La plupart du temps, les calendriers des championnats de football sont élaborés manuellement : le calendrier étant symétrique, sa construction ne demande « que » de choisir, pour chacun des matches — 190 dans une compétition à 20 clubs comme la L1 —, deux adversaires et un lieu, soit un total de 570 choix. Cependant, le nombre total de combinaisons est astronomique. Rien que pour le calendrier de Paris, il y a 19 adversaires possibles pour la première journée, 18 pour la deuxième, 17 pour la troisième, etc. Sans considérer la localisation de ces 19 journées, il y a déjà 120 millions de milliards de possibilités.
Si ce choix peut en théorie être réalisé par tirage au sort des 570 choix, un calendrier, quel que soit le sport, doit satisfaire à la fois l’organisateur — la LFP —, les participants — les clubs — et les diffuseurs — Canal+, beIN Sport —, tout en prenant en considération des contraintes matérielles, comme les disponibilités de stades. Lorsque tous ces critères sont pris en compte, il en résulte une liste de requêtes extrêmement longue, et parfois incompatibles entre elles. Lors des trois saisons précédentes, la LFP avait même été obligée d’inverser les trois premières journées — J1-J2-J3 correspondant à J36-J37-J38 —, et non pas seulement la première, afin de satisfaire le maximum de contraintes.
Des contraintes sportives et matérielles
La Ligue de football professionnel impose des contraintes liées à quelques fondamentaux d’équité tout au long de la saison.
Alternance domicile/extérieur. Pour chaque club, le calendrier optimal est le suivant : un match à domicile suivi d’un match à l’extérieur. Les 1re et 38e journées étant inversées, chaque club doit en fait disputer une série de deux rencontres consécutives à domicile et deux consécutives à l’extérieur — une série par demi-saison.
Alternance d’adversaires. Pour chaque club, la série d’adversaires doit être la plus équilibrée possible. Que ce soit la lutte pour le titre, l’Europe ou le maintien, il est évident qu’enchaîner Lille, Lyon, Paris, Marseille et Bordeaux lors des cinq dernières journées semble être un défi bien plus grand qu’affronter successivement Troyes, Reims, Brest, Lorient et Nice. Chaque club doit donc alterner de manière régulière les candidats au maintien et les candidats au titre.
Privilégier les coupes d’Europe. Le clasico Real-Barcelone programmé au beau milieu des demi-finales de la Ligue des champions 2012 — et l’élimination des deux favoris espagnols par la même occasion — a montré l’incohérence de certains calendriers. De son côté, la LFP tente de protéger les équipes européennes, en limitant les « grosses rencontres » avant un match de Ligue des champions ou de Ligue Europa.
Dans le détail, on remarquera qu’en préparation des six journées de matches de poule, les six clubs français engagés en coupes d’Europe possèdent tous des calendriers favorables : Montpellier n’a qu’un seul match difficile, en déplacement à Lyon (J15) ; Paris reçoit cinq fois sur six, sans affronter plus coriace que Rennes ; Lille a un calendrier extrêmement dégagé ; Lyon reçoit lors de ses six matchs — dont tout de même Bordeaux et Montpellier. Le calendrier est moins clément pour Marseille — Montpellier, Bordeaux et Lille —, et surtout pour Bordeaux - Paris, Lyon, Lille, Toulouse, Marseille et Rennes.
Pour Paris, le calendrier semble ainsi plutôt conciliant : Bastia ou Sochaux puis Reims ou Nancy avant d’éventuels huitièmes de finale, puis un enchaînement plus délicat Montpellier-Rennes pour d’éventuels quarts de finale.
Enfin les différents clubs pouvant prétendre à une demi-finale en C3 — Lille, Paris, Lyon, Bordeaux, Marseille — possèdent tous un calendrier favorable pour J34-J35.
Disponibilité des stades. Pour qu’un match puisse avoir lieu, il faut que le stade soit disponible. Une contrainte loin d’être anodine. Par exemple, si le stade Ange-Casanova du Gazélec n’est pas homologué, l’AC Ajaccio (L1) et le GFCO Ajaccio (L2) évolueront dans le même stade François-Coty, et ne pourront donc pas jouer simultanément. Les concerts, matches de rugby et autres événements réservent parfois les stades des mois à l’avance, occupant alors certaines dates.
À noter cependant qu’en pratique, le football est prioritaire dans les stades : sauf travaux, c’est aux autres événements de s’adapter.
Des contraintes locales. Chaque ville accueille des événements festifs ou culturels, programmés longtemps à l’avance, dont les pouvoirs publics jugent l’organisation incompatible avec celle d’un match de football. On notera par exemple cette saison qu’il n’y a pas de match domicile programmé pour le marathon de Paris, l’ouverture de la foire de Paris, l’ouverture du carnaval de Nice ou la fête des Lumières à Lyon. Au contraire, d’autres événements n’ont pas été pris en considération cette année : on retiendra l’ouverture des foires internationales de Bordeaux ou Marseille ou encore la braderie de Lille.
