Un responsable tifo en tribune K

Des gars éparpillés place Jules Rimet, chaque association dans son coin. On se salue entre groupes, on discute entre supporters. L’ambiance curieusement studieuse n’invite pas à l’exubérance. Pour le moment, il s’agit de travailler. La Brigade Paris a pris place près d’un banc. Une demi-douzaine de membres actifs qui participeront à la préparation de la tribune. Certains portent des sacs de sport bourrés de matériel. D’autres fument une petite cigarette en battant le pavé pour se réchauffer.

Pourquoi choisir la Tribune K ?

On parle des résultats de la veille, du match à venir… VinZ, vingt ans à peine et faux airs de Cristiano Ronaldo, le responsable des tifos et de la trésorerie des BP, raconte le PSG tel qu’il l’a découvert. Comme un supporter du début des années 2000 :

J’ai vécu mon premier match au Parc alors que j’avais à peu près 10 ans. Mon père, qui est amateur de football sans vraiment soutenir une équipe plus qu’une autre, m’avait amené voir un PSG - OM. Moi, je suis rentré dans le stade, et j’ai passé la partie à regarder les virages, bouche-bée. Je me souviens de mon père m’expliquant gentiment qu’on était quand même venu voir une partie de foot avant tout ! Mais c’était trop tard. En voyant Auteuil et Boulogne chanter 90 minutes, et surtout faire briller les couleurs de notre ville je m’étais dit « c’est ça que je veux faire ».

VinZ donne son nom et sa carte d’identité à l’entrée du Parc. Tous les supporters qui participent à ces avant-matches doivent se faire identifier. La fouille, plus sévère encore que celle des supporters lambdas, n’enlève pas le sourire du membre de la Brigade Paris alors qu’il évoque le parcours qui l’a mené jusqu’à cette toute jeune association, située en tribune K, en bout de latérale, contre le Kop of Boulogne.

Mon premier match à Auteuil est venu bien plus tard, à 17 ans. Un ami abonné là-bas, mais qui ne pouvait plus venir au Parc, m’avait prêté sa carte pour la fin de la saison. L’expérience a achevé de me convaincre de donner le maximum pour soutenir le Paris SG.

J’ai hésité à rester à Auteuil. Je me sentais proche de la mentalité Ultra du VA, et notamment des Lutèce Falco. Puis j’ai vu qu’une nouvelle association se créait en K et le challenge m’a tenté. Là, il y avait besoin que de nouveaux supporters s’investissent, peut-être plus qu’ailleurs. C’était aller où tout restait à faire. L’idée de prolonger l’ambiance du KOB, de tenter ce que les ATKS ont si bien réussi en G, l’envie de réveiller une tribune, d’être utile au PSG… c’est un peu de tout cela qui m’a mené en K. Pour soutenir Paris avant tout. J’ai choisi cette tribune, mais à travers le groupe, on garde tous de bons contacts avec le reste du Parc.

Les BP passent à leur local… Ou plutôt l’ancien local, qu’ils partageaient avec Hoolicool et Vikings. Exiguë, nichée sous une immense travée de béton, la pièce regorge de sacs de drapeaux, des mégaphones reposent sur les étagères, des bâches pliées à même le sol. Et un chausse-pied n’aurait pas été de trop pour extirper le tout.

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Le groupe aura bientôt un nouveau local, au dessus. Une ancienne buvette, désaffectée. Reste à l’aménager, à poser une serrure, etc. On y sera mieux, pour assurer les perms de la semaine. Tous les jours, du lundi au vendredi et de 9 heures à 22 heures, on peut accéder au Parc des Princes. C’est là que l’on prépare ces drapeaux par exemple.

En attendant, Ben, le président du groupe, réunit l’équipe du jour pour distribuer les tâches. Tout le monde s’assied en K, attentif. Le Parc, totalement vide, est nu. Nu comme on ne le voit jamais : pas une banderole, pas un nom de groupe. La froideur du béton gris surprend. L’absence de couleurs frappe l’œil.

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Peu de supporters ont l’occasion de connaître le stade vide. J’adore le voir s’animer peu à peu, quand les groupes le parent, puis quand les supporters arrivent. Le rendu visuel est très important, et encore plus pour un groupe comme le nôtre. Nous sommes une association jeune, et notre tribune contient peu d’abonnés : de nouveaux supporters viennent à chaque match. On a besoin d’identifier nos places, de montrer que nous sommes là à l’aide de drapeaux, d’étendards, de notre bâche.

Sinon, les personnes qui possèdent un billet placé juste derrière le tambour, au rang 1, voudront rester en plein carré. Même ceux qui viennent en famille, pour être tranquilles. Alors que nous on reste debout toute la rencontre, on s’agite quand même un peu… Notre carré, ça n’est pas le bon endroit pour suivre le match assis, dans le silence, c’est sûr…

Les BP sortent les rouleaux de scotch et accrochent leur bâche, au plus près du Kop of Boulogne. Des faisceaux de drapeaux sont montés dans les escaliers depuis le local du niveau rouge vers la porte K22, niveau bleu. Il faudra disposer le tout sur les strapontins, avant que le reste de l’association n’arrive. Comment se retrouve-t-on là, à préparer une animation d’avant-match ?

