Dans un communiqué diffusé à la presse ce lundi, la cour européenne des droits de l’homme a annoncé que la requête des Boulogne Boys, qui contestaient leur dissolution — sur décret du premier ministre en avril 2008, après « l’affaire de la banderole » —, avait été jugée « irrecevable » le 22 février dernier. Cette décision est définitive.
Nous nous sommes procuré les attendus de cette décision :
En fait
[…]
A. Les circonstances de l’espèce
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit.
L’association requérante, composée d’environ six cents membres, a pour objet de « soutenir pacifiquement l’équipe de football du Paris Saint-Germain (PSG) par le biais d’animations dans les tribunes des stades où l’équipe est appelée à disputer une rencontre ». Sa mission consiste d’une part à permettre à ses membres de soutenir le PSG lors des différents matches disputés à domicile ou en province en affrétant des bus et en leur proposant des animations au sein des tribunes et, d’autre part, à s’impliquer dans des actions de sensibilisation et d’organisation de la sécurité des stades.
Entre 2006 et 2008, plusieurs incidents violents ont opposé des membres de l’association aux forces de l’ordre ou à des supporters d’équipes adverses.
Le 29 mars 2008, à l’occasion de la finale de la coupe de la Ligue opposant Lens et le PSG au Stade de France et retransmise en direct à la télévision, une banderole fut déployée dans les tribunes parisiennes. Elle contenait les inscriptions suivantes : « Pédophiles, chômeurs, consanguins : bienvenue chez les Ch’tis ».
Le 4 avril 2008, le ministre de l’Intérieur saisit le président de la commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives (ci-après « la commission ») en vue de dissoudre l’association requérante.
Le 9 avril 2008, le président de l’association fut informé des griefs formulés à son encontre et invité à présenter ses observations en réponse avant le 15 avril suivant, ce qu’il fit succinctement le 14 avril 2008.
Le 16 avril 2010, la commission rendit un avis favorable à la dissolution.
Par un décret du 17 avril 2010 le premier ministre décida de dissoudre l’association requérante. Ce décret contient les passages suivants :
[…] Considérant qu’à l’occasion de la participation du club de football du Paris Saint-Germain (PSG) aux compétitions des saisons sportives 2006/2007 et 2007/2008, des supporters ont, en tant que membres des Boulogne Boys, en nombre variable, commis des actes répétés de violence ou d’incitation à la haine ou à la discrimination lors de rencontres sportives ; que le 10 septembre 2006, deux membres des Boulogne Boys ont été interpellés pour jets de projectiles sur agent de la force publique avant le match entre le PSG et l’Olympique de Marseille ; que le 23 novembre 2006, le match entre le PSG et le club de Tel-Aviv a été ponctué de provocations mutuelles entre supporters des deux clubs, dont les Boulogne Boys ; qu’à l’issue du match, vers la place de la porte de Saint-Cloud, alors qu’environ 150 supporters parisiens avaient entrepris de se livrer à des actes de violence contre les supporters israéliens, ils en ont aperçu un, protégé par un policier en civil ; qu’à la suite d’une bousculade, le policier a glissé, est tombé, a été frappé à coup de ceinture ; qu’ensuite trois autres personnes ont fait mouvement vers lui pour le charger ; qu’un coup de feu est parti, atteignant mortellement un supporter du PSG et membre de l’Association nouvelle des Boulogne Boys ; que les 24-25 novembre 2007, quelques heures avant la rencontre entre le club de Nice et le PSG, à la suite d’incidents violents provoqués par 50 à 80 supporters parisiens dont certains porteurs d’objets contondants, une quinzaine de supporters, dont des membres des Boulogne Boys, ont fait l’objet d’interpellations et de mesures de garde à vue ; que le 17 février 2008, à l’occasion d’un déplacement à Marseille, d’une part, des incidents à caractère raciste dans des cars affrétés par l’Association nouvelle des Boulogne Boys ont donné lieu à dépôt de plainte contre X par l’un des chauffeurs pour injures non publiques à caractère raciste et menaces de violences, d’autre part, une rixe éclatait à hauteur du péage de Lançon-de-Provence, au cours de laquelle une trentaine de supporters des Boulogne Boys sont descendus de l’un des cars et ont procédé à des déprédations sur les véhicules de supporters locaux, le président de l’association M. [D.] étant dans l’un des cars impliqués dans la rixe ; qu’enfin, une banderole incitant à la haine et à la discrimination a été réalisée avec le soutien matériel et déployée avec la complicité de membres des Boulogne Boys, lors du match PSG-Lens du 29 mars 2008 au Stade de France à Saint-Denis […] ;Considérant que de tels faits, commis en réunion, en relation ou à l’occasion de manifestations sportives, constituent des actes répétés de dégradations de biens, de violences sur des personnes ou d’incitations à la haine ou à la discrimination visés à l’article L. 332-18 du code [du sport] ;
Considérant qu’en conséquence, il y a lieu de prononcer la dissolution de l’Association nouvelle des Boulogne Boys. […]
À la suite de cette dissolution, la requérante déposa un recours en annulation du décret précité devant le conseil d’État dans lequel elle souleva les mêmes griefs que ceux présentés ci-dessous.
