique de Marseille avait en quelque sorte levé certaines inhibitions, et que le PSG en avait profité dans ses épopées continentales. S’ils ne sont pas les seuls, ni les premiers à avoir montré la voie, il faut reconnaître que les coéquipiers de Di Meco ont bien, comme le dit l’ancien défenseur phocéen, su écorner une mentalité de perdants…
Maintenant on peut aussi examiner le pendant de l’affaire : la volonté de s’imposer, oui, les Marseillais l’avaient, et ils l’ont communiquée à d’autres. Mais cette soif de vaincre, jusqu’où fallait-il la pousser ?
Sans revenir sur le fait que trois Marseillais vainqueurs de la C1 de 1993 ont soulevé la coupe du monde — car après tout on peut également exhiber deux Parisiens de 1996 parmi les champions du monde, et partir alors dans une guéguerre visant à établir la liste des mérites dus à un club ou l’autre —, mieux vaut s’intéresser au raisonnement du défenseur marseillais : faut-il rendre le titre, pour services rendus à la Nation ?
On comprend bien que le joueur qui a honnêtement fait son travail se sente floué par une décision qui le prive d’un titre. Surtout s’il repense aux sacrifices consentis pour, d’autre part, porter le maillot du pays dont les dirigeants le condamnent. Le hic, c’est que l’on ne peut tout mélanger !
Certes, Marseille a apporté, mais à quel prix ? De la même manière qu’un athlète courant le relais 4 fois 100 mètres, irréprochable et déjà titré en individuel, pourrait légitimement se plaindre de se voir retirer une médaille d’or pour le dopage d’un coéquipier malhonnête, l’affaire OM-VA, bien que due à d’autres que Di Meco, ne peut-être balayée. L’athlète vainqueur du 100 mètres, lui aussi évoquerait ses efforts, son travail, et la gloire que son pays serait bien content d’avoir gagnée grâce à ses sacrifices… Et pourtant, si un relayeur a fauté, c’est tout le relais qui tombe [1].
Là, il s’agit du même raisonnement, et Daniel Riolo le rappelait fort justement.
Riolo : Tu ne nies pas que l’affaire du yacht est vraie… Sur un yacht, un dimanche matin, il y a eu Tapie, Bernès, Deschamps, Desailly et Eydelie pour arranger un match. De l’argent a été mis, des joueurs ont été contactés par téléphone. Il y a eu tentative de corruption. Il y a des témoins, tout a été prouvé et jugé…
Quoiqu’il en soit, la réponse éclaire les propos de Di Meco d’une angoissante lumière : certes, Marseille a bâti une certaine culture de la victoire, sur laquelle d’autre ont ensuite fait leur nid. Mais comment s’empêcher de se demander : à quel prix ? Jusqu’où fallait-il aller, puisque même l’international ne s’en défend pas, eux sont allés trop loin… La faute est là, Di Meco le reconnaît. La compétition est donc faussée.
Eh bien non, car pour l’ex-international, ce match arrangé ne change rien à l’affaire.
Même si Marseille n’avait pas triché…
Deuxième axe de défense, l’analyse des totaux de points. Pour Di Meco, même si le match VA-OM n’avait donné lieu à aucune malversation et s’était soldé par une défaite, Marseille aurait tout de même devancé le PSG au classement final.
Di Meco : Il y a un match qui est entaché de tricherie, mais tu enlèves le point de ce match-là et tu es toujours premier.
Précisions que l’argument sera repris, tel quel, par un supporter interrogé plus tard dans l’émission (30 min 30). Il est pourtant inacceptable, et ce à plusieurs titres. Tout d’abord parce que l’on ne réécrit pas l’histoire. Oui, Marseille termine officiellement avec 53 points et Paris 51 [2], alors même que les points de la victoire 1-0 (but de Boksic) lui ont été retirés. Et donc même en cas de défaite de Marseille à Valenciennes lors de la 36e journée, si l’OM avait ensuite battu le PSG lors de la 37e comme ce fut le cas en 1993, il aurait finalement été sacré champion.
