Présent à Auteuil rouge dimanche lors du match PSG-AS Roma, Cédric Grocaut confirme les témoignages de Laurent et Stéphane, expulsés du stade pour avoir chanté et être restés debout, que nous avons publiés cette semaine.
Je m’appelle Cédric Grocaut, j’ai 30 ans. Je suis responsable de trésorerie. Je vis à Melun, en Seine-et-Marne. Je suis supporter des Rouge et Bleu d’aussi loin que je me souvienne — je n’y étais pourtant pas prédestiné, étant issu d’une famille pro-lensoise. Je fréquente assidûment le Parc depuis janvier 2007. Après quelques matches en tribunes latérales, j’ai été immédiatement attiré par la tribune G et le Virage Auteuil pour l’ambiance, la ferveur, les chants, les drapeaux, les tifos. Je ressentais cette ferveur, cela me prenait aux tripes, je voulais vraiment être acteur de cette ambiance. Crier, chanter mon amour pour ce club. Communier avec toutes ces personnes dans ce même combat, pour ce même but. Je me suis donc abonné tribune G bleu dès la saison 2007/2008, puis ai migré à Auteuil en 2009/2010.
PSG-Porto : un silence assourdissant
Lorsque je suis arrivé au Parc samedi, j’ai été touché de voir tous les changements : les nombreux barrages de CRS et de stewards dans la rue, avec camionnettes équipées de pare-buffles ; la nouvelle signalétique avec la tribune jaune « familles » et ses accès séparés ; la noria de barrières Vauban sur les marches devant Auteuil ; les fresques effacées dans les coursives — encore plus dur à voir en vrai qu’en photo — ; les murs en plexiglas ; la nouvelle animation « Vous vous z’êtes là ? », l’hymne, Valérie l’animatrice… Et surtout ce silence, pesant.
J’étais à Auteuil rouge samedi, dans le secteur près des visiteurs. À peine arrivé, je découvre des sièges dans un état de crasse incroyable. Ce jour-là, les stewards étaient encore relativement conciliants, j’ai pu rester debout une partie des matches sans qu’on me dise quoi que ce soit. À l’entrée des joueurs, je tends mon écharpe comme d’habitude… et puis rien. Silence de cathédrale. Je n’ai jamais aussi bien entendu la musique de Phil Collins. Autour de moi, je vois plusieurs dizaines de personnes assises, et trois écharpes brandies sur tout Auteuil rouge. Le choc. Le bide… Au début du match, le secteur d’Auteuil à ma gauche tape dans les mains et scande « Paris », ce chant que l’on lance habituellement avec le tambour avant le début du match, ou après s’être pris un but pour relancer l’ambiance. Je commence à reprendre, mais je dois vite m’arrêter, me retrouvant seul, bêtement…
Quelques supporters de Porto chantent ci et là. Je vois — et j’entends — des supporters de Porto encourager leur équipe en R2 à Boulogne rouge. Un groupe de supporters parisiens se met à chanter à la gloire du PSG, puis entonne : « Ferme ta g…, ferme ta g… » et « Ici c’est Paris ». Quelques stewards interviennent, et le calme revient vite. Instinctivement, et s’en m’en rendre compte, je finis par m’asseoir moi aussi, me cale les pieds sur la barre devant, englué dans un silence assourdissant rythmé par quelques sons de vuvuzelas ou timides « Paris » criés par des enfants à l’étage. Mon esprit s’évade, je ne suis plus rien du match. Je regarde régulièrement le temps, cela me paraît interminable. À un moment, je regarde autour de moi : les quelques personnes que j’avais vues debout ont fini par s’asseoir elles-aussi.
Lors de la seconde mi-temps, je suis subitement sorti de ma léthargie par des chants d’insultes envers notre club rival : je m’aperçois alors que tout le bloc de gauche de Boulogne rouge est en train de les scander, et je vois quelques stewards se précipiter en courant vers les coursives. Des provocations de la part de supporters marseillais, apprendra-t-on par la suite. Survient alors le but de Sammy Traoré. Nouveau choc : je bondis de mon siège comme à l’accoutumée, et commence à faire tournoyer mon écharpe. Je regarde autour de moi : rien. Deux écharpes en tout et pour tout à Auteuil rouge, tenues quelques secondes à peine, sans le moindre chant. Même les latérales, pourtant habituées à suivre ce chant rituel après que les virages le lançaient, restent silencieuses.
