Le couperet est déjà tombé : trois associations du Virage Auteuil [1] et deux groupements de fait du Kop de Boulogne ont été dissous ce jeudi. Une façon pour le gouvernement de renvoyer dos-à-dos les deux tribunes parisiennes. Mais cela réglera-t-il pour autant le problème de la violence du football parisien ? Et qu’adviendra-t-il si, par malheur, les choses se passaient mal, encore une fois, entre supporters du PSG ? Lors de cette finale, beaucoup de facteurs entraînent au scepticisme.
Le retour des associations d’Auteuil
Pour la première fois depuis le décès de Yann Lorence, les anciens dirigeants des associations des supporters d’Auteuil reviennent supporter leur équipe. Jusqu’ici volontairement placées en sommeil, les Supras, Authentiks et Grinta ont choisi cette finale pour retrouver les tribunes.
Si d’un point de vu légal ces associations n’existent plus, elles garderont tout de même une influence. Le précédent « Boulogne Boys » permet de tirer quelques conclusions : dissoute il y a déjà deux ans, cette association de supporters vit aujourd’hui dans l’impossibilité légale de se réunir. Pourtant la majorité de ses membres viennent toujours au Parc, où ils occupent encore la même partie du Kop et chantent les mêmes chants qu’auparavant. On peut imaginer que les trois groupes d’Auteuil connaîtront le même type d’évolution : un passage à la clandestinité, mais certainement pas une disparition corps et biens.
D’ailleurs Christophe Uldry, le porte-parole des Supras, a annoncé dans un premier temps qu’une manifestation dénonçant le racisme serait organisée ce samedi, avant de se voir dans l’obligation de l’annuler. Si ces groupes de supporters sont capables de monter une telle opération, c’est bien que leur dissolution ne les a pas totalement réduits au silence. De toutes manières, même si certains meneurs se sont vus frappés par une interdiction de stade, la majorité des membres de ces groupes demeurent encore libres de revenir en tribune.
Or, derrière ces conflits de groupes, il y a aussi des haines personnelles. Les grandes figures du Parc des Princes se connaissent très bien : même s’ils sont placés dans des tribunes diamétralement opposées, ces supportent se croisent depuis des années lors des déplacements, réunions avec les dirigeants, etc.
Avec cette finale, les éléments du Kop de Boulogne qui voudront faire l’amalgame entre les leaders d’associations et le drame du 28 février tiendront leur première occasion de venger la mort de leur camarade. Le local des Supras, lieu de rendez-vous traditionnel de nombre d’ultras d’Auteuil, est connu. Sa proximité du Stade de France et de la tribune qu’occuperont les abonnés de Boulogne réunit ainsi les dernières conditions pratiques à l’élaboration d’une rencontre entre ennemis intimes.
Une date symbolique
Il avait été question de décaler d’une journée cette finale de coupe de France. Car pour plusieurs raisons, la date retenue pose problème. D’abord à cause des manifestations syndicales. La fête du travail est l’occasion de cortèges immenses qui nécessitent la présence des forces de l’ordre. Or les compagnies républicaines de sécurité ne pourront rester en action toute la journée, commençant par les manifestations parisiennes au matin pour finir à Saint-Denis, après que le dernier supporter a quitté les abords du stade.
Les antagonismes qui opposent désormais Boulogne et Auteuil, couplés au retour des membres des associations incriminées, entraînent un besoin lourd de mobilisation des forces de police. La préfecture saura-t-elle gérer cette situation de crise ?
Pire encore, le 1er mai n’est pas l’apanage des syndicats. C’est aussi la date choisie par le Front national pour commémorer la fête de Jeanne d’Arc. Certains membres du Kop de Boulogne étant parfois sensibles aux thèses défendues lors de cette réunion, on peut imaginer que quelques uns feront le déplacement.
Or cette manifestation se tenant le matin, cela laissera une après-midi de désœuvrement à ses participants avant qu’ils n’aient à rejoindre le Stade de France. Si l’on rajoute à cela une possible pénurie policière, et la manifestation anti-raciste initialement prévue par des opposants de tribune, qui deviennent quasiment des opposants politiques, on obtient tous les ingrédients d’un cocktail idéologique explosif.
Le Stade de France
Dernier motif d’inquiétude, la localisation de la finale. Si les politiques parlent régulièrement de déplacer le PSG à Saint-Denis, c’est parce qu’ils croient les abords du Stade de France moins propices aux affrontements que le Parc des Princes.
D’un côté on a un stade posé sur une immense dalle au milieu de Saint-Denis, de l’autre un stade résolument urbain, caché entre les avenues bourgeoises du XVIe arrondissement. Une plaine ouverte pour le SDF, un dédale de rues encombrées de voitures pour le Parc. Le premier semble bien plus facile à gérer que le second.
C’est négliger quelques facteurs d’importance. Tout d’abord, la connaissance du terrain. Les supporters du PSG maîtrisent parfaitement les abords du Parc. Certes, cela permet aux quelques personnes mal intentionnées de préparer leurs coups, mais surtout, cela offre à tous les autres, l’immense majorité des fans parisiens, la possibilité de fuir les affrontements sans prendre de risque.
Au Stade de France, en cas d’assaut des supporters d’Auteuil par une centaine de hooligans, comme cela s’est produit le 28 février, les fans souhaitant éviter la bagarre ne connaîtront aucune issue… Suivant les cas, ils seront soit sur le mail de l’ellipse ou la rue Jules Rimet : perdus dans un espace dégagé comme une nuée de lapins pris au milieu d’un champ. Soit ils se retrouveront bloqués dans le goulet de la rue Henri Delaunay, derrière le virage nord. Et là, contrairement à ce qu’avancent les partisans d’une délocalisation du PSG au Stade de France, personne ne sera en sécurité. La rue Delaunay est étroite, elle compte de très hauts trottoirs et ne possède aucune issue latérale. Pire, elle est bordée par une rambarde et surplombe un stade d’entraînement. Impossible pour une foule d’y courir sans risquer de tomber et se faire piétiner, surtout quand on connaît mal les lieux. Impossible de diviser les flux de personnes. Impossible d’échapper à une charge.
Ce fameux virage nord sera la tribune d’accueil des ex-membres d’associations dissoutes d’Auteuil, entre autres. Vu le grand nombre de places de ce virage, la densité de supporters y sera très forte vers 20 heures, comme avant chaque match au SDF, et il n’y aura pas que des fans d’Auteuil…
Haines personnelles, esprits échauffés par une journée de manifestations, méconnaissance du terrain et goulet d’étranglement, les conditions nécessaires à un drame seront alors toutes réunies. Reste à prier pour que l’enjeu sportif, les conditions météo — une forte pluie n’incite pas à la violence en terrain découvert — et la présence des forces de l’ordre à proximité du stade détournent les velléités des esprits les plus agressifs.