Les provinciaux sont au cœur des plus gros problèmes que l’on puisse se causer par mégarde. Aussi est-il vital que tu apprennes à les débusquer, toi le Neeskens Kebano des tribunes du Parc des Princes. Par exemple lors d’un Paris SG - Lille, il faut éviter de taper sur l’épaule d’un ami en lui lançant à très haute voix que décidément, ils ont tous des têtes d’alcooliques ces Nordistes. Ou en tout cas pas sans avoir au préalable regardé aux alentours. Non pas que la réplique ne soit pas appropriée, puisque l’ami risque fort de partager ton opinion. Mais si un passant à l’ouïe fine faisait à la fois partie du Front de libération du Pas-de-Calais et du club de Karaté de Sainte-Moule-la-Frite, vous risqueriez d’assister tous deux aux prochaines rencontres du club depuis un lit d’hôpital. Te voilà donc prévenu, ami parisien : détecter un intrus au beau milieu de la foule du Parc peut devenir une question de survie. Or, la tâche n’est pas si facile !
Une idée reçue consiste à penser que tous les supporters adverses restent enfermés dans leurs cars jusqu’à ce qu’on les mène directement dans leur tribune entre deux colonnes de CRS, leur évitant ainsi toute occasion de fuir une triste destinée de paysan pour tenter de se mêler à la foule alphabétisée. On pourrait croire qu’ils demeurent ensuite parqués dans leurs travées tout le match, en attendant qu’on les ramène aussitôt dans leur car/bétaillère/tracteur (rayer la mention inutile)… [1] Ce qui serait logique. Évidemment c’est le cas pour une majorité d’entre eux, mais croire que cela s’applique à tous revient à nier une spécificité de l’Île-de-France : au bout du compte, il n’y a que très peu de vrais Parisiens dans la capitale et ses environs. Si le traitement décrit ci-dessus est celui réservé à ceux qui ont fait le déplacement, n’oubliez pas que de nombreux fans de l’équipe rivale habitent en fait la région parisienne, et qu’au prix d’une fourberie sans nom, ils ont peut-être acheté une place quelconque, comme n’importe quel amateur du PSG !
Ces intrus viennent donc au Parc soutenir leur ancienne équipe, le ventre serré à la fois par la nostalgie et le kebab sauce piquante englouti peu auparavant. Toujours là… Tapis dans les travées. Peut-être assis juste à côté de toi, innocente cible ! La difficulté réside donc dans le fait que non seulement le Lillois se place en dehors de la tribune qui lui est réservée, mais qu’en plus il se cache : échaudés par la mauvaise réputation d’une frange d’habitués du Parc, les Ch’tis, pourtant en force à Paris, tentent de passer inaperçus, comme les Bretons d’ailleurs, et toutes les autres étranges ethnies peuplant les confins de la L1. Ce goût du camouflage, cette science du travestissement chez le visiteur caché, voilà ce qui va rendre ta chasse très ardue, petit Parisien…
Il est pratiquement impossible de repérer un provincial qui a choisi de rester discret en dehors des tribunes. Ta seule chance serait que l’adversaire du jour ait une particularité physique ou vestimentaire connue de tous. Mais même lors d’un Paris SG – Lille, difficile de regarder la nuque de tous les passants en y cherchant la coiffure de Tony Vairelles : court sur le dessus et long dans le cou. Vous pourriez de même établir un portrait robot du supporter de chaque club : pour Marseille, le bronzage et la chaîne en or ; pour Lyon, la coupe de cheveux en brosse certifiée OL Coiffure ; pour Bastia ou Ajaccio, le pendentif autour du cou représentant l’île de beauté ; pour Rennes ou Lorient, le ciré Guy Cotten ; et pour Auxerre, le bonnet à pompon… En théorie cette méthode pourrait porter ses fruits, sauf que question discrétion on a déjà vu mieux : impossible de scruter plus de 40 000 personnes sans passer pour un malotru. Voilà donc une conduite indigne d’un supporter de la capitale ! Mais alors, seras-tu obligé de te taire, et d’attendre l’entrée du stade pour critiquer à haute voix le club visiteur, par mesure de sécurité ? Heureusement non… Patiente simplement jusqu’à ce que des personnes de confiance, amis ou habitués d’un bar parisien, vous entourent. Même la ceinture noire de Sainte-Moule-la-Frite réfléchira avant de t’agresser si tu palabres avec une horde de supporters parisiens plus ou moins éméchés. Évidemment c’est un conseil d’une lâcheté confondante, mais il est universellement appliqué, et il permet de prévenir bien des désagréments.
Une fois gagnée la rassurante enceinte du stade, tu pourras démasquer le provincial à coup sûr. Dès les guichets, le visiteur adopte un comportement suspect. La promiscuité de tant de fans rouge et bleu l’indispose et il regarde constamment autour de lui. Il faut dire que depuis sa plus tendre enfance, son papa lui a répété de se méfier de tout ce qui touche à la capitale. Le gars est déjà surpris et vaguement soulagé d’avoir réussi à atteindre les abords du Parc des Princes sans s’être perdu dans le métro, il en arriverait presque à trouver ça louche. Il tient donc ses billets d’une main moite et tremblotante, tous les sens en éveil. Considérant chaque Parisien comme un potentiel escamoteur, il craint de se faire dépouiller de son précieux sésame. Voire de se faire violer par son voisin de derrière dans la file d’attente…
Il faut préciser ici que le visiteur caché vient rarement seul au Parc. Afin de limiter au maximum les risques, il a cru bon de demander à sa petite amie, ainsi qu’à deux ou trois camarades de l’accompagner. Mais une fois sur place, et pris dans l’embouteillage menant à la fouille, il regrette amèrement sa décision. Organisateur de cette expédition qu’il imagine fort dangereuse, le poids de ses responsabilités l’écrase totalement. Aussi, jeune fan de Pastore, si ton voisin gémit doucement avant que le steward ne lui demande de montrer son billet, s’il n’avance que soutenu par une jeune femme un peu inquiète, et si tu entends ses intestins gargouiller à trois mètres de distance, alors félicitations : tu viens de découvrir ton premier supporter adverse !
