PSG 2008/2009 : les transferts de l’occulte

Paris, le 26 mai 2008. Alors que Charles Villeneuve vient à peine d’être nommé à la présidence du PSG, l’affolement gagne les différents journaux de la capitale. Si le personnage Villeneuve est déjà célèbre, il n’appartient toutefois pas au monde du football. Comment faire pour découvrir quelle stratégie emploiera l’homme du Droit de Savoir ?

La théorie de l’Arsenal

Heureusement, la radio RMC détient la solution. Grâce à son département de recherches en psychokinésie et numérologie, elle découvre vers quel avenir les probabilités emmèneront le Paris Saint-Germain. Pour rappel, voici un article de Football 365 relatant le résultat de cette expérience qui amenait les supporters du PSG… jusqu’aux limites de l’étrange !

S’ensuivent deux mois de folie mercato pendant lesquels les noms de Gilles Grimandi, puis David Stein, puis Arsène Wenger, puis les trois, deux mais pas l’autre, un seul, la moitié de Wenger et enfin aucun sont alternativement infirmés puis confirmés comme étant sur le point de rejoindre le Camp des Loges. Quand ? Mais demain ! Ou à la fin de la saison… voire au mercato d’hiver. Et peut-être la semaine prochaine. Tout ça grâce au service prospective et loi des grands nombres de la radio RMC… qui avait vu Villeneuve déjeuner avec Arsène Wenger. Chose qu’ils faisaient régulièrement depuis des mois. Une étude numérologique d’addition de restaurant, ça vous tient bien un mois ou deux…

Tarot ibérique

Délicate période que celle de la fin août. Les champs des possibles fluctuent et l’infini chaos trouble l’éther des transferts. La fin août, c’est à rentrer chez soi pour vomir un petit coup. Seul un médium de première force peut alors démêler les fils de l’écheveau temporel. Et le quotidien L’Équipe détient cet homme.

Exerçant son art de la cartomancie en ermite, ce médium a vu son propre pouvoir le soustraire à la bassesse d’un monde extérieur qui ne peut le comprendre. Damien Degorre préfère user de son tarot dans le calme des salles de rédaction plutôt qu’à la lumière trop crue des plateaux télévisés. Le 28 août 2008, alors que la chaleur d’un été mourant trouble les esprits de ses collègues, lui seul parvient à focaliser son énergie mentale sur LE point qui va changer la face du football européen. Le pendu, la Force et la maison Dieu, trois arcanes majeures et soudain Damien Degorre sait. Oui, Degorre est sûr, Degorre l’écrit : le Real Madrid a trouvé le nouvel Eto’o… et c’est Yannick Boli ! Les cartes le lui ont révélé.

Yannick Boli au Real Madrid

Le Tarot ne mentait pas : la fin du mercato 2008 montrera combien Le Guen aura dû lutter pour retenir Yannick Boli, brisant ainsi le charme des arcanes. Il aura fallu que l’entraîneur parisien aille jusqu’à dire « non », pour que soit respecté le contrat qui liait le joueur à son club ! On tremble encore au souvenir de cette lutte homérique. Tout ça pour venir à bout des forces de la destinée… Destinée qui au bout du compte ne trahira pas Degorre : le médium l’avait anticipé, et comme il l’écrivait Madrid ne laissera pas Boli filer à Barcelone. Damine Degorre avait vu juste !

Ce que le médium ne pouvait en revanche pas prévoir, c’est qu’un autre géant infléchirait la course du temps… Mais au fond, comment Madrid pouvait-il lutter à armes égales avec le Havre Athletic Club, futur club de Boli ? Impossible, le combat était inégal. Il est des perturbations déterministes que même le pouvoir d’un grand médium ne peut contrer. Damien Degorre avait donc percé à jour les secrets du temps et de l’espace : seule une résistance presque acharnée de Paul Le Guen, ainsi qu’un quasi-poids lourd du football mondial auront empêché le Real de recruter Yannick Boli en 2008…

Un an plus tard ? Plutôt que de tenter une nouvelle fois sa chance avec un joueur qui n’aura pas même su s’imposer en équipe une du Havre, pour le mercato 2009 Madrid a préféré mettre 95 M€ sur Cristiano Ronaldo. Sans doute marqué par la trop vive déception de ne pas avoir pu attirer le si prometteur buteur parisien l’été dernier les Espagnols ont baissé pavillon. Pour eux comme pour Degorre, Boli au Real cela restera un fantasme inassouvi. Inaccessible.

