Colony Capital scrute l’horizon, en quête du successeur de Charles Villeneuve. Un homme capable de gérer des footballeurs surpayés, et leurs agents pas toujours bien intentionnés, un dirigeant qui saurait cadrer les supporters les plus indisciplinés de France, et louvoyer entre des médias intransigeants, un budget serré, une exigence de résultats… et un statut bâtard de décideur n’ayant pas toujours les moyens financiers de décider. La perle rare. Depuis l’arrivée de Canal+, ce choix s’est déjà posé huit fois. Pour huit présidents très différents, mais qui, chacun dans leur genre, présentaient un gros défaut.
- Les présidents-journalistes de {Canal+}
En 1991, Canal+ rachète le club de la capitale. L’Olympique de Marseille écrase un championnat de France qui a valeur de produit phare pour la chaîne cryptée. Le Paris Saint-Germain, seul club de première division depuis la chute du Racing, se retrouve en proie à des difficultés financières. L’occasion faisant le larron, Canal+ acquiert le PSG et décide de s’en servir pour relancer le championnat. Pour cela, André Rousselet et Pierre Lescure pourraient nommer à la tête du club Charles Biétry, qui en rêve… mais ils choisissent Michel Denisot, qui a pourtant abandonné les commentaires de football depuis son départ de TF1.
Michel Denisot, ou l’ingratitude
Michel Denisot restera le premier président de toute une génération de supporters parisiens. Figure emblématique du PSG des années 1990, son palmarès parle pour lui : une coupe d’Europe, cinq demi-finales européennes consécutives, un titre de champion en 1994, un autre qui aurait dû lui être attribué en 1993 après la rétrogradation de l’Olympique de Marseille [1], trois coupes de France, deux coupes de la Ligue… De club à la limite du dépôt de bilan, Denisot fera passer le Paris Saint-Germain au statut de grand d’Europe [2].
Mais pour le commun des supporters, l’actuel présentateur du Grand Journal demeure celui qui incarne le Paris SG que l’on connaît encore aujourd’hui : un club strass et paillettes qu’il a porté sur le devant de la scène. Explosion de la fréquentation du Parc des Princes et des audiences télévisuelles, multiplication des groupes de supporters, parcours homériques en coupes d’Europe, tout concourt à l’arrivée de nouveaux fans durant les années Denisot. Pourtant, derrière ces réussites, le PSG du journaliste berrichon cache un terrible défaut. Incapable de confirmer, il s’essouffle systématiquement en championnat quand il faudrait porter l’estocade… et le titre de 1994 attend aujourd’hui encore son petit frère dans l’armoire à trophées.
Comment, alors que son effectif et ses moyens financiers devaient logiquement lui permettre d’enfoncer la concurrence en D1 [3], le Paris Saint-Germain a-t-il pu louper le coche au milieu des années 1990 ? Pour comprendre cela, il faut revenir aux commentaires qui sanctionnent ses matches alors que Paris survole la saison 1993/1994. Face à une véritable campagne de dénigrement, Michel Denisot choisit de céder. Aux critiques des journalistes, Charles Biétry en tête, qui réclament le départ du coach Artur Jorge, Michel Denisot répond en se séparant du coach qui a construit une équipe quasi-invincible. « Il manque un sourire au PSG », paraît-il ! Le plus célèbre moustachu du PSG sera donc récompensé de la conquête du titre de Champion en se voyant désigner la porte.
À sa place, le président nomme un entraîneur qui certes connaît bien le club, qui certes prône un jeu offensif… mais surtout qui ne possède aucune expérience du banc au plus haut niveau : Luis Fernandez. Formé à Paris, Luis a porté haut les couleurs du PSG, mais c’est encore un très jeune entraîneur : il n’a alors qu’une seule expérience, à Cannes. Et sous sa houlette, d’un rouleau compresseur le PSG devient une équipe sujette aux trous d’air. Une équipe de coups et de coupes, mais souffrant d’une inconstance chronique, travers rédhibitoire sur une compétition comptant 38 journées.
Pire, Michel Denisot rééditera sa bourde. Alors que Fernandez avait enfin acquis un minimum d’expérience, lui aussi sera remercié après sa plus belle victoire, la coupe d’Europe de 1996. Et lui aussi sera remplacé par un coach néophyte : Ricardo. Stabilité, zéro. Expérience du coach, zéro. Gratitude pour les entraîneurs, zéro.