Après le but, un petit groupe placé en H ou I rouge scande le nom de Sammy. Le Malien leur offrira son maillot à la fin du match. Le public poussera les joueurs avec des « ouais » et des « allez », mais franchement rien de transcendant. C’est donc le cœur gros que je regagne mon domicile. Sans mal de tête ni bourdonnement dans les oreilles, pour une fois…
PSG-Roma : reste assis et tais-toi !
Retour au Parc le lendemain, toujours avec la boule au ventre. Je me retrouve situé dans le même secteur d’Auteuil rouge que la veille, près des visiteurs. Je regarde autour de moi : je n’aperçois que des têtes différentes. Je me place debout contre le muret, tout en bas de la tribune. Je ne gênais personne. Au commencement de Bordeaux–Porto, un steward me demande gentiment de m’asseoir ; je m’exécute. Au passage, il demande également à un couple assis derrière moi de bien vouloir retirer leurs pieds du siège d’en dessous. Nous échangeons quelques mots : ils sont abasourdis. Dans l’autre secteur d’Auteuil rouge — appelons-le R2 —, des supporters de Porto négocient avec les stewards pour l’installation d’une grande voile à l’effigie de leur club. Cela leur sera autorisé. Un autre supporter de Porto à ma gauche use de sa trompette. Comme la veille, l’entraînement des joueurs du PSG devant Boulogne est accompagné par une nuée de photographes en herbe… avec les stewards à leurs côtés, quasiment montre en main. Le même scénario se reproduira à Auteuil avec l’échauffement des Bordelais.
Le Parc se rempli petit à petit, et les supporters de la Roma arrivent dans le parcage visiteurs. Il n’y avait personne devant moi, au premier rang ; je m’avance et me place alors debout le long du siège. Dès que le match commence, un steward me demande de m’asseoir. Je m’avance pour prendre quelques photos : il se plante à côté de moi, et me dit de me rasseoir dès que j’ai fini. Les supporters de la Roma se mettent à chanter. Entre temps, quelques supporters m’ont rejoint. Nous nous installons au troisième rang, tout près de la tribune F. Au premier rang, plusieurs personnes se lèvent pour chanter à la gloire du PSG, en réponse aux encouragements romains. Ils sont suivis par quelques autres au deuxième rang, et trois jeunes derrière nous. Nous chantons tous en cœur. Les supporters de bonne volonté évoqués par Monsieur Leproux sont là, l’ambiance va revenir ? Pas si vite…
Les stewards passent dans les rangs, demandant à tout le monde de s’asseoir. Lorsque les joueurs entrent sur le terrain, tout le monde se relève. Les hommes en rouge reviennent alors en plus grand nombre. Mes compagnons d’infortune faisant de la résistance, un deuxième steward se présente. Il leur reproche de ne pas être à leur place, et leur assure que « c’est fini Auteuil, maintenant c’est une tribune familles ». Sentant la limite se rapprocher et, pour tout avouer, n’étant pas franc dans ce genre de situation, je préfère faire profil bas et m’asseoir. Le ton a légèrement monté, mais tout le monde s’est finalement assis.
Au premier rang, la discussion se poursuit [il s’agit du groupe de Laurent, lire son témoignage]. Après quelques minutes, un petit groupe rejoint le haut de la tribune afin de ne gêner personne. Plusieurs personnes les suivent. Quelques chants, toujours à la gloire du PSG, fusent. Mais une armée de stewards déboule rapidement pour faire s’asseoir de force tout le monde. C’est à ce moment-là qu’un mouvement de contestation a débuté. Un chant « Tout le monde debout, tout le monde debout… » a été lancé, et repris par les trois quarts d’Auteuil rouge ! Les stewards se sont retrouvés les mains sur les hanches, désemparés. Un gars, au fond, a pété un câble et s’est fait expulser. Il semblait révulsé de colère.
