Il y a un grave problème avec les supporters du Paris Saint-Germain. Voire deux, même : les deux décès aux abords du Parc en moins de quatre ans. Que les politiques veuillent régler l’affaire semble logique : après tout, c’est leur métier. S’ils pouvaient trouver une solution pour que les membres du Kop de Boulogne ne se retrouvent plus en position de se faire tirer dessus par des policiers, ou lynchés par d’autres supporters, nul ne s’en plaindrait. Sauf qu’à lire les déclarations des uns et des autres, on se dit que des analyses aussi grossières n’ont guère de chance de mener à des solutions valables…
La guerre contre les débiles mentaux
Policiers infiltrés dans les différents mouvements de supporters parisiens, Renseignements généraux, sociologues : les sources d’informations concernant les acteurs de ces violences ne manquent pas. Et pourtant, les portraits des fauteurs de troubles qu’ont dressés les ministres chargés de rétablir l’ordre interpellent :
Brice Hortefeux : Comble de l’absurde, ces violences ont lieu maintenant entre supporters d’un même club, je pense évidemment au PSG où se battent et s’entre-tuent des énergumènes, des cinglés, des fous, il n’y a pas de mots assez forts pour les qualifier.
Michèle Alliot-Marie : Il y a une violence qui est entretenue par un tout petit nombre de véritables voyous, de gens qui sont un peu débiles mentaux.
Rama Yade : On est face à des barbares. Rouer un homme de coups et le laisser pour mort sur le pavé parisien, c’est de la sauvagerie. Et face à cette radicalisation criminelle, je suis favorable à un langage et à des actes de répression.
Le constat unanime : pour en finir par s’entre-tuer autour d’un stade, il faut forcément être dénué d’intelligence. Mais derrière ce consensus se cache une erreur cruciale : ces hauts fonctionnaires de l’État sous-estiment les protagonistes de ces affaires.
Madame Michèle Alliot-Marie par exemple. Ministre de la Jeunesse et des Sports de 1993 à 1995, ministre de l’Intérieur de 2007 à 2009, et désormais Garde des Sceaux. Pendant plus de cinq années, elle a été partie prenante de la lutte contre le hooliganisme. Or il ne semble pas que la loi qui porte son nom ni aucune de ses autres actions entreprises depuis 1993 ait réussi à enrayer la progression de la « barbarie », comme le dirait Rama Yade. Vu sous cet angle, soit Michèle Alliot-Marie est d’une incompétence crasse, soit les adversaires qui lui résistent encore aujourd’hui ne sont pas tous si « débiles mentaux » que cela.
Parce qu’elle les choque, tous ces dirigeants veulent considérer la brutalité de certains supporters comme le fruit d’une profonde stupidité. Certes la violence doit être condamnée, certes la violence heurte, émeut, et certes elle provoque l’incompréhension… mais elle n’est pas forcément la marque de la bêtise ! On peut aussi être violent et très intelligent. Or si les dirigeants de l’État n’envisagent même pas cette possibilité, s’ils ne cherchent pas à comprendre ces supporters contre lesquels ils luttent, comment espèrent-ils régler quoi que ce soit ?
Il suffirait pourtant de consulter le rapport du premier policier venu se baladant dans le Kob ou le VA, il suffirait d’écouter les études menées par les sociologues du sport pour le comprendre une fois pour toutes : organiser des combats de rue au nez et à la barbe des autorités demande des qualités d’organisateur que n’ont pas les « cinglés ». Réussir à passer entre les mailles du filet sans d’autres sanctions que de petites interdictions de stade, et ce pendant des années, pour des supporters que l’on dit fichés, voilà qui ne peut être le fait d’idiots.
Si les ministres persistent à considérer ces fauteurs de trouble avec un mépris condescendant, ils prendront des mesures qui se révèleront n’être efficaces qu’auprès du public visé : les « débiles mentaux ». Et les supporters les plus malins, et donc les plus dangereux, passeront encore entre les mailles du filet.
Les vrais faux-supporters
Les discours prononcés après le décès de Yann Lorence dessinent un autre malentendu. En fait, ces dirigeants politiques ne saisissent pas toujours de qui ils parlent.
Marie-George Buffet : Il faut que le football ait le courage de dire haut et fort qu’il condamne ces supporters violents. Ce ne sont pas des supporters d’ailleurs, ce sont des hommes qui utilisent le football pour exprimer leur violence et leur haine de l’autre.