J’ai simplement pris contact avec les fondateurs de la Brigade Paris sur leur forum. Je leur ai parlé de ma motivation, et c’est allé très vite : j’ai trouvé leur projet intéressant, la charte me convenait, donc je suis allé en tribune discuter avec eux, et voilà ! C’était très naturel. Après il y a eu l’évolution d’un noyau, d’un bureau, et la volonté de tout le monde d’avancer ensemble, de toujours animer davantage notre bout de tribune. Je me suis retrouvé trésorier, et responsable des tifos.

Nous sommes une petite association, avec 80 cartés, donc chacun peut aider dans le secteur qui lui plaît le plus. Comme j’ai toujours été impressionné par le rendu visuel, j’ai commencé à m’investir dans la conception, l’organisation des tifos. D’autres qui se débrouillent davantage en informatique s’occupent de la réalisation.

Chacun fait de son mieux : on a conscience de débuter l’aventure. Notre seul objectif, c’est d’animer au mieux la tribune K, de prolonger l’ambiance du Kop de Boulogne. Cela passe par des chants constants, que Paris gagne ou perde, et un maximum d’activités visuelles.

Le travail d’un responsable tifos

Les étendards, plantés sur deux mâts, sont vérifiés. Certains, abîmés, ont droit à un rapide rafistolage. D’autres sont carrément retirés. Des motifs très variés, de la tête de diable emblème du groupe aux symboles radioactifs, le tout dédié au PSG.

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Tous nos drapeaux, et étendards sont faits main. La maquette est proposée par un membre du groupe, et si l’idée plaît, on y va. Ce sont le plus souvent des conceptions collégiales. Pour la réalisation, ce qui donne les meilleurs résultats c’est de travailler à base de transparents et d’un rétroprojecteur : pour un étendard, un deux-mâts, un transparent suffit. Pour une voile, c’est plus grand, et donc beaucoup plus compliqué. On découpe la maquette de l’image prévue en plusieurs rectangles, sur ordinateur, et pour chacun d’entre eux on imprime un transparent. Le rétroprojecteur l’agrandit sur une toile que l’on peint, et ensuite, il ne reste plus qu’à coudre les morceaux pour assembler le puzzle géant… et ça, c’est long !

Il existe en fait un tas de règles qui régissent les drapeaux dans les stades. Des tailles maximales, des diamètres standards… On est surtout embêtés quand on joue à l’extérieur : il nous faut déclarer tout le matériel que l’on emporte, le nombre d’étendards, etc. Au Stade de France, ils les ont même mesurés : 1m20 de haut, avec des mâts de 8 mm de diamètre, quatre pour le groupe… n’importe quoi. Pire, contre Schalke, les policiers allemands nous ont obligés à retirer un mât pour chaque étendard. Sauf qu’un deux-mâts avec un seul mât, forcément ça rend moins !

VinZ déplie un mât télescopique qui ressemble furieusement à une canne à pêche, et le pare d’une voile aux couleurs du Paris Saint-Germain.

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Ça ressemble à une canne ? C’en est une ! Pour créer le matériel, le groupe essaye de jouer la carte de la débrouille. On demande aux membres de récupérer des draps blancs, des grandes pièces de tissu. Pareil pour la peinture ou les mâts, on sollicite les relations qui peuvent nous avoir des rabais. Un vrai mât télescopique, ça revient à une cinquantaine d’euros sur les sites spécialisés dans le matériel Ultra… Notre budget c’est plutôt d’aller acheter des cannes à pêche à moins de dix euros, et de négocier des bandes de tissu au marché Saint-Pierre !

C’est plus fragile, bien sûr, et on a eu par le passé de mauvaises surprises avec des achats défectueux mais bon… on apprend, on commence petit. Les BP, comme les autres groupes du PSG d’ailleurs, ne sont pas financés par le club. On préfère s’arranger jusqu’au bout, avec nos propres moyens.

Nous sommes constamment obligés d’entretenir notre matériel. À cause des mouvements de foule sur les buts, on a des mâts qui se brisent, des drapeaux qui se déchirent quand on marche dessus… ou alors des parents qui nous les piquent ! Eh oui, nous ne sommes pas dans une tribune Ultra et certains se disent de bonne foi que ce sont des drapeaux offerts par le club, qu’ils peuvent emporter chez eux ! On en rigole, mais il faut surveiller, parce que vu le temps passé pour élaborer un étendard, à force…

Déjà les premiers supporters arrivent, et avec eux les premières explications. Le nez dans leur billet, les spectateurs de la K sont effectivement loin de tous être des habitués. Beaucoup semblent même découvrir le Parc et restent interloqués devant les étendards plantés sur ce qu’ils croyaient être leur place.