Ensuite, les choses ont quelque peu dégénéré. Quelques chants hostiles à l’actionnaire et au président, puis un ironique « Merci Paris » ont été scandés. Après ce petit mouvement de contestation, la personne que l’on aperçoit sur les photos de votre article ne voulait plus se rasseoir [il s’agit de Stéphane, lire son témoignage]. Un steward insiste ; le supporter lui fait signe de la main qu’il refuse. Ils lui sont alors tombés dessus à plus de cinq ! Il s’est fait maîtriser puis expulser. Lorsque les esprits se sont calmés, j’ai rejoint le petit groupe en haut de la tribune. Nous étions tous assis, mais les stewards ne sont pas intervenus lorsque nous nous sommes levés de courts instants pour entonner quelques chants. Ils auraient très bien pu appliquer les consignes, et nous obliger à nous faire asseoir, voire tenter de nous expulser. Ils ne l’ont pas fait. Plus tard, un steward présent à Auteuil depuis une dizaine d’années me dira : « J’ai les boules de voir ça, mais je ne fais qu’exécuter les instructions. »
Il semblait régner une grande solidarité entre anciens viragistes et kobistes dans la tribune. Tout le monde discutait avec tout le monde, comme tous unis dans un même combat. Il y avait tous les âges, un homme d’une quarantaine d’années avec ses deux fils adolescents, un autre père de famille avec son fils d’une dizaine d’années, des jeunes filles. Le but d’Hoarau a été célébré comme nous avions l’habitude de le faire auparavant. Du côté de Boulogne, je n’ai rien entendu.
Il n’y avait rien de violent dans notre attitude, nous voulions seulement chanter à la gloire de nos couleurs, sans haine, sans violence. Pourquoi une telle répression en retour ? Et pour couronner le tout, je lis que Monsieur Leproux se targue d’avoir entendu des débuts de chants ? Je trouve cette réaction vraiment ingrate de sa part, au regard de ce qui s’est réellement passé en tribunes. Je revois les images de ce gars [Stéphane] sorti de force par cinq stewards, juste parce qu’il voulait rester debout, et chanter son amour pour nos couleurs. C’est absolument invraisemblable. Qu’on me réveille, qu’on me sorte de ce cauchemar ! Je rendais en tribune à ces couleurs rouge et bleu tout ce qu’elles m’apportent dans les moments de ma vie les plus difficiles. Aujourd’hui, elles sont orphelines, je ne peux plus rien faire pour elles. On veut m’en empêcher. On ne se débarrassera pas de moi comme ça. À mon sens, le fervent supporter-type est celui qui est debout, maillot sur le dos, écharpe du club ou du groupe nouée autour du cou, les bras en l’air en train de chanter. C’est comme cela que je conçois de vivre un match du PSG, sans vouloir manquer de respect à ceux qui préfèrent le vivre autrement.
Je ne pense pas que le boycott soit la solution. Compte tenu du prix des places en virages, une partie de la demande en latérales va naturellement se reverser sur les virages et les quarts de virages. Si je laisse un siège vide, il sera occupé derrière par de simples gens « de passage », sans vouloir leur jeter la pierre. Je suis pour ma part inquiet quand j’entends parler de manifestations aux abords du Parc. D’une part, je pense que les manifestants seront maintenus à bonne distance du stade, ce qui rendra complètement inaudible leurs revendications. D’autre part, il y a le risque de violences, car les fauteurs de troubles, eux, courent toujours. Et il suffit d’un geste mal interprété — surtout que la pression sera maximale dans les deux camps — pour que cela se termine en dispersion aux lacrymogènes, avec des risques d’accidents graves. Même si je ne participerais pas à ces actions par manque de franchise, de courage, je soutiens tout de même de tout mon cœur tous ceux qui se battent pour le retour de nos abonnements, et le sauvetage de cette ambiance unique, qui rend ce stade magique. Je suis plutôt partisan d’actions collectives en tribune, à condition que tout le monde suive à Boulogne et à Auteuil. Lorsque le « tout le monde debout » a été lancé, les stewards n’ont plus su quoi faire. Mais, on l’a vu dimanche, les meneurs improvisés risquent gros s’ils ne sont pas suivis.
Le combat continue… Nous, supporters, nous serons toujours là !