Mais il y a ce si, qui éboule à lui seul les fragiles fondations du raisonnement des Marseillais. Car cette 37e journée qui verra Marseille sacré, les Olympiens ne l’ont pas abordée avec seulement deux points d’avance sur le PSG, et donc la possibilité d’être rejoints en cas de défaite, comme on peut le voir sur les classements officiels du site de la LFP. Non, ce match Marseille - Paris SG de 1993, les Marseillais l’ont joué avec quatre points d’avance [3], et une différence de buts favorable, à deux journées de la fin. Autant dire dans la peau de champions quasi certains, avec la victoire à deux points d’alors.
Mais si l’OM avait perdu à Valenciennes, il aurait alors fallu disputer la rencontre dans d’autre dispositions psychologiques, avec notamment la possibilité de voir Paris rattraper Marseille… avant un tout dernier match à l’extérieur pour l’OM, et à domicile pour le PSG. Autrement dit, Marseille aurait subi une pression bien plus intense qu’après la victoire acquise à Valenciennes, et les joueurs n’auraient pas disputé ce match dans le même état d’esprit.
Di Meco affirme qu’au vu de se qui s’est passé ensuite, au final une défaite à Valenciennes n’aurait rien changé. C’est faux. On a vu des équipes se déliter après un revers anecdotique, comme le FC Barcelone de cette année, incapable de mettre un pied devant l’autre après avoir chuté face au dernier du classement. Marseille aurait pu tout perdre. Coupe d’Europe, et championnat. Nul ne le saura jamais.
Mais surtout, il y a l’éthique. Di Meco refuse cet argument soulevé par un Daniel Riolo décidément plein d’à propos, et il le fera de manière plutôt surprenante, mettant en avant d’étranges valeurs :
Di Meco : On va en parler de l’éthique du sport ! Ça fait longtemps que tu es dans le foot et tu me parles encore d’éthique du sport ? Alors toi quand tu vois un match dans la dernière journée de championnat qui se gagne 9-0 pour être champion au goal-average, c’est l’éthique du sport ? Et ça, ça a existé dans les années 1970, va voir tes archives ! Et quand tu vois Feindouno en 1999 faire un une-deux avec Llacer pour empêcher l’OM d’être champion de France, tu me parles d’éthique du sport ? (applaudissements) C’est tout, voilà ! […]
29 min 50 Il y a des tabous. Moi quand je vois qu’en 1998 on bat la meilleure équipe du monde 3-0 et que l’attaquant en face sortait de l’hôpital, je dis qu’il y a eu un problème. Mais ce match s’est gagné, et voilà, c’est tout.
Jamais Paris n’a laissé filer ce match, même si certains supporters parisiens l’auraient souhaité, le scénario de la rencontre et la beauté d’un dernier but amené par un Feindouno qui en marquera bien d’autres par la suite le prouvent bien.
Quoiqu’il en soit, selon Di Meco la fin justifierait les moyens. Mais quelle porte ouvre-t-il là ? Celle du dopage, de la triche, des arrangements ? La victoire à tout prix ? Cela existe, cela a toujours existé, donc on continue à faire le métier comme on dit dans le cyclisme ? Allons, ce n’est pas sérieux. Qui peut vouloir de cette idée de la compétition ?
Dans le même ordre d’idée, Éric Di Meco se défend également en affirmant que pour lui, ce match VA-OM s’est déroulé normalement, ou presque :
Di Meco : Je reste persuadé que ce match-là s’est gagné normalement, et je ne nie pas la tentative de corruption… qui a avorté finalement puisque cela s’est su avant. Et moi en face de moi j’ai eu un mec à qui j’ai mis des coups pendant une heure et demie et qui me les a rendus pendant une heure et demie.
30 min 40
Bribois : Le titre n’est-il pas entaché ?
Di Meco : Des titres j’en ai gagné quatre autres avec l’OM. J’ai fait tous les matches de cette année-là et j’ai toujours fait les mêmes efforts. J’avais en face de moi Wilfried Gohel, on s’est filé des gnons pendant une heure et demie et ce garçon avait envie de gagner. On ne s’est pas fait de cadeaux.
Malgré la tentative de corruption, pour le défenseur marseillais la partie aurait donc donné lieu à un affrontement tout ce qu’il y a de plus normal. La preuve, Wilfried Gohel et lui ont bataillé quatre-vingt-dix minutes.