Ce renouvellement des supporters de la tribune nous oblige à réexpliquer la même chose, match après match. Notre coin de la tribune K est désormais en placement libre, la place marquée sur le billet n’a pas grande importance, on se met où on peut. C’est parfois un peu fatiguant de toujours ressortir notre discours, mais la plupart du temps les gens comprennent bien. Il n’y a jamais d’agressivité : on est entre supporters d’un même club. Et puis au pire, on fait un petit pogo en début de match, pour ceux qui voulaient rester assis. Là, même les plus têtus se disent que finalement, le reste de la tribune K, c’est pas mal aussi.

Paradoxalement, le fait d’être dans une tribune grand public a des avantages : beaucoup de supporters prennent une place en K pour un match, et viennent nous aider sans être abonnés. Certains ont adhéré comme cela, et sont finalement restés avec nous. De toutes manières, on est obligé de discuter avec les personnes qui ont un billet les plaçant au milieu de notre carré. On n’hésite pas non plus à aller chercher les supporters qui sont placés plus loin dans notre tribune, quand on voit qu’ils veulent chanter. Nous ne sommes pas du tout fermés, ceux qui en éprouvent l’envie peuvent toujours nous rejoindre.

Le match va débuter dans moins d’une heure. Le boulot d’avant-match est fini et aux premiers rangs de sa tribune, VinZ regarde le Parc, sourire aux lèvres. Déjà, en G, les Authentiks ont blindé leur carré, les couleurs du Virage Auteuil et du Kop of Boulogne donnent au Parc son visage familier. Les associations mythiques du PSG rayonnent. Et la Brigade Paris, au milieu de tout cela ?

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À l’extérieur, on avait commencé par sortir une bâche « Brigade ». Et puis en discutant avec d’autres groupes, on a compris que c’était peut-être un peu présomptueux pour le moment. Désormais, on préfère sortir une banderole « la Grande Vadrouille ». Ça représente mieux notre état d’esprit, dans la simplicité.

À nos côtés, il y a le Kop de Boulogne, avec plus de trente ans d’histoire. En face, le Virage Auteuil, et les Authentiks… nous on a moins de trois années d’existence légale. On respecte les anciens… et on s’entend bien avec les groupes qui émergent en même temps que nous. On n’a pas de quoi prendre la grosse tête, et on se focalise sur le soutien au club avant tout. Cette année, on essaye d’être présents sur un maximum de déplacements. Une fois que l’on aura prouvé sur la durée, alors on pourra réfléchir à bâcher à notre nom. Cette saison, on a dû rater trois ou quatre déplacements, comme Kayserispor, et Monaco en coupe de la Ligue… Mais on a pu soutenir nos couleurs à Manchester, à Gelsenkirchen, on sera à Wolfsburg. C’est déjà pas mal.

Les autres membres de la Brigade gagnent la tribune petit à petit. Beaucoup d’adolescents, quelques vieillards d’une trentaine d’années, le groupe se forme. Les drapeaux s’agitent, un membre brise net la canne à pêche et se fait gentiment charrier par VinZ. La tension monte doucement, les premiers chants retentissent, on essaye de s’accorder avec ceux du Kop voisin, pour porter davantage… Le responsable tifo disparaît pour n’être plus qu’un membre du groupe…

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Notre bureau se réunit en priorité pour prévoir les animations, monter des tifos, essayer de réfléchir au matériel mis en vente par le groupe — écharpes, polo —, ou discuter des déplacements. Ceux qui n’ont pas pu suivre le PSG se donnent aussi rendez-vous dans un pub, les soirs de matches à l’extérieur. On passe finalement beaucoup de temps ensemble et pour certains, la Brigade est limite comme une seconde famille. On essaye d’être soudés au maximum : le noyau, une trentaine de cartés font aussi des soirées en dehors, comme pour le réveillon.

Là, on réfléchit au prochain tifo, plus important. Pour le moment, je ne dis rien. Vous verrez contre Saint-Étienne…

La partie débute. La tribune K, partagée, voit une centaine d’agités secouer leurs drapeaux et chanter à tue-tête leur amour du PSG. La mayonnaise prend doucement, dans une tribune qui, il y a quatre ans à peine, était quasiment muette, et surtout vierge des couleurs parisiennes. VinZ insiste une dernière fois : la Brigade Paris n’en est qu’au début de la route, tout reste à faire… Mais la Brigade a entrepris de la commencer, cette route. Et c’est déjà beaucoup. VinZ avance avec son groupe, dans le respect d’une certaine mentalité, et de ceux qui les ont précédés. Mais il avance, comme d’autres, ailleurs : des Parisiens plus anciens, plus glorieux, mais qui tous, ont un jour débuté leur parcours de supporter. VinZ, aussi, fait partie de l’armée du PSG.