De la même manière, dans la mesure du possible, il n’y a pas de match le même jour à Lyon et à Saint-Étienne, à Lorient et à Rennes ou encore à Lille et à Valenciennes — afin de limiter la concurrence entre clubs voisins et de faciliter le déploiement des forces de l’ordre.
Autres contraintes. L’an dernier, la LFP dévoilait les principes directeurs pris en considération dans l’élaboration du calendrier : protéger les clubs exposés aux intempéries ; répartir équitablement les clubs générant les plus fortes affluences sur les matches aller et retour pour favoriser l’équilibre économique et sportif ; éviter les derby dans les premières journées de championnat ; pas de matches à forte audience pendant les finales de coupe de la Ligue et de coupe de France ; pas les mêmes matches que la saison dernière sur les quatre premières journées.
Des contraintes télévisuelles
Principaux bailleurs de fonds du championnat de France, les diffuseurs imposent certaines consignes.
Choix des principales affiches. Mercredi, plusieurs heures avant que le calendrier ne soit dévoilé, huit affiches étaient déjà connues, ainsi que leurs dates : Lille-PSG (J4), Lille-Lyon (J6), OM-PSG (J8), OM-Lyon (J10), Montpellier-PSG (J12), Marseille-Lille (J14), ASSE-Lyon (J16) et PSG-Lyon (J18). L’Équipe révélait que ces dates avaient été fixées par Canal+, en vertu du contrat de diffusion entre la chaîne cryptée et la Ligue.
Répartition des affiches. Lors des huit journées évoquées ci-dessus, les choix premium de Canal+ ne souffrent d’aucune concurrence, seul Marseille-Rennes (J4) pouvant prétendre attirer des téléspectateurs neutres lors du même week-end. Si cela assure à ces huit rencontres la meilleure visibilité, cela permet également de faire en sorte que les autres journées disposent elles-aussi d’une affiche, même de moindre calibre.
Disponibilité des téléspectateurs. Les diffuseurs souhaitent avant tout faire de l’audimat, ce qui n’est possible que sans la concurrence de divers facteurs : vacanciers du mois d’août, tournoi des six nations, soirée Miss France ou cérémonie des Césars sont autant de freins à une bonne diffusion. Cela concerne les journées 1 et 2 (vacances), 12 (France-Australie en rugby), 16 (Miss France), 23, 24 (six nations), 26 (six nations et Césars), 28 et 29 (six nations).
Il est fort heureux pour Canal+ que ces autres événements se déroulent tous lors de samedis — après-midi ou soir —, les affiches de L1 étant programmées le dimanche soir. Seul le 9 février voit un conflit potentiel, entre France-Pays de Galles à 18h et Lyon-Lille à 21h. Aucune affiche n’est programmée lors des deux premières journées.
Matches en semaine. Les matches diffusés en semaine recueillent toujours moins de téléspectateurs que ceux diffusés le week-end. Les affiches y sont par conséquent moins nombreuses. C’est encore le cas cette saison : une seule journée est concernée, et il n’y aura rien de mieux que Bordeaux-Saint-Étienne et Lille-Toulouse…
À noter que c’est également une demande des clubs, qui peinent à remplir les stades en pleine semaine.
Les demandes des clubs
Premiers acteurs du championnat, les clubs émettent également des avis, en fonction de leurs propres contraintes, de choix économiques ou de souhaits sportifs.
Finir à domicile. Pour mieux avoir son destin entre les mains lors de la dernière journée, la quasi-totalité des formations de L1 souhaitent jouer leur dernier match à domicile. Cela ne semble pas respecter l’équité sportive, donc les clubs préfèrent demander à jouer leur premier match à l’extérieur ; les journées 1 et 38 étant inversées, cela revient exactement au même.
Événements. Les clubs demandent souvent de disputer certains matches à une date précise pour célébrer un événement précis, par exemple l’anniversaire du club. En 2000, le PSG avait ainsi fêté ses 30 ans en jouant au Parc des Princes le 27 août, la date de création officielle que le club parisien revendiquait à l’époque étant le 27 août 1970. [1]
Il peut également s’agir de la volonté de la mairie, d’un sponsor ou d’un partenaire d’organiser un match de gala à une période précise.
Le cas Lorient. Paris-Lorient en ouverture du championnat, cela commence à devenir une habitude. Depuis le retour de Lorient en L1 en 2006, Paris a en effet joué Lorient en août en 2006/2007 (J1), 2007/2008 (J3), 2011/2012 (J1) et 2012/2013 (J1), à chaque fois au Parc, pour trois défaites et un match à jouer. Ce chiffre de 4 matches en 7 tirages semble pour le moins étrange et, si demande il y a, elle ne provient certainement pas des Parisiens…
Depuis 2006/2007, sur les 29 matches de L1 que Lorient a joués au mois d’août, 16 l’ont été contre les 4 ou 5 clubs favoris au titre en début de saison. C’est une demande logique : les « gros » clubs, qui se préparent pour des saisons de 50-60 matches, et ont besoin de temps pour pleinement intégrer leurs nouvelles recrues, sont plus facilement prenables en début de saison. Tout comme les gros veulent des petits avant les matches de coupe d’Europe, les petits veulent des gros lorsque ceux-ci ne sont pas prêts. Ni les souhaits des gros — qui veulent être au point lors des confrontations directes entre eux —, ni ceux des diffuseurs — qui ne veulent pas d’affiches estivales — ne s’y opposent.