Mais l’argument ne tient pas la route : chacun sait en effet que la corruption ne visait pas l’ensemble de l’équipe valenciennoise, mais uniquement Jacques Glassmann, Jorge Burruchaga et Christophe Robert. Pourquoi alors Wilfried Gohel, dont parle le Marseillais, aurait-il levé le pied ? Lui n’avait pas reçu le moindre centime. À ce compte-là, il serait fort singulier que Di Meco ait remarqué un comportement anormal chez son adversaire direct. En revanche, si Éric Di Meco avait cru bon de rappeler quel avait été le comportement d’un Christophe Robert, là les auditeurs y auraient sans doute trouvé de l’intérêt. Sauf que l’histoire ne va pas tout à fait dans le sens de l’Olympien, puisque Robert, dont Di Meco — soudainement amnésique — ne parle pas, sortira sur une blessure lors de la première mi-temps de ce match. Blessure dont on ne saura jamais si elle résultait d’une simulation ou pas. Et pourtant Éric Di Meco n’était pas loin de l’action, car c’est suite à un de ses fameux tacles par-derrière que Christophe Robert quittera le terrain.
Autres éléments prouvant que ce Valenciennes - OM s’est joué dans un climat délétère, les aveux de Robert deux ans plus tard, dans les colonnes de L’Express :
Vers 17h30, M. Coencas, président du club de Valenciennes, est venu dans ma chambre pour me demander si j’avais été contacté par Marseille. J’ai nié avoir été contacté, car nous avions décidé tous les trois de n’en parler à personne. M. Coencas était très en colère. Il m’a d’ailleurs menacé verbalement de me tirer une balle dans le genou. Il est aussi allé voir Burruchaga. Suite à cela, je n’ai pas rendu l’argent.
On comprend que, dans ces conditions, Christophe Robert ait éprouvé quelques difficultés à évoluer sereinement lors de ce match. Match qui rappelons-le selon le défenseur de l’OM s’est « gagné normalement »…
Bilan, pas grand-chose de nouveau sous le soleil. Éric Di Meco admet qu’il y a eu corruption et parle même de « tricherie ». Pour lui elle n’a pas été effective… Voilà une finesse qu’il est bien délicat d’appréhender, surtout quand on se remémore l’ambiance dans laquelle s’est déroulée la rencontre, avec mise en garde des arbitres au coup d’envoi de la seconde période, dépôt de réclamation et liasses de billets données la veille par Eydelie, joueur de l’OM, à la femme de Christophe Robert. Le défenseur marseillais comprendra que ce que lui considère comme la définition même d’un match normal, c’est-à-dire un pugilat avec son opposant direct, ne nous semble dans ce cadre pas tout à fait suffisant pour faire de cette rencontre une partie de football disputée dans les règles de l’art.
Quant à savoir si, comme le dit le défenseur international, en plus du retrait de son titre de champion et de sa qualification en coupe d’Europe, l’Olympique de Marseille a été trop durement puni [4], cela ne remet en rien en cause le constat de base : quand un individu, une équipe ou un club a été convaincu de tricherie dans une compétition, on peut difficilement le déclarer vainqueur sans bafouer toutes les valeurs du sport. D’où l’incompréhension quand on sait que la LFP laisse aujourd’hui encore l’OM se glorifier de ce titre sur son palmarès, ainsi que sur les en-têtes de ses papiers à lettres et sur son site officiel [5], le tout dans une complète impunité.
En conclusion, les instances du football français ont une nouvelle fois repoussé la demande du défenseur marseillais, et force nous est de verser dans le même sens : malgré les arguments de son défenseur, selon nous Marseille ne mérite tout simplement pas le titre de 1993.
Maintenant, à qui revient-il ? Faut-il le laisser « non attribué », comme il apparaît sur les tablettes de la Ligue ? Pourquoi le deuxième de la compétition n’a-t-il pas récupéré le titre dès la disqualification du premier, comme c’est le cas habituellement ? C’est ce que nous verrons demain dans le prochain volet de cette semaine spéciale PSG – OM : Pourquoi Paris mérite le titre de 1993.