L’histoire commence en début de saison. C’est connu, Charles Villeneuve ne s’entendait pas du tout avec Paul Le Guen. D’ailleurs, l’ancien président du PSG voulait absolument se séparer de son entraîneur, au plus tard à la fin de la saison. En octobre, on est même passé tout près…
Villeneuve allait virer Le Guen pour Deschamps
« Vous n’allez pas nous faire croire que… »
Charles Villeneuve et Paul Le Guen se supportaient tellement difficilement que, début octobre, l’entraîneur était sur le point de quitter le club. Le 9, L’Équipe fait sa une sur « Deschamps tout près du PSG ». Degorre et Touboul développent en pages intérieures :
Le président parisien dément le lendemain dans les colonnes du Parisien :
Manifestement, depuis que je suis au PSG, je me rends compte que beaucoup de gens cherchent à nous déstabiliser, notamment dans le cadre de mes rapports avec Paul Le Guen. Derrière le titre « Deschamps tout près de Paris », il n’y a pas un seul fait probant, ce ne sont que des hypothèses. Je démens quelque chose de purement spéculatif. C’est ahurissant ! Dès qu’il y a des défaites, hop, Villeneuve va tout changer ! Moi, je ne suis pas comme ça, je ne suis pas un destructeur. Je n’hésite pas à prendre des décisions, mais avant, je réfléchis, j’écoute et je n’ai pas besoin d’un cercle de conseillers.
La relance de Laurent Perrin, qui réalise l’interview, est sublime : « Vous n’allez pas nous faire croire que tout cela n’est que spéculation… » Villeneuve a l’outrecuidance de poursuivre :
Dans cette affaire, il n’y a ni fumée ni feu. On me prête tout le temps plein d’histoires, qu’est-ce que j’y peux ? Il y a deux semaines, j’étais en contact avec David Dein (NDLR : l’ancien directeur général d’Arsenal) pour préparer l’arrivée d’Arsène Wenger, j’étais en même temps à Abu Dhabi pour trouver des fonds. Aujourd’hui, c’est Deschamps, et demain, ce sera quoi ? Fabio Capello ? Marcello Lippi ?
— Paul Le Guen est-il menacé ?
— Par qui ? Par quoi ? Sur la route oui, il peut avoir un accident de circulation. Écoutez, on vient de commencer le championnat. Bien sûr, je ne peux pas me contenter d’un 0-0 contre Kayseri. Je veux aussi la manière parce que notre public veut du beau jeu. Avec Sébastien Bazin, notre stratégie est claire, il faut créer une culture du jeu qui nous survivra. Nous sommes une entreprise de spectacle, il faut que ceux qui viennent au stade aiment le style de jeu du PSG. Paris ne peut pas se contenter de simples résultats. Mais avant de passer de la 17e place à la première, il faut quelques étapes.— Est-il toujours l’homme de la situation ?
— Je pense que c’est un bon technicien. Aujourd’hui, nous faisons confiance à Paul Le Guen.
Encore une fois, la relance du journaliste est admirable : « Dans le monde du football, cette formule a une valeur très relative… » Villeneuve avait donc le choix entre ne pas répondre, laissant la voix à toutes les spéculations (« interrogé, Villeneuve n’a pas répondu à nos questions », « silence gêné au siège du club ») ou démentir, et permettre ainsi aux journalistes en mal de cohérence d’interpréter ce démenti comme… un aveu. Ce que fait Didier Braun dans son billet du 10 octobre, intitulé « Les affaires reprennent » :
Villeneuve aura beau enchaîner admirablement (« Je vous ai répondu, qu’est-ce que vous voulez que je rajoute ? »), le piège se referme. Une fois la question posée, aucune réponse ne permet de mettre fin à la rumeur. À partir du moment où les journalistes ont décidé de faire vivre un bruit de couloir, il n’est plus possible de s’en défaire : le club aura beau démentir, tout le monde s’en amusera. Et les plumitifs d’oublier que ce n’est pas quand l’entraîneur est sur le point d’être viré que le président lui « maintient sa confiance », mais seulement quand un journaliste demande au président… si l’entraîneur bénéficie toujours de sa confiance. La boucle est bouclée.
Sur le même principe, voilà comment Fabrice Jouhaud, aujourd’hui directeur de la rédaction de L’Équipe, commentait la réaction de Charles Villeneuve sur Canal+ : « On se dit que ce qu’on raconte doit pas être complètement faux pour qu’il le prenne avec autant de sérieux. »
De l’art de lire entre les lignes
L’interview de Villeneuve dans le Parisien se poursuit :
— Lui avez-vous fixé un objectif en termes de résultat ?
