Le curseur clignote en haut de la page vide. Dominique lui trouve un air narquois. Les minutes défilent, l’article dix fois commencé et abandonné compte pour le moment pas moins de zéro caractère. L’envoyé spécial se sent envahi par le doute : sur les trois mille qu’on lui a demandés de livrer, et malgré sa nature bonhomme, zéro caractère il se dit que pour le moment ça fait pas beaucoup.
Vous vous êtes toujours demandé comment un journaliste pouvait s’en sortir quand il n’avait strictement aucune inspiration ? Le 24 août au matin, les lecteurs du Parisien découvraient la réponse.
Leçon n°1 : faire des phrases
Le conseil semble tenir de la lapalissade, et pourtant il a sauvé plus d’une carrière : en cas d’angoisse de la feuille vide, la première chose à tenter, c’est de faire des phrases. Longues, si possible. Parce que bon, trois mille signes, ça ne s’obtient pas comme ça. Même si on se répète, si ce que l’on n’écrit ne présente aucun intérêt, pas grave. Du moment qu’on écrit ! Après tout, ne dit-on pas que même le plus long des voyages commence par un premier pas ?
Voilà. Parfois cela ne tient pas à grand-chose, mais le métier est là. Dans ce fumeux « ni rassurés, ni inquiets ». En gros, je n’ai rien à dire et je le montre, mais hop, une ligne de gagnée. Le célèbre coup du j’avance d’un pas et puis je recule comment veux-tu, comment veux-tu que je t’enthousiasme… Remarquablement exécuté. Splendide.
Dans cette situation, le novice tente parfois de faire le pas de trop, du genre : « ce qu’ils ont vu n’a pas dû complètement les rassurer. Ni dû vraiment les inquiéter. Mais un petit peu quand même… », histoire d’enfoncer le clou. Mais là, non : dans un article de Sévérac, même dans un mauvais jour le tirage à la ligne passe inaperçu (bon… ou presque). La marque des grands. Dominique Sévérac est d’ailleurs un expert en ce domaine.
Autre classique du discours à rallonge, le collage d’adverbes inutiles. C’est bien ça, les adverbes. Ca prend de la place, et si on les positionne comme il faut, ça donne un petit côté stylé au texte, Sévérac vous le recommande :
Et voilà le travail ! L’équipe n’est pas moyenne, elle est parfaitement, voire indubitablement ou même complètement moyenne. Certes, cela ne sert à rien, mais ça fait douze lettres, plus une espace derrière. Treize caractères de gagnés, plus que deux mille neuf cent quatre-vingt-sept à faire. On tient le bon bout !
Toujours dans la veine discours stérile, Dominique Sévérac passe à l’étape suivante : j’enfonce des portes ouvertes.
Ca c’est du journalisme d’investigation ! Oui Dominique Sévérac ose le dire : sans ses nouveaux joueurs, le Paris Saint-Germain jouerait limite aussi mal que l’an dernier. Tout pareil qu’avant l’arrivée de ces fameuses recrues…
Wahou ! Sacrée révélation. S’il était privé de ses nouveaux joueurs, Paris jouerait comme s’ils n’étaient pas là. Troublante vérité qui méritait d’être portée au grand jour. Il va nous falloir du temps pour nous en remettre.
Leçon n°2 : ne rien jeter
Deuxième loi du galérien de la presse sportive : surtout, ne rien jeter. Les perfectionnistes ont trop souvent tendance à se corriger, à revenir en arrière effacer des passages entiers de leur travail. Quelle futile perte de temps ! Un journaliste expérimenté comme Sévérac sait que chaque bout de phrase a de la valeur. Alors bien sûr, parfois ça ne colle pas vraiment… Mais après tout, qui s’en soucie ? Un exemple d’habile transition passée quasi inaperçue :
Mais c’est vrai à la fin : ils sont bêtes ou quoi ces Parisiens d’encaisser des buts sur des penalties ? Bon là en l’occurrence à part Fredy Fautrel tout le monde a vu que le penalty n’était pas valable, mais tout de même : si c’est pas ballot de laisser bêtement échapper des parties comme ça, sur des erreurs arbitrales ! A croire qu’ils le font exprès de se faire voler les joueurs du PSG… Heureusement que Dominique est là pour le leur faire remarquer.
Pour continuer sur la loi 2, aussi appelée loi du développement durable, Dominique donne ensuite dans le recyclage. Ici, il utilise une vieille interview langue de bois. Le coach ne dit strictement rien d’intéressant ? Certains auraient jeté leurs feuillets couverts de notes. Mais pas notre journaliste. Concerné par la sauvegarde de la planète, et son souci de quitter Bonal au plus vite, Sévérac recopie tout de même les propos de l’entraîneur. En intégralité. Au cas où… (et hop, trois lignes de moins à faire)
Quoi ? On aurait pu gagner, perdre aussi ? Faute ! Non mais faute là ! Vous avez vu ça ? Une honte ! Si Paul Le Guen se met à piquer les trucs des journalistes et à donner dans le comment veux-tu, comment veux-tu que je t’enthousiasme, où va le monde ?
Il faut protéger la liberté de la presse et des journalistes, lutter contre ceux qui leur coupent l’herbe sous le pied en éventant toutes leurs ruses ! On comprend que Le Guen n’ait pas la cote auprès des médias.
Leçon n°3 : le donnage de leçon
Le donnage de leçon a un côté pratique. D’abord ça prend de la place, et c’est peut-être un détail pour vous, mais pour un gars qui doit se taper cinq cents bornes d’autoroute avant de retrouver la civilisation ça veut dire beaucoup. Et ensuite, ça soulage.
Non mais qu’est-ce qu’il fait Le Guen avant les rencontres ? On pourrait expliquer aux supporters parisiens pourquoi on le paye au juste celui-là ? La solution était pourtant simple : pour gagner, il suffisait d’afficher immédiatement tout un tas de volonté de maîtriser la partie, dans un mélange d’agressivité et puis de contrôle. Alors ! S’il y a un souci, il n’y a qu’à demander à Sévérac : il sait lui.
L’autre possibilité de donnage de leçon, c’est l’explication par l’exemple d’un truc que tout le monde avait déjà compris depuis… bah depuis toujours. Comme dans cet extrait, déjà cité plus haut :
OK… Donc finalement, c’est pile au moment ou notre meneur de jeu a commencé à bien jouer que son équipe a commencé à être dangereuse. Étonnant, non ?
Dominique Sévérac, tout le monde l’aime bien au Paris Saint-Germain. Parce que c’est un peu le Jamy Gourmaud du football : quand il explique, on comprend tout. Avouez que là, la démonstration brille par sa limpidité : quand les attaquants attaquent bien, l’équipe a plus de chances de marquer. Bravo. Et vivement la semaine prochaine, et le cours sur « quand les défenseurs défendent mal, on risque d’encaisser des buts », que l’on enrichisse enfin notre culture tactique.
Voilà aussi pourquoi se sacrifient les journalistes sportifs, perdus dans la tribune d’un stade jouxtant un vieil entrepôt : pour informer, pour faire passer ce qu’ils ont eu la chance de voir, d’apprendre. Quand on lit le Parisien le lendemain du match, c’est grâce au labeur de professionnels comme Dominique Sévérac. C’est grâce à eux que l’on peut se dire qu’au bout du compte, c’est simple le football. Des attaquants qui attaquent, des matches ni rassurants ni inquiétants, un peu de volonté de maîtriser la partie et hop, dans la poche les trois points. A se demander pourquoi il n’y a pas davantage de journalistes qui réussissent quand ils reprennent des clubs.