Bienvenue dans la tribune de Fabio. Un père tient doucement la main de son fils assis à ses côtés. Plus loin, deux amis, la vingtaine, blouson Lonsdale et coupe de cheveux fashion gagnent leurs places habituelles. Un couple s’embrasse en attendant le début de la rencontre pendant que trois supporters tentent de résoudre le mystère Kezman dans un débat enflammé. Au milieu de tout cela, Fabio, président d’association de supporters, organise le futur déplacement à Lyon, ses célèbres listings à la main.
Une association comme les autres
La scène n’a rien d’exceptionnel au Parc. Sauf que de nos trois spécialistes débattant des mérites du Serbe, l’un reste debout, adossé à un mur, le dos trop voûté pour pouvoir s’assoir. Le second peine à marcher seul, et le troisième a besoin d’un fauteuil roulant motorisé pour se déplacer. Le couple d’amoureux savoure le moment. Elle sur un banc, lui en fauteuil, leur bonheur fait plaisir à voir. À la réflexion, des deux supporters habillés mode casual, un seul marche, aidant l’autre à rejoindre sa place. Quant au père qui rassure son fils en murmurant quelques paroles apaisantes à son oreille, s’il lui remet une fois encore en place une mèche de cheveux égarée sur son front, c’est que son garçon, bien qu’il soit adulte, ne peut pas le faire seul. Bienvenue dans la tribune des supporters handicapés du PSG. Une tribune de supporters comme une autre. Si