— Non, moi, je ne tiens pas ce langage. Il y a toujours des vérités de l’instant et des vérités futures, mais les vérités futures, on ne les connaît pas. Pour l’instant, on est sur le même bateau et on espère que le bateau va arriver à quai.On est dans une construction beaucoup plus longue que cette saison, elle doit amener l’équipe à disputer le titre dans deux ou trois ans.— Mais êtes-vous satisfait du travail de votre entraîneur ?
— Écoutez, je viens de vous dire qu’on lui maintenait notre confiance. Ça veut dire que je pense qu’on peut faire encore mieux avec Paul Le Guen. Sinon, il serait déjà parti. Mon ambition est de donner un vrai style au PSG. J’ai beau ne rien connaître au foot, je suis un spectateur comme les autres et je préfère regarder du beau jeu que ma montre.— Quand vous dites ça, on se pose encore plus de questions, car le style Le Guen est plutôt défensif…
— Être défensif, c’est un très bon principe, toutes les grandes équipes se sont construites à partir d’une grande défense. Comme me le rappelait Zidane, les Italiens sont toujours difficiles à battre parce qu’ils sont extrêmement solides en défense. Le groupe a de grands joueurs. Makelele, Giuly, Sessegnon, Hoarau qui progresse à chaque match. Il y a de l’espoir, indéniablement.
Laurent Perrin et Arnaud Hermant s’y mettent alors à deux pour lire entre les lignes :
Ou comment, en guise de lecture entre les lignes, le Parisien se réfugie derrière des propos anodins d’un joueur qui lit la presse et entend des rumeurs, mais ne peut en aucun cas confirmer d’éventuels contacts entre Deschamps et Villeneuve. Pour paraître plus crédible, le quoditien attribue d’ailleurs à Bourillon — arrivé au PSG seulement un an plus tôt — une « expérience » censée donner plus de poids à ses propos que s’il s’agissait d’un simple proverbe… Au fait, comment lire entre les lignes de l’édition du 17 octobre du Parisien, dans laquelle Claude Makélélé lance : « Tous les présidents veulent du beau jeu ou du spectacle. Nous, joueurs, on veut des résultats. » Ou dans celles de L’Équipe du 15 novembre, lorsque le vice-capitaine Sylvain Armand déclare : « Tout le monde rêve d’évoluer comme le FC Barcelone… […] Mettons le pied, le ballon en touche ou dégageons loin quand on est en difficulté. Il faut être défenseur dans l’âme, être rigoureux. »
Le 8 novembre, c’est au tour du chroniqueur Pierre Ménès, dans Aujourd’hui Sport, de jouer au décryptage :
Revenons à Bourillon. Comme le quotidien de Saint-Ouen, L’Équipe s’est empressé d’interpréter les banalités de Bourillon comme la confirmation d’un renvoi imminent de l’entraîneur parisien. Dans un article intitulé « Paris dément, pas Bourillon », Régis Dupont cherchait à démontrer aux lecteurs du quotidien le bienfondé de la rumeur Deschamps :
Le groupe parisien n’a pas attendu nos révélations, hier matin, pour comprendre que Le Guen, dont le contrat s’achève en juin prochain, ne bénéficiait pas d’une confiance immense de la part de son président […]. « Beaucoup de gars dans le vestiaire sont derrière le coach, a quand même rappelé Bourillon. Me concernant, il n’y a pas de problème avec lui. »
- Bourillon ne dément pas la rumeur Deschamps
» » Plus d’infos sur la rumeur Deschamps au PSG
L’Équipe en était sûr, Villeneuve allait virer Le Guen
Bien après la rumeur Deschamps, L’Équipe était toujours persuadée que Charles Villeneuve et Paul Le Guen ne se supportaient pas. Le quotidien sportif l’a écrit et répété durant des mois.
Bien sûr, le président du PSG a démenti les informations selon lesquelles il souhaitait se séparer de Le Guen mais, en interne, le doute est mince. Le Guen est au bord du gouffre, Deschamps dans les starting-blocks. […]
En fin de contrat à l’issue de la saison, il se doute que la probabilité qu’il prolonge est proche de zéro. […]
Charles Villeneuve l’a dit : il apprécie Paul Le Guen. Mais il l’apprécierait encore plus si le Breton n’était plus l’entraîneur du PSG. Entre les deux, le courant n’est jamais vraiment passé. Quand, l’été dernier, l’un réclamait Jimmy Briand, l’autre lui ramenait Mateja Kezman. Quand l’entraîneur voulait un défenseur central, le président s’offrait Ludovic Giuly. Et le fait que Le Guen ne fasse pas jouer Kezman irrite sérieusement Villeneuve. Certains joueurs ne sont pas non plus de grands fans de leur coach : outre Kezman, Camara, Traoré et, à un degré moindre, Giuly et Makelele. […]
Jérôme Touboul et Damien Degorre, le 3 novembre 2008
Damien Degorre, le 2 décembre 2008
Damien Degorre, le 18 janvier 2009
Régis Dupont et Jérôme Touboul, le 23 janvier 2009
Damien Degorre, le 25 janvier 2009
Le Parisien en était sûr, Villeneuve allait virer Le Guen
Le Parisien ne disait d’ailleurs pas autre chose. Dès le 5 octobre, Laurent Perrin donnait le ton :
Laurent Perrin, le 5 octobre 2008
Le 26 octobre, Dominique Sévérac écrivait à propos du président parisien :
Dominique Sévérac, le 26 octobre 2008
Puis Charles Villeneuve a longuement démenti dans le quotidien du 3 novembre (voir plus bas). Après ce jour, et contrairement à L’Équipe, les affirmations selon lesquelles Le Guen allait se faire virer prochainement — tant les désaccords entre Villeneuve et lui étaient nombreux — ont disparu des colonnes du Parisien.