Candomblé en une

Ronaldo

Mais le premier quotidien sportif français compte bien d’autres esprits aptes à communiquer avec les puissances divines. Éric Frosio par exemple, le grand prêtre — ou Babalorixa — chargé de conduire les cérémonies du Candomblé… Le 19 septembre 2008, les couloirs du journal L’Équipe bruissent de maints rites sacrés, et secrets. Frosio, après avoir dialogué avec Exu, a réussi à convaincre sa rédaction de publier en pleine une du journal un titre à peine racoleur : Ronaldo rêve de Paris.

Les divinités Candomblé ont guidé les pas du journaliste vers la maison de Ronaldo. Là, il a recueilli la parole du joueur. Dans quelle mesure la déesse Anamburucu a-t-elle pris possession d’Éric Frosio afin de lui faire poser la question fatidique ? La raison doit laisser ici place à la croyance… mais les pratiquants du Candomblé ne doutent pas tant ils reconnaissent la marque de leurs divinités dans cette interview :

Trois lignes perdues dans une interview d’une demi-page ? Ronaldo possède un appartement à Paris ? Il croit que Kežman peut aider le PSG à remporter le titre ? Voilà qui mérite bien qu’on y consacre la une tant les auspices sont favorables. Mieux, Jérôme Touboul, simple Iabassê à L’Équipe, se voit octroyer la lourde charge d’écrire un article. À lui d’expliquer que le PSG, au courant de rien, ne peut évidemment pas démentir quoi que ce soit. Un grand moment de communion avec les esprits qui sera intitulé « Le Paris SG ne dit pas non », et dans lequel on apprend que si Paris ne dit pas non, il ne dit pas oui non plus, tellement il n’y a rien à dire face aux puissances du Candomblé.

Rites mystiques, croyances héritées des esclaves volés à l’Afrique voilà où Touboul et Degorre vont puiser leur sagesse. Puissances mystérieuses, incontrôlables, puissances occultes. Mais puissances qui ne trompent pas ! Un an plus tard, les prédictions du journal L’Équipe se sont toutes avérées vérifiées. Ou presque : Ronaldo continue à venir à Paris pour faire du shopping. Et visiblement la gastronomie française lui plaît toujours autant. Le vaudou a frappé.

Une fine Équipe d’astrologues

Inexplicablement déçu par sa pratique du culte Candomblé, pourtant prometteuse, Jérôme Touboul retournera ensuite à ses anciennes amours : l’astrologie. Le 9 octobre 2008, les astres sont d’ailleurs formels : avec Neptune dans le trigone, c’est Deschamps qui voit sa photo faire la couverture du hors-série spécial astro’ de L’Équipe. À moins que ce ne soit la une de la version normale du quotidien sportif français ? En tous cas la photo est drôlement fashion, on reconnaît là tout le bon goût de l’attaché de presse de l’ancien capitaine des Bleus.

Quoi qu’il en soit, dès octobre Jérôme Touboul et son acolyte Damien Degorre ont refait leurs calculs, revu leurs éphémérides et donné leur conclusion : « le retour de Didier Deschamps dans le circuit n’a jamais semblé aussi proche ». Ce sera en Équipe de France, ou à Paris, mais ça va se faire, et vite. Bon alors évidemment Deschamps devra attendre plus de six mois pour finalement se faire recruter à la place du maître-chien préféré des journalistes du Vieux-Port mais vous pensez : quand la constellation du Petit Canari traversait la nébuleuse de Turin, avec l’étoile du Chômeur en opposition, Deschamps à Paris, ça ne pouvait que marcher !