La méthode
Concilier les demandes des clubs, de la Ligue et des diffuseurs est une chose ardue, qui ne peut pas être réalisée manuellement. Jusqu’en 2007, la LFP déléguait l’élaboration de son calendrier à un professeur de mathématiques, apprenait-on dans Le Monde en août 2010. « Mais son successeur ne pouvait plus intégrer toutes les contraintes », expliquait Arnaud Rouger, directeur des activités sportives de la LFP. Depuis, l’instance dirigeante du football professionnel français fait appel à une compagnie canadienne, Optimal Planning Solutions (OPS), pour établir le calendrier.
Les références. OPS peut se targuer d’une imposante liste de clients. On notera la NFL, l’AFL, l’ACC (sports universitaires) et anciennement la MLB pour les sports américains ; la MLS, la Ligue 1, Ligue 2, les Ligues écossaises et australiennes pour le football ; les Ligues françaises de handball et basket, ou encore les Ligues de rugby d’Angleterre, d’Australie ou du Super XV néo-zelando-sud-africain.
Spécificités. Jouer en été dans le sud, ou en hiver dans le nord, peut s’avérer délicat pour certains clubs, dont les organismes ne sont pas habitués au climat. De source nord-américaine, le critère climat est très sérieusement surveillé par les autres clients d’OPS. En France, selon nos informations, l’importance accordée au climat — plutôt du ressort de la Ligue que des clubs eux-mêmes — est décroissante ces dernières années en raison des équipements des stades — pelouse chauffée à Sochaux, couverture à Lille ou synthétique à Nancy par exemple — et de l’impossibilité de prévoir en mai les conditions météorologiques de l’hiver suivant. [2]
Autre sujet d’attention en Amérique du nord mais non pris en compte en France : la distance des déplacements lors des matches en semaine. Outre le désintérêt des clubs et de la LFP envers les déplacements de supporters, cela s’explique par le nombre décroissant de journées de championnat organisées en pleine semaine : cette saison, il n’y aura qu’une.
Points. Historiquement, les clubs pouvaient adresser à la LFP une liste de demandes, que celle-ci s’efforçait de prendre en considération. Certaines équipes multipliaient les souhaits, rendant l’exercice très périlleux. Désormais, chaque club dispose de 100 points, qu’il doit miser sur des souhaits, ce qui lui laisse la liberté de définir ses priorités : si un club n’a qu’un souhait et qu’il mise 100 dessus, il est sûr de le voir exaucé ; s’il mise 10 points sur chacun de ses 10 souhaits, il s’en remet au hasard ; enfin si un club définit cinq souhaits sur lesquels il mise 50, 30, 10, 5 et 5, il aura de grandes chances que les deux premiers soient exaucés, et que les trois suivants le soient uniquement s’ils ne rentrent pas en opposition avec d’autres contraintes.
Avant ce système des points, 19 équipes sur 20 demandaient à commencer à l’extérieur pour finir à domicile. Aujourd’hui c’est encore le cas, mais les mises départagent les équipes.
L’algorithme. L’algorithme utilisé est extrêmement simple, et assure la production du meilleur calendrier possible, en tenant compte des toutes les contraintes obligatoires — de la Ligue, des diffuseurs —, et du maximum de contraintes préférentielles — des clubs. Sans entrer dans le détail de l’optimisation — ce qui est nécessaire pour pouvoir générer un calendrier sans avoir la puissance de calcul de la Nasa —, OPS génère tous les calendriers compatibles avec les contraintes obligatoires, et ne conserve que celui ayant le plus fort taux de contraintes facultatives.
Les résultats. En 2007, Frédéric Thiriez se félicitait sur le site d’OPS des résultats obtenus avec la société canadienne : « Chaque année, nos clubs et diffuseurs soumettent leurs demandes de calendrier à la LFP. Les saisons précédentes, nous étions seulement capables d’honorer 75 % de ces demandes. Cette saison, avec l’aide d’OPS, nous en avons honoré 93 %, ce qui est sans précédent. »
Sur son site officiel, la Ligue précisait encore la situation : « 93 % des vœux exprimés par les clubs de Ligue 1 et 92 % des vœux exprimés par les clubs de Ligue 2 ont obtenu satisfaction. Pour mémoire, rappelons que la quasi totalité des clubs souhaitant disputer leur premier match à l’extérieur — ce qui est mécaniquement impossible —, le pourcentage de satisfaction ne peut pas être égal à 100 %. »