En fait, Charles Villeneuve et Paul Le Guen s’adoraient
Et puis fin janvier, patatras ! En fait, Charles Villeneuve avait proposé une prolongation de contrat à Le Guen, qui l’appréciait beaucoup… C’est ce qu’indiquent Dominique Sévérac et Sylvie De Macedo le 25 janvier dans le Parisien.
Un mois plus tard, le 25 février, les mêmes auteurs persistent :
De son côté, L’Équipe revient timidement, sans donner l’air de trop y toucher, sur ses affirmations péremptoires. Le 25 janvier, Damien Degorre nous explique que Le Guen et Villeneuve étaient tombés d’accord pour finir la saison ensemble, « pas plus ». Mais le journaliste se sent tout de même obligé de relayer les propos de l’entraîneur parisien, qui fait part de ses bonnes relations avec Charles Villeneuve :
Quelques jours plus tard — le 3 février —, c’est Guillaume Dufy qui porte l’estocade : finalement plus si convaincu que ça de virer Le Guen, Villeneuve « comptait aborder le sujet » d’une prolongation de contrat. « Il se murmurait même » qu’il n’était « plus certain de ne pas garder Le Guen », glisse le reporter.
Le même Dufy, deux mois plus tard — le 15 avril —, s’étonnera encore :
S’ils avaient été moins occupés à nier tous les démentis des Parisiens, les journalistes de L’Équipe auraient pourtant pu s’en rendre compte plus tôt. Le 3 novembre, dans le Parisien, Charles Villeneuve se montrait très clair :
Avec Paul, nous sommes en parfaite osmose. Il n’y a pas l’ombre d’un cheveu qui nous sépare. Quand on cherche à m’opposer à Paul Le Guen, on se trompe totalement. Notre entente est parfaite. Nous échangeons tellement tous les deux. Je parle football avec lui mais aussi histoire et politique. […]
[À propos des rumeurs de tension entre Le Guen et lui] Cela vient de ceux qui veulent prendre la place de l’un ou de l’autre. Nous avons mis un certain temps à les identifier. Nous savons désormais qui ils sont. Viendra le moment avec Sébastien Bazin et ses collaborateurs où nous prendrons les décisions qu’il faut. Nous ne pouvons pas écarter les vipères lubriques quand elles sont à l’intérieur du vivarium. Tous ne sont pas des pythons royaux. Je crois qu’un certain nombre de gens aimeraient que Paul parte, persuadés qu’il n’y arrivera pas compte tenu du passé et qui essaient de planter un coin dans l’espace de notre relation. On en parle tous les deux. On se marre de ça. Il a beaucoup d’humour. Nous avons une relation très libre et très claire. Il n’est pas dupe et moi non plus, alors, entre nous, cela marche bien.
Dans l’interview de fin de saison qu’il a accordée à L’Équipe, Paul Le Guen est revenu à son tour sur ses relations avec Villeneuve :
Je n’ai jamais ressenti ce couperet [un licenciement en début de saison]. J’ai lu à la une de votre journal : « Deschamps près du PSG ». Je respecte la presse, mais rien ne vaut les choses que l’on vit en interne. Peut-être qu’en perdant un match, j’aurais sauté, mais je sentais que les choses allaient s’améliorer, que je tenais le truc. Nous sommes partis [Charles Villeneuve et moi] d’une relation de défiance. Lui avait du entendre beaucoup de mal de moi, et moi, un petit peu sur lui. Progressivement, les choses se sont arrangées. Il m’a vu travailler, et je l’ai vu intervenir devant le groupe. À la fin, il y avait un vrai respect.
Et certains journalistes se demandent encore pourquoi leurs lecteurs ne prennent pas pour argent comptant toutes leurs affirmations ?
PSG : les coulisses du départ de Paul Le Guen (2/2).