Certains sportifs possèdent une aura. Laurent Blanc, élu quatrième meilleur footballeur français du vingtième siècle par le journal L’Équipe, pourrait se prévaloir de ce charisme. Sauf que lui, c’est pas son genre. Enfin il paraît. Car le sympathique coach aux lunettes dernière mode bénéficie d’une immense respectabilité auprès des médias, et des supporters en général.
Il faut dire que sa technique, son élégance dans le jeu, ainsi que son fair-play ont contribué à construire son image actuelle chez le fan de la rubrique de Guy Carlier : celle d’un professionnel exemplaire, pétri de discrétion, à qui tout réussit. Et s’il n’a plus vraiment l’âge de jouer les gendres idéaux, l’ancien capitaine des Bleus et de l’OM pourrait postuler sans encombre au titre de « Tonton rêvé des Français » : celui qui aurait réussi dans des contrées lointaines, et reviendrait de temps à autres honorer de sa présence quelque réunion familiale, les bras chargés de cadeaux.
Sauf que voilà, à y regarder de plus près, Tonton-la-touillette a depuis longtemps épuisé son lot d’anecdotes exotiques. Les bibelots glanés au long de ses aventureuses expéditions commencent à prendre la poussière, les souvenirs finissent par ressembler à des radotages.
Laurent Blanc, joueur au palmarès exceptionnel ? Certes, son CV porte trace d’enviables trophées. Mais sans vouloir être désobligeant, force est de constater qu’en fait de finales, que ce soit en Bleu, à Marseille ou chez les Blaugrana, les seules que le défenseur aient remportées sont pile celles qu’il n’a pas disputées. Que ce soit le soir de la finale de la coupe du monde de 1998, ou celui de la finale PSG – Barcelone de 1996, ces médailles, Laurent Blanc est allé les chercher dans la peau de celui qui a ciré le banc. Non pas que le survêtement ne lui aille pas au teint, mais si l’OM ne compte pas une nouvelle coupe d’Europe dans sa vitrine, c’est quand même à une superbe passe en retrait de Laurent Blanc pour un Parmesan qu’il le doit.
Alors ? Coïncidence ou pas ? Allons, soyons honnêtes : de là à dire que s’il avait été titulaire plus souvent, comme face à la Bulgarie de Kostadinov en 1993, le palmarès de l’actuel girondin serait moins fourni, il y a un pas que personne ne devrait franchir… Quoique.
Ce qui jusqu’ici a sauvé notre ami, c’est peut-être la bonne idée qu’il a eue de mettre fin à sa tournée des clubs de provinciaux. Après Montpellier, Nîmes, Sainté, Auxerre et Marseille, le libero s’est enfin définitivement exilé. Et loin du pays, et donc loin des micros, Laurent Blanc a vu se construire autour de sa personne l’image de gentil-qui-ne-dit-jamais-du-mal-des-autres. Il faut dire qu’on ne fait pas parler les absents… Difficile dans ces conditions de voir Blanc déblatérer. Et pour lui, il valait peut-être mieux !
Car la réputation d’agneau qui colle à la peau de Laurent Blanc lui est aujourd’hui encore bien utile. Seulement voilà, ce costume lui correspond-il vraiment ?
Cet homme à l’aura quasi monacale est-il bien détaché des affres de la vanité ? On peut en douter depuis que dès que la porte du vestiaire des Bleus s’est entrouverte sur le poste de sélectionneur, Laurent Blanc y a glissé le pied ! Et ce, alors que tout fan des Experts qui se respecte vous l’aurait confirmé : la dépouille de son prédécesseur était encore suffisamment chaude pour que l’on mette en doute son état de cadavre… Jacques Santini bougeait encore quand Laurent Blanc s’est auto-proclamé meilleure solution possible à la tête des Bleus. Le tout alors même qu’il ne possédait aucune expérience !
Le bonhomme serait-il arriviste, voire prétentieux ? On n’ose y penser. Voilà en tout cas un étrange comportement pour celui qui se complait dans le rôle de l’innocent, étranger à toute idée de convoitise…
Il faut dire qu’à l’aune de certaines de ses déclarations, on se demande bien comment le Cévenol au port altier et à la touillette avantageuse peut encore bénéficier d’une aussi bonne image dans les médias. Ardue serait la tâche consistant à trouver de la modestie chez celui qui, après une victoire plutôt heureuse déclarait l’an passé : « C’est simple, on a mieux joué que le PSG. D’habitude, c’est difficile de maîtriser un match de la première à la dernière minute. Là, l’équipe a maîtrisé un maximum de temps. Nous avons fait exactement ce que nous étions venus faire. » (le Parisien, 24 septembre 2007)
Respect de l’adversaire, réserve et humilité… Après ce match gagné sur des actions peu nettes, il faudra se lever tôt pour débusquer dans cet extrait toutes ces qualités unanimement accordées à Laurent Blanc.