D’ailleurs, un remarquable travail d’investigation venait confirmer ce que l’horoscope indiquait déjà. Dans leur article, Degorre et Touboul assénaient la confirmation, sûrs de leur fait :

On comprend que nos deux astrologues aient crû en leur bonne étoile : les astres, eux ne mentent pas. Et d’ailleurs, avec le Légionnaire qui traversait la Porte d’Orion fin janvier tandis que l’année du Vieux Singe Breton ne se terminait que début mai, la suite de la saison illustrait — presque — leur magnifique prédiction. Oui, comme les astrologues le confiaient, « Le Guen était en danger », et « depuis le début de la semaine, cette tendance [Deschamps plus proche du PSG que de l’équipe de France] se dessinait, prenait de l’épaisseur et nourrissait les fondations des plans du président du club de la capitale, Charles Villeneuve, qui n’avait pas renoncé à se séparer de Paul Le Guen. » Ou pas…

Deschamps au PSG

Il faut préciser ici que ce même 9 octobre 2008, et toujours dans le journal L’Équipe, Vincent Duluc délivrait une autre perle de clairvoyance. La rédaction du quotidien a-t-elle toute entière suivi un stage d’astrologie-pour-les-nuls ? Nul ne le sait, tant plane un culte du secret autour de ces méthodes de journalisme ésotérique. Mais les faits sont là : dérangeante coïncidence, Vincent Duluc visait juste lui aussi alors qu’il trouvait bon de titrer, en page 2 :

Avec huit mois de recul, pour tous les amoureux de l’astrologie, ce numéro de L’Équipe tiendra lieu de référence… Jusqu’à ce que Jérôme Touboul batte son propre record.

Le 18 mars 2009, nouvelle conjonction : le signe du poisson en est au troisième décan, mais le Pêcheur rejoint la Croix du Sud. Si contrairement aux prédictions d’octobre Deschamps n’a toujours pas rejoint Paris, ce coup-là en revanche aucun doute possible. Touboul jette son éblouissante vérité aux yeux d’un monde d’incroyants : Paul Le Guen va rejoindre Marseille !

Eh oui, Jérôme Touboul a tout deviné. Aujourd’hui encore une telle science de la divination laisse pantois. Le médium de L’Équipe déroule une suite d’évènements qui tous verront leur confirmation : il explique dès mars que « Gerets est pressenti en Allemagne », et que ce départ à l’étranger aura lieu « même si Marseille gagnait la coupe UEFA ». Ensuite, Touboul précise que « Marseille privilégie une piste à l’étranger », mais « ne souhaite pas approfondir la piste Deschamps ». Quant à José Anigo, il a « contacté Le Guen », qui de son côté « n’a pas fermé la porte ».

Le Guen à l’OM

Alors évidemment, de tels dons dérangent les Philistins, et tous les réfractaires profanes. Mais comment ne pas s’incliner devant le Nostradamus du football moderne ? Quelques jaloux tenteront de contredire les prophéties mais les acteurs eux-mêmes, démasqués par Jérôme Touboul se voyaient bien obligés d’avouer la bouleversante vérité :

Une telle unanimité laisse pantois. On comprend pourquoi L’Équipe a gagné le respect de ses pairs, en repoussant toujours plus loin ses propres limites.

Les spirites de mon Moulin

Il faut dire qu’entre temps, Le 10 Sport, organe officiel de Michel Moulin, avait placé la barre très haute en matière de prédictions de transferts. En travaillant autour d’un guéridon mal équilibré, l’équipe du journal a réussi à rentrer en contacts avec les esprits. Résultat, contrairement à ce que l’on pouvait croire ce 2 février 2009, Charles Villeneuve n’a pas été viré par Colony Capital, il est juste en mission secrète.