Après t’être assis à ta place, tu pourras rééditer cet exploit et démasquer d’autres intrus. Surveille l’entrée de la tribune pour repérer les candidats potentiels. Le Lillois n’a toujours pas lâché son billet, désormais dégoulinant de sueur. Il le regarde d’ailleurs toutes les trois secondes, histoire de vérifier si le numéro de sa rangée et de son siège n’auraient pas mystérieusement changé depuis tout à l’heure. Il te faut donc chercher un homme, suivi d’une petite troupe compacte, cherchant désespérément à comprendre dans quel ordre sont rangés les fauteuils, mais n’osant pas demander d’aide à qui que ce soit. En fait, le groupe de voyageurs est le seul qui ne s’assiéra qu’après avoir fait entièrement le tour de la tribune, et vérifié une dizaine de fois que personne ne souhaite s’installer sur les places qui lui ont été réservées.
Pour détecter un importun arrivé avant tout le monde, et donc déjà à sa place, la méthode ne pose pas davantage de difficultés : il suffira par exemple de l’observer lorsque les joueurs de son équipe pénètrent sur la pelouse, au début de l’échauffement. La tension monte d’un cran au Parc, et pour qu’ils ne puissent se plaindre du traitement qui leur sera réservé par la suite, les footballeurs adverses sont déjà conspués. L’amateur de moules-frites se crispe donc instantanément sur son siège, choqué d’entendre bafouées les mœurs et la moralité des mères de tous les membres de son club. À chaque nouvelle étape de la rencontre, vous verrez ainsi le suspect réagir de manière décalée. Annonce de la composition des équipes ? Il n’applaudit pas les joueurs parisiens, et reste assis sur son siège, enrageant encore d’avoir entendu ses joueurs bien-aimés se faire conseiller un par un d’élargir leurs pratiques sexuelles par environ quarante mille personnes. Il faut dire à sa décharge que le manque d’hospitalité du supporter de la capitale est parfois assez consternant…
Quand arrive enfin le coup d’envoi, le natif de ces lointaines et tellement exotiques contrées d’outre-périphérique ne sait plus trop où il en est. Les Parisiens sont debout, le Parc entier résonne des chants hurlés à pleine poitrine. Le but de tout cela est d’impressionner les invités du jour, et force est de constater que cela fonctionne parfaitement. Prostré sur son siège, le provincial se demande ce qu’il est venu faire là, et subit les coups de coude que sa petite amie lui donne dans les côtes. Elle n’a pas compris, et impressionnée par les chants elle tente d’attirer l’attention de son fiancé, alors que lui justement n’en a que trop entendu… Et le match n’a même pas encore débuté.
Le plus amusant reste de surveiller les réactions du visiteur lorsque son équipe vient de rater une occasion en or. Si cela t’arrivait, toi qui a été mal habitué depuis le passage de Pauleta, toi au moins tu pourrais te lever, hurler à la mort et t’arracher quelques poignées de cheveux, si toutefois la nature t’a mieux doté capillairement que José Anigo. Bref, tu réagis avec mesure et classe, ou presque. Mais lui tient à passer inaperçu. Il devra donc souffrir en silence, trépigner en jetant quelques coups d’œil par dessus son épaule pour vérifier s’il n’a pas été découvert. Tout à fait jouissif pour un observateur parisien avisé ! Son comportement lorsque son équipe encaisse des buts doit sans doute également mériter que l’on s’y attarde. Mais le problème c’est qu’il y a toutes les chances pour que tu manques à cet instant précis de la lucidité nécessaire pour le vérifier… Mieux vaut profiter du moment sans se soucier de lui. De toutes manières, une fois le match vraiment lancé, les supporters adverses oublient petit à petit leurs bonnes résolutions, la suite dépendra donc de l’évolution du score.
Mais il est une tradition à laquelle il ne faudra jamais déroger. N’oublie pas, ô mon ami à la mèche bieberesque, que le supporter du PSG se doit de donner de lui une image désagréable et hautaine, un peu comme un rugbyman anglais avant que les Bleus ne lui enseignent les vertus de la modestie. Nous avons une réputation, une marque de fabrique à défendre ! Après chaque victoire, lorsque le karatéka nordiste le plus proche de ta place quittera la tribune après sa défaite, n’oublie surtout pas de lancer à haute voix, mais sans t’adresser directement à lui : « Et bien, cette année Lille, c’est pas ça… » Ou encore, faussement inquiet, demande autour de toi à combien de points de la relégation cette défaite nordiste place le club des Dogues, ce gros chien aux si petites testicules que dans un rare moment de lucidité, voire de sobriété, les Lillois se sont sentis obligés de choisir comme emblème. Nul doute que ces petites attentions feront plaisir aux visiteurs cachés. Au Paris Saint-Germain quand on peut rendre service… Et si le score venait à tourner en notre défaveur, alors là… prends ton mal en patience, et surtout, rappelle-toi qu’au PSG, notre fierté c’est de ne jamais abandonner.