Il semblerait qu’au contraire, l’homme soit souvent enclin à ne pas se juger sur le même plan que ses condisciples. Voici par exemple ce qu’il déclarait à propos de « la responsabilité éthique des entraîneurs sur le jeu », avancée par la Fédération française de football : « Pratiquer un jeu offensif ne se décrète pas, sauf quand il existe une volonté de la part de l’entraîneur. Moi je l’ai. » (L’Équipe, 6 août 2008)
Les propos ont de quoi étonner : mais qui, justement, à part l’entraîneur, pourrait bien décréter pratiquer un jeu offensif ? Alors que signifie cette diatribe, pourquoi Blanc s’est-il repris après avoir retiré à tous la possibilité de décider de choisir un jeu d’attaque ? Quand il rajoute derrière « sauf aux entraîneurs » (et bien sûr à lui-même), Laurent Blanc ne donne qu’un magnifique exemple d’antiphrase.
Le Bordelais a juste commencé par dénigrer tous ses collègues, avant de se reprendre tant bien que mal. En attendant, l’entraîneur de Bordeaux pense bien être l’unique coach à pratiquer un jeu d’attaque ! Pire, il le dit… Et ça passe.
Et chacune des déclarations du « Président » est à l’avenant ! Quand on n’y trouve pas une bonne dose d’autosatisfaction, c’est la jalousie qui pointe le bout de son nez. Des doutes ? Regardez ce que le brave ancien défenseur des Bleus a répondu alors qu’on l’interrogeait sur la décision du recordman des sélections en Équipe de France de raccrocher les crampons : « Lilian a fait une très belle carrière. Je regardais le nombre de ses sélections, ça n’en finit pas ! C’est très fort. Il y a deux ou trois mois, je lui demandais jusqu’où il allait aller. Il avait encore envie de jouer puisqu’il allait signer à Paris mais, avec ce qui s’est passé, il a réagi comme le vieux sage qu’on dit qu’il est. Il a pris une bonne décision. » (L’Équipe, 2 août 2008)
Quand il évoque le record des 142 sélections de Thuram, Blanc réagit de manière étonnante, pour un si brave ancien camarade : de l’exceptionnelle longévité de son coéquipier il ne tire qu’une remarque péjorative, sur le fait que la lecture de son bilan n’en finisse pas. Et ça, avouons que ça n’est pas très urbain de la part d’un spécialiste de la bavouille frontale comme notre Lolo.
Mais le bonhomme n’est pas fou : sa tentative d’humour est suivie d’un compliment, pour être désamorcée. C’est très révélateur de la mécanique aigrie du raisonnement de Laurent Blanc : il sait qu’à critiquer Thuram il ne gagnera rien… mais il ne peut s’en empêcher, de manière voilée. Parce que le Guadeloupéen présente un meilleur bilan que lui peut-être ?
Cela expliquerait aussi la tournure bizarre de la conclusion de notre citation, quand Mouton-frisé affirme à propos du défenseur néo-retraité : « le vieux sage qu’on dit qu’il est ». Par cette formulation, le coach bordelais refuse d’octroyer à Thuram le statut de sage. Il le met en doute puisqu’il ne lui accorde qu’une réputation de sagesse. On « dit » que Thuram est sage… sous-entendu, l’est-il vraiment ? Non seulement Thuram n’est pas un sage dans les propos de Laurent Blanc, il n’est que présenté comme tel, mais en plus c’est par des tiers : par « on »… Qui est ce « on » ? Pas le coach à la touillette en tout cas ! Ca doit être sympa les réunions d’anciens de l’Équipe de France avec Laurent Blanc.
La question, c’est quand même de savoir comment tout le petit monde de la L1 parvient à faire cohabiter des telles déclarations avec le statut de parangon de modestie et d’affabilité qui entoure notre ami de la semaine. En définitive, si cette analyse des propos et de la carrière de Laurent Blanc ne devait avoir prouvé qu’une chose, c’est que le sobriquet de « Président » lui sied finalement fort bien. Sauf que contrairement aux idées reçues, il ne faut y voir nulle capacité à gouverner. C’est juste qu’à l’image de son célèbre homonyme de fromage, si de loin il paraît lisse et agréable, de près… plus on s’intéresse à ce « Président », et plus on le trouve puant.