Il faut dire que dans la salle de rédaction du quotidien, grâce au spiritisme, on en sait des choses. Voici ce que révèle Le 10 Sport en une le 2 février 2009 :

Le lendemain, le site Internet le10sport.com développe encore :

Pour ceux qui auraient manqué le coche, la bande à Moulin est catégorique : cela fait aujourd’hui cinq mois que Villeneuve est revenu à la tête du Paris Saint-Germain, en secret. Vous n’étiez pas au courant ? Et pourtant, Villeneuve est en charmante compagnie. Rappel du compte-rendu des prises de contacts avec l’au-delà :

Entre deux épilations du pli fessier, les dirigeants qatari révélaient donc à l’épouse de Benarbia combien ils allaient investir auprès du beau-frère du cousin de l’agent de Nasri (qui a déjà croisé Wenger dans l’ascenseur de l’Emirates Stadium). Sauf que voilà, au salon de beauté le Chameau lisse, l’esprit-frappeur caché derrière la lampe à U.V. a ensuite tout révélé aux journalistes de Michel Moulin ! Depuis Allan Kardec, jamais on n’aura rencontré tel bouleversement dans le monde des tables tournantes.

Après, on pourra toujours dire que si Villeneuve n’est pas revenu au Paris SG en mars, cela s’est vraiment joué à un cheveu — et à quelques poils.

Pour ceux qui ne croiraient pas aux esprits, le soir même Stéphane Désenclos apportait la preuve de ses dires, devant un parterre médusé de journalistes de RMC. À écouter le pauvre rédacteur en chef du 10 Sport pédaler dans la semoule, on ressent de manière poignante la difficulté qu’il y a pour l’équipe d’After Foot de communiquer avec cet homme dont le cerveau pourrait aussi bien être cliniquement mort depuis des lustres.

After Foot du 2 février 2009 (RMC)

Pour Aujourd’hui Heinze revient (ou alors c’est pour demain)

Heinze au PSG

Le monde étrange de la rubrique transferts ne compte pas que d’heureux médiums. Le petit peuple d’Aujourd’hui Sport n’a pas la chance des collègues Touboul et Degorre. Pour Vincent Machenaud, pas de vaudou brésilien et encore moins de collection de DVD de Madame Soleil. Là, faute de budget, le parent pauvre de l’information sportive française a dû recourir à des pis-aller divinatoires.

Si c’est en apprenant de ses erreurs que l’on progresse, il faut bien admettre que le contrat passé avec la société de machines à café a gravement nuit aux finances de la cellule Transferts et Divinations du quotidien : impossible de lire l’avenir dans le marc de café soluble. Et après sa troisième convocation au commissariat [1], Vincent Machenaud a dû stopper ses tentatives de lecture de l’avenir dans les entrailles des chats du voisinage. Alors même que cela commençait à porter ses fruits. Il faut dire qu’abandonner les dépouilles dans les poubelles du journal — entreposées en plein soleil — n’était pas discret…

C’est donc dans les lignes de sa propre main que Machenaud — la caution du jeune quotidien sportif en tant qu’ancien de France Football — a réussi à découvrir le scoop qui allait enfin le rendre célèbre. Le 10 juin 2009 il annonçait l’âme sereine et le front haut le retour au Paris SG de Gabriel Heinze. Morceaux choisis :

Quelle est belle la certitude de celui qui, sûr de son art, ne s’embarrasse pas du conditionnel ! Cette main gauche, burinée par le froid des tribunes de presse de la L1, ces doigts moins déformés par l’âge que par l’usage de claviers au rabais [2], cette paume-là, symbole de souffrance et de misère, c’est celle dont les lignes de vie permettaient enfin à Vincent Machenaud de réaliser un rêve : écrire un article n’ayant paru ni dans le Parisien ni dans L’Équipe la veille. C’est donc en la contemplant, celle par laquelle le scoop était arrivé, que le journaliste se laissait emporter par les flammes de la passion au moment de conclure son article prophétique :

On a beau dire, quand les médiums se font poètes, alors ils transportent le lecteur dans un autre monde. Dommage pour cette main que la venue de Heinze ait été démentie quelques heures plus tard à peine. Le temps d’un rêve, comme dirait Machenaud…

Reste la certitude que la divination incarne l’avenir du journalisme. Tant de brillantes réussites, tant de découvertes étranges et inexpliquées, tant de mystères dévoilés en une saison à peine… On aurait presque hâte de découvrir ce que nous réservent nos brillants médiums pour l’année prochaine. Ce sera sans Le 10 Sport et Aujourd’hui Sport : aussi étonnant que cela puisse paraître, ces deux journaux ont dû jeter l’éponge faute de lecteurs.