En marge de notre dossier sur le titre de champion de France 1993, nous vous proposons de redécouvrir une chronique du chanteur Renaud, supporter de l’OM, publiée dans Charlie-Hebdo.
À Marseille, « enculé », ce n’est pas une insulte
Finalement vous aviez raison, le foot, ça rend con. […] Il y a environ six ans un voisin m’a proposé de m’emmener au Stade Vélodrome assister à un match de l’OM. J’aime bien le foot (je vous en veux même pas de ne pas l’aimer) et, au début des années 1980, je m’étais déjà fourvoyé dans un stade, en l’occurrence au Parc des Princes, pour soutenir Saint-Étienne puis Lens face au PSG. Puis le drame du Heysel et le hooliganisme en général m’avaient définitivement écœuré de la fréquentation de ces lieux où quarante mille têtes semblent se partager un seul cerveau atteint d’encéphalopathie spongiforme.
Mais, ce jour-là, sensible aux arguments de mon Marseillais de voisin quant à l’ambiance bon enfant qui, selon lui, animait les tribunes du stade Vélodrome, je l’accompagnai. Dans les quarts de virage, au milieu du petit peuple de Marseille, j’avoue que je fus conquis. Lorsqu’un de mes voisins de gradins cria à l’arbitre « Salaud ! » une dizaine de supporters se tournèrent vers lui avec des « Ohhh ! » indignés. « Soyez poli quand même, pas la peine de l’insulter ! » déclara un vieux à l’intrépide. « Eh ça va ? Tout à l’heure vous le traitiez d’enculé ! » Le vieux répondit alors avec l’accent du Vieux Port : « Ah mais, c’est pas pareil, enculé c’est pas une insulte, c’est son prénom ! »
Les gentils marseillais contre les nazillons parisiens
Je retournai alors régulièrement au stade et je rigolai bien. Marseille brilla pendant plusieurs saisons, affronta les plus grands clubs d’Europe et remporta la coupe au grand désespoir des Parisiens qui courent encore après. Pour une fois, c’était le Sud, Marseille la pauvre, la Méditerranéenne, la cosmopolite (la magnifique), qui faisait la nique à la capitale bourgeoise et arrogante.
Seule ombre au tableau de ma satisfaction, Bernard Tapie, que, décidément, malgré le prestige dont il bénéficiait à Marseille, je ne pouvais pas encadrer, trop attaché que je suis à la morale et l’honnêteté. Les magouilles de celui-ci amenant l’OM au purgatoire de la D2, le show-biz, les médias, les chroniqueurs sportifs, tels des rats quittant le navire en détresse, commençant à baver sur cette Marseille qu’ils avaient adulée quelque temps auparavant, mon intérêt se transforma en acharnement. Je pris ma carte d’abonné du virage sud et m’intégrai chez les Winners, le club de supporters où mes potes Rachid, Moïse et Christian affichent des drapeaux du Che, des banderoles « Stop nazis ! » et des drapeaux israéliens, comme un défi aux nazillons du Kop de Boulogne du PSG [1].
La violence des anti-Parisiens primaires
Depuis quelques mois une jeune journaliste de Téléfoot, Marianne Mako, ayant eu vent de ma présence régulière chez les Winners, souhaitait m’arracher quelques mots d’interview. La semaine dernière, à l’occasion d’un match contre Auxerre, je finis par céder à son insistance et lui proposai de la rencontrer trois minutes dans un bistrot près du stade. Comme je suis trop gentil ou trop con, j’acceptai qu’elle et sa petite équipe, caméra et son, me suive pour filmer mes réactions durant tout le match.
Arrivés au virage sud, au milieu de mes potes, elle se fit bien un peu chambrer, cinq mille voix entonnant sur l’air des lampions « Marianne Mako est à genoux devant nous et elle nous suce le bout ! » Mais elle ne s’offusqua point de ce fantasme collectif si ouvertement avoué. Mieux, elle sympathisa avec les plus acharnés et trouva l’ambiance extraordinaire, chaleureuse et sympathique. Après la défaite (imméritée…), alors que nous quittions le stade et que je lui vantais la fraternité qui régnait dans ces tribunes, que je lui expliquais qu’ici il n’y avait ni racisme ni violence, que je n’avais jamais assisté au moindre baston, elle eut la mauvaise idée de me proposer encore trois mots d’interview, juste pour que j’exprime ma déception après cette victoire des Auxerrois.
Des milliers de personnes qui, dans notre dos, quittaient le stade légèrement dépités, une centaine de braillards hystériques attirés par le projo de la caméra se détachèrent alors pour venir nous entourer, d’abord en chantant leur amour pour l’OM puis leur haine pour la rivale de toujours, Paris Saint-Germain. Jusque-là ce fut bon enfant… Jusqu’à ce qu’un plus excité commence à insulter la journaliste parce que TF1 = Paris, parce que Paris = PSG, même si je suis la preuve vivante que pas forcément. En quelques secondes la foule devint furieuse, le cameraman reçut un bourre-pif, le preneur de son un caillou, Marianne Mako se fit cracher au visage par dix bons enfants et les trois se firent traiter de quelques noms d’oiseaux même pas dans le dictionnaire. Avant qu’ils ne se fassent véritablement lyncher par cette meute hystérique, nous avons tous promptement entamé un repli stratégique vers une autre sortie.
Finalement vous aviez tort. C’est pas le foot qui rend con, c’est la foule.
(photo Marie Astier)