Par un arrêt du 25 juillet 2008, le conseil d’État rejeta la demande de la requérante. En ce qui concerne la régularité de la procédure, il releva que la requérante avait déposé des observations écrites dans les délais qui lui avaient été impartis et que ses représentants avaient été entendus par la commission le 16 avril 2008 et qu’en conséquence elle n’était pas fondée à soutenir qu’elle n’avait pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.
Sur l’absence de communication du rapport des renseignements généraux, le conseil d’État rappela qu’aucune disposition, législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit, n’imposait de communiquer préalablement à l’association tous les éléments de preuve dont disposait l’administration. Enfin, sur le grief tiré de l’atteinte à la liberté d’association, le juge administratif estima qu’au vu des faits reprochés à la requérante, l’auteur du décret attaqué, qui ne s’était pas fondé sur des faits matériellement inexacts, avait fait une exacte application de l’article L. 332-18 du code du sport et n’avait pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’association de la requérante au regard des motifs d’intérêt général qui justifiaient cette mesure.
B. Le droit interne pertinent
Le code du sport, dans sa version applicable à l’époque des faits, se lit ainsi :
Article L. 332-18
« Peut être dissous par décret, après avis de la commission nationale consultative de prévention des violences lors des manifestations sportives, toute association ou groupement de fait ayant pour objet le soutien à une association sportive […], dont des membres ont commis en réunion, en relation ou à l’occasion d’une manifestation sportive, des actes répétés constitutifs de dégradations de biens, de violence sur des personnes ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur sexe ou de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.Les représentants des associations ou groupements de fait et les dirigeants de club concernés peuvent présenter leurs observations à la commission […] »
Article R. 332-11
« Saisie par le ministre de l’intérieur d’un projet de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait mentionnés à l’article L. 332-18, la commission rend son avis dans le mois qui suit sa saisine […] »Article R. 332-12
« Le président de la commission définit les modalités de l’instruction de l’affaire et invite les représentants des associations ou des groupements de fait mentionnés par le projet de dissolution à présenter leurs observations écrites ou orales.Les dirigeants des clubs sportifs concernés sont informés qu’ils peuvent également présenter leurs observations écrites ou orales. »
Griefs
Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, la requérante se plaint de ne pas avoir disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense devant la commission. Elle se plaint en particulier du délai de six jours imparti à son président pour présenter ses observations ainsi que de l’absence de communication d’un rapport des renseignements généraux ayant servi de fondement à la décision du premier ministre.
Invoquant l’article 6 de la Convention, elle se plaint de l’insuffisante motivation du décret du 17 avril 2008, notamment en ce qu’il ne rapporterait pas avec certitude les faits reprochés à ses membres. Elle estime également que lesdits faits ont été commis de manière isolée et non en réunion contrairement à ce qu’exige l’article L. 332-18 du code du sport.
Sur le fondement de l’article 11 de la Convention, la requérante estime que la mesure de dissolution prononcée à son encontre a porté une atteinte disproportionnée à sa liberté d’association.
En droit
1. La requérante considère que la procédure suivie devant la commission n’a pas été équitable car elle n’a pas disposé d’un temps suffisant pour préparer sa défense et n’a pas eu communication de tous les documents transmis au premier ministre. Elle invoque l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention dont les passages pertinents se lisent ainsi :
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement […] par un tribunal […], qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. […]3. Tout accusé a droit notamment à […] disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. […]
Ces griefs posent en priorité la question de l’applicabilité de l’article 6 à la procédure suivie devant la commission.