Rama Yade : Ce ne sont pas des supporters, ce sont des gens qui ne sont animés que par la volonté de faire mal, de taper.
Extrait d’une dépêche AFP : Le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux a déclaré réfléchir à un « couvre-feu » contre les « fous et les insupportables » pour que « fans et supporters » puissent venir et assister aux matches en toute sécurité. […] Autour du football, « il y a les fans et il y a les fous, il y a les supporteurs et il y a les insupportables, les fans et les supporters doivent pouvoir vivre leur passion tranquillement, les fous et les insupportables doivent être mis dehors », a déclaré le ministre.
Les politiques, comme certains journalistes d’ailleurs, continuent à opposer ce qu’ils nomment les « faux-supporters » aux supporters non-violents. Brice Hortefeux, qui persiste à parler de fous, utilise également le terme d’ « insupportables », qu’il oppose aux « fans » et aux « supporters ».
Là encore, il s’agit d’une méprise. Si certains acteurs des drames ayant secoué le PSG ne montrent aucun intérêt pour le club parisien, voire le football en tant que sport, il faut bien comprendre que c’est loin d’être le cas de la majorité des personnes liées à ces phénomènes de violence ! La plupart de ces débiles mentaux faux-supporters, qui sont loin d’être stupides, agissent en fait pour soutenir leur club.
Cette déviance qui amène certains fans à agresser des supporters de l’équipe adverse, voire de la même équipe, s’explique très simplement. L’erreur que commettent Marie-George Buffet — pourtant elle aussi ancienne ministre des Sports — et Rama Yade, c’est de raisonner en terme d’image. Pour elles, les supporters violents nuisent à l’image de leur club, donc ils lui font du tort, et donc ce ne sont pas des supporters.
Elle ne comprennent pas qu’il s’agit au contraire de fans qui pensent accéder à un niveau de défense ultime de leurs couleurs. Pour eux, user de la force pour agresser l’adversaire revient à briser l’un des tabous les plus ancrés dans notre société, et ce dans le but d’aider leur équipe. À l’image d’un homme qui, en ultime recours, prendrait les armes pour protéger sa maison, ils sont prêts à se battre s’il le faut pour défendre leurs couleurs. Il existe là une dimension sacrificielle du supporter qui renonce à être « bien vu », qui est prêt à enfreindre la loi et la moralité, tout cela par et pour son équipe.
On doit ensuite différencier les mouvements hooligans ou casual du mouvement ultra’, le Paris Saint-Germain comptant des dizaines voire des centaines de représentants de chaque catégorie. Mais tous deux portent une acceptation de la violence, à des degrés plus ou moins forts. Leur point commun : chacun membre de ces mouvances se déclarera prêt à user de la force s’il se sent agressé. L’agression pouvant aller d’une attaque rangée et préméditée de supporters adverses à la sortie d’une banderole jugée inconvenante, en passant par une parole mal-interprétée.
Là où cette acceptation de la brutalité prend une dimension perverse, c’est que, pour beaucoup, la violence est devenue une manière de montrer son amour du club. D’acceptée, la violence en devient alors souhaitée, le renversement des valeurs achevant son demi-tour complet dans l’exemple suivant : si certains anciens ont dû, par le passé, se battre physiquement pour défendre leurs couleurs, alors la nouvelle génération ressent le besoin prouver sa valeur en faisant de même. Et si l’occasion ne se présente pas, alors il manque à ces supporters une épreuve initiatique pour qu’ils soient aussi bons, aussi grands que leurs aînés.
De ce point de vue, recourir à la violence est donc une sorte d’ultime étape dans le cheminement de celui qui voudrait devenir un ultra, un casual ou un hool. Et ceux-là mêmes que les politiciens voient comme au bas de l’échelle du fan s’y placeraient alors tout en haut.
Non seulement la violence est organisée, réfléchie, mais en plus elle se pose pour certains comme un modèle. Justement parce qu’ils sont supporters. En occultant le fait que les auteurs de troubles graves dans ou autour des stades puissent aussi être de vrais fans de leur club, les politiciens se coupent de cette réalité, et ne peuvent pas adopter de stratégie efficace : on ne peut résoudre un problème que l’on interprète mal !