Cette endémique absence de reconnaissance, et de volonté d’imposer une vision à long terme, cette incapacité à refuser de céder aux imprécations d’une presse toujours encline à critiquer, à exiger du beau jeu, même après un titre, ce manque de soutien envers les entraîneurs auront marqué le Paris SG au fer rouge. Quinze ans plus tard, dans l’esprit de beaucoup Paris reste ce club susceptible de livrer un entraîneur victorieux en pâture à qui le demandera assez fort, quels que soient les résultats.
Dans l’idéal, le prochain président devrait donc savoir imposer la marque d’un appui sans faille à son entraîneur. Surtout si ce dernier a la bonne idée de rapporter des titres. Pour enfin construire un projet cohérent, en dépit des critiques qui, de toutes manières, entoureront toujours le club de la capitale.
Charles Biétry, ou la vanité
L’été 1998 sera celui de tous les changements pour le football français. La France devient championne du monde, et Paris se sépare de Michel Denisot. Charles Biétry, qui rongeait son frein du mauvais côté du micro lors des interviews, accède enfin à son Everest personnel : Pierre Lescure le nomme président délégué du PSG ! L’heure de la consécration a sonné.
Depuis 1991, le Breton ne s’est jamais privé d’exposer ses certitudes. Commentateur vedette de Canal+, jouant à la fois la carte du journaliste et du consultant, celui que l’on surnomme le Menhir ne semblait pas étouffé par le devoir de réserve quand il s’agissait de critiquer le propre club de son employeur. Liberté de parole ou aigreur du perdant, Charles Biétry sera l’instigateur principal de l’éviction d’Artur Jorge, avant de savonner la planche à son ancien meilleur ami, Michel Denisot.
Les Parisiens voient donc arriver aux manettes le journaliste qui expliqua pendant sept longues années, et avec un aplomb confondant, comment le PSG devait recruter, jouer, évoluer, et s’organiser pour atteindre les sommets. Il lui faudra moins de sept mois pour tout mettre par terre.
Bouffi de certitudes, Biétry voit ses jolis plans sombrer dès le mercato estival. Sa réputation de suffisance le précédant, les coaches dont il avançait le nom comme autant de remèdes infaillibles aux maux du PSG depuis son siège de commentateur refusent tous de le rejoindre sur le banc. Plus facile de dire que de faire. Condamné à recruter seul, ce qui n’est d’ailleurs pas forcément pour le déranger, le président commence par pousser vers la sortie les cadres. De l’entraîneur aux joueurs emblématiques, tous devront quitter Paris, soupçonnés de fidélité au déchu Denisot.
À leur place, le Breton concocte un groupe bancal, dont la charnière Goma – Wörns aura valeur de symbole. Excellents pris individuellement, les deux défenseurs centraux s’avèrent incapables d’évoluer ensemble : celui qui se croyait si fin connaisseur du football avait commis une monumentale erreur, occultant le fait qu’on ne peut faire jouer deux stoppeurs seuls ! En un peu plus de six mois, Charles Biétry verra défiler deux entraîneurs incapables de diriger un groupe monté en dépit du bon sens : Alain Giresse, puis… Artur Jorge, son ennemi de toujours, qu’il sera obligé de faire venir jouer le rôle du sauveur. Le camouflet est terrible pour l’ancien directeur des sports de la chaîne cryptée.
Au bout d’un mandat éclair qui ne passera pas Noël, c’est la somme des expériences acquises par le PSG au fil des campagnes européennes qui a été dilapidée, le président ayant coupé toutes les têtes. Persuadé qu’après avoir fait du passé table rase il pourrait reconstruire à son idée, Biétry a jeté aux orties ceux qui incarnaient la culture de la gagne du club. Depuis, jamais Paris n’a pu rejouer une seule demi-finale de coupe d’Europe.
Pour remplacer Villeneuve, Colony Capital devra donc trouver un président qui, s’il possède une certaine maîtrise des arcanes du monde du football, n’arrive pas pour autant persuadé de détenir la vérité absolue en matière de ballon rond. À moins de vouloir revivre un passé douloureux.
Portrait-robot du futur président du PSG
1991-1998 : les journalistes de Canal+
1998-2005 : le financier et le provincial
2005-2009 : de Canal+ à Colony Capital