La Cour constate d’emblée que le volet pénal de l’article 6 n’est pas applicable en l’espèce puisque la procédure ne porte pas sur une « accusation en matière pénale ».
Quant à l’applicabilité du volet civil de cette disposition, la Cour rappelle que la notion de « contestations sur [des] droits et obligations de caractère civil » couvre toute procédure dont l’issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé (Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 94, série A no 13).
Les griefs de la requérante tirés de l’insuffisance de temps pour préparer sa défense et de l’absence de communication d’un document concernent la procédure suivie devant la commission. Or, le rôle de celle-ci se limite à recueillir les observations de l’association concernée et à émettre ensuite un avis consultatif au premier ministre.
Partant, la Cour considère que cette procédure ne portait pas sur une « contestation » au sens de l’article 6 de la Convention qui, dès lors, ne trouve pas à s’appliquer.
Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec la Convention et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
2. La requérante se plaint de l’insuffisance de motivation du décret par lequel le premier ministre a prononcé sa dissolution, notamment en ce que celui-ci ne rapporterait pas la preuve de la réunion de tous les éléments nécessaires à la dissolution. Elle invoque l’article 6 de la Convention.
La Cour considère que l’adoption de ce décret a fait naître une « contestation » au sens de l’article 6 de la Convention. Elle n’estime toutefois pas nécessaire d’examiner la question de savoir si cette contestation portait sur les droits et obligations de caractère civil de la requérante puisque le grief est en tout état de cause irrecevable pour les raisons suivantes.
La Cour observe que le décret litigieux n’apparaît pas insuffisamment motivé. Il fait en effet mention de plusieurs événements violents dans lesquels plusieurs membres de l’association requérante ont pris part, événements qui ont tous été commis en relation ou à l’occasion de manifestations sportives.
La Cour note également que dans son arrêt du 25 juillet 2008, le conseil d’État a examiné les motifs retenus par le premier ministre pour décréter la dissolution de l’association requérante. Il a alors considéré que l’auteur du texte s’était fondé sur des faits qui n’étaient pas « matériellement inexacts ».
La Cour rappelle que les autorités nationales sont en principe mieux placées que le juge international pour apprécier les éléments de preuve présentés devant elles (V.M. c. Bulgarie, no 45723/99, § 55, 8 juin 2006) et, en l’occurrence, pour examiner si tous les critères permettant la dissolution de l’association requérante étaient réunis.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
3. La requérante estime que la mesure de dissolution a porté une atteinte excessive à sa liberté d’association. Elle invoque l’article 11 de la Convention ainsi rédigé :
1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l’administration de l’État.
La Cour estime que la mesure de dissolution constitue une ingérence dans le droit de la requérante à sa liberté d’association. Pareille immixtion enfreint l’article 11 de la Convention sauf si elle répond aux exigences du paragraphe 2 de cette disposition.
La mesure contestée était à l’évidence prévue par la loi, en l’occurrence l’article L. 332-18 du code du sport et poursuivait un but légitime : la défense de l’ordre et la prévention du crime.
Reste à déterminer si cette ingérence était proportionnée. À cet égard la Cour observe que les faits reprochés à la requérante, et plus particulièrement à plusieurs de ses membres, sont particulièrement graves et constitutifs de troubles à l’ordre public. Elle rappelle qu’en marge de plusieurs matches de football, des incidents ont opposé des membres de l’association aux forces de l’ordre, qu’au terme du match entre le PSG et l’équipe de Tel-Aviv le 23 novembre 2006, cent cinquante supporters parisiens ont entrepris de se livrer à des actes de violence à l’encontre des supporters israéliens, que des affrontements ont eu lieu à cette occasion et que plusieurs supporters parisiens ont frappé à coups de ceinture un policier tombé au sol. Ce dernier a dû faire usage de son arme pour se sortir d’une situation difficile et a tué un supporter parisien qui le menaçait. Enfin, la Cour ne peut que constater que les termes contenus dans la banderole déployée au stade de France le 29 mars 2008 sont particulièrement injurieux à l’égard d’une certaine catégorie de la population.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la mesure de dissolution était proportionnée au but recherché.
Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à la majorité,
Déclare la requête irrecevable.