[Billet] Anigo, mon héros

J’avoue que je n’ai jamais vraiment compris à quoi servait Anigo dans l’organigramme de l’OM. J’ai conscience qu’analyser ce qui peut se passer sur la Canebière avec mes yeux de Parisien n’a guère de sens : il faudrait déployer tout l’arsenal d’un anthropologue chevronné pour réussir à comprendre les rites étranges de ces autochtones fiers et ombrageux [1]. Mais chaque fois que ressurgit le chauve vociférant, je ne puis empêcher une part de mon être de verser dans la perplexité : mais pourquoi continuent-ils à payer ce gars, au juste ?

Parce que je pense qu’Anigo est défrayé. Certes, saison après saison, le garçon, un peu brave, semble particulièrement satisfait de toucher l’équipement du club : chaque fois que j’ai le bonheur d’admirer son faciès haineux à la télévision, il arbore non sans fierté ces magnifiques tenues de sport qui lui vont à ravir. Mais il n’est sans doute pas rémunéré qu’en pantalons de jogging blanc et bleu… Non, j’imagine que s’il est certain que son budget livres—musées—théâtre ne doit pas gréver les comptes de son club, Anigo n’en éprouve pas moins le besoin de satisfaire quelques appétits plus terrestres : vu ce qu’il se dépense en gesticulations excitées, il a besoin de manger cet homme ! La cantine du club ne reste sans doute pas ouverte tous les week-ends. Donc, il faut imaginer qu’Anigo perçoit un salaire. Et si ça se trouve, un salaire substantiel en plus : les dirigeants de clubs de foot sont si cons quand il s’agit de dépenser l’argent de leur actionnaire que Mme Dreyfus doit sans doute sortir le chéquier plus qu’à son tour. Amusant, d’ailleurs, d’imaginer que c’est grâce à Margarita qu’Anigo se paye des pastis…

Mais tout de même, que fait notre ami José dans la vie, finalement ? À part sortir de la cabine d’essayage des vestiaires tous les six mois pour nous baver ses inepties, bien sûr. Pas sûr qu’il ait l’usage d’un bureau. Ça économise le prix d’un PC, c’est déjà ça…

Remarquez, on ne peut retirer au bonhomme un certain côté artiste. Comme eux, il verse parfois dans le médiocre et puis, de temps en temps, il tutoie l’excellence. Cette saison, et pour autant que je puisse juger un virtuose comme lui, je trouve que nous sommes plutôt sur un bon cru : il suffit de l’écouter parler des supporters du PSG et de l’OM pour se sentir envahi par un profond respect.

Ce problème appartient au PSG et non à l’OM. Chaque année, c’est le même refrain. Ça commence à être fatiguant. Si le PSG a un problème, qu’il le règle. Nous, nos supporters sont exemplaires depuis le début de la saison. Il n’y a pas de raison qu’on les pénalise ou qu’on les punisse. C’est le président du PSG qui a, lui, des problèmes avec ses supporters. Nous, on n’en a pas. On a un quota de places à avoir et il n’est pas question de le changer.

Le voilà : le spécialiste mondial du marronnier, l’homme qui ne sort de son trou que pour participer au championnat annuel de démagogie. L’entendre expliquer qu’il est fatigué par les soucis récurrents liés aux matches PSG-OM, c’est tout simplement divin. Anigo c’est le rêve de tout salarié : il est aux 35 heures, mais par an. Son job se limite à brailler devant quelques journalistes complaisants pour passer une brosse à reluire tellement grasse dans le dos des supporters marseillais, que même Santos Mirasierra éprouverait le besoin d’aller se doucher après l’expérience [2].

Autant l’avouer, cet Anigo, pour moi, c’est un modèle. Il tient LE boulot ultime. Lèche-pompes officiel et surréaliste des fans marseillais. Tu suis l’équipe, tu balances quelques claques aux adversaires dans les couloirs, de temps en temps tu expliques que les fans de l’OM ils sont trop chouettes, et qu’ils sont prêts à mourir pour leur club [3]. Survêtement ridicule fourni, références exigées, contacter Margarita, rue du Vieux-Porc, Marseille.

Du coup, je m’entraîne, au cas où je parviendrais un jour à décrocher le boulot. J’essaye de me glisser dans la peau luisante du personnage :

— José, vous expliquez que les supporters de l’OM sont exemplaires depuis le début de cette saison, mais l’un d’entre eux n’a-t-il pas été condamné pour avoir agressé dans la rue un fan du PSG ? — Comme par hasard, cette affaire s’est produite face à un Parisien ! C’est le PSG qui a des problèmes. Nous, on est exemplaires. — Mais tout de même, s’il a été condamné… — Un Marseillais, condamné ? C’est bien la preuve qu’il est innocent : regardez le précédent Santos Mirasierra… — C’est-à-dire que Santos, on le voyait tout de même frapper des policiers, sur la vidéo du stade. — Non : son comportement a toujours été au poil. Certes, il est passé à un cheveu de verser dans la violence mais l’OM l’a sauvé. Et depuis, plus besoin de lui passer de savon ! — Oui, ça personne ne peut le nier. Sauf qu’il a depuis lui aussi agressé un supporter parisien, lors d’un déplacement à Lille… — La barbe maintenant ! Le PSG, toujours le PSG : je vous l’avais bien dit, ces gars-là ont des problèmes. L’histoire du pauvre Santos est parsemée de ces interventions de supporters du Paris Saint-Germain, qui viennent comme un cheveu sur la soupe. — Et l’affaire du pompier niçois ? Celui qui a eu la main arrachée par un pétard lancé par un Marseillais il y a quelques années : le PSG est responsable là aussi ? — Non. Mais moi j’ai juste dit qu’on était irréprochables depuis le début de la saison ! — Qui a commencé il y a deux mois… — Eh oh, sur cette histoire de pompier, on ne peut pas jeter l’opprobre sur ce supporter marseillais. Il a purgé sa peine. Tendons-lui la main, au contraire ! J’ai envie de dire « Pouce ! » maintenant. Aidons ce Marseillais, victime de la justice guidée par la capitale. Nous à l’OM, on n’est pas restés les mains dans les poches. Alors que pendant que notre supporter était en prison, dans des conditions de vie difficiles, le pompier n’a pas même levé le petit doigt pour lui. — C’est vrai que c’est égoïste de se tourner les pouces comme ça, alors qu’ailleurs des gens souffrent. — On aurait pu pointer du doigt ce comportement, mais on en n’a rien fait. Notre honneur est donc sauvé, haut la main… — Sinon, le Parisien renversé par une voiture il y a un an ? Personne n’a été condamné là, alors que les vidéos montrent que c’était une tentative d’homicide. — Écoutez, je crois que cette sombre histoire de car-jacking d’un Parisien tentant de voler les affaires d’un innocent automobiliste marseillais sont désormais loin dans notre rétroviseur. L’OM emprunte aujourd’hui la route de la sagesse, pied au plancher. Nos supporters renversent les obstacles avec courage. Donnons leur une chance, faisons que ça roule pour eux ! Marseille est un club différent, il faut prendre en compte ces particularismes locaux. — Oui, je crois que nous avions remarqué. Et donc, comme vous le disiez, vous n’avez aucun problème avec vos supporters. — Non, on en est très fiers.

Oh oui, ce serait trop bon : quand je serai grand, je veux être Anigo, moi aussi. Bon, sans le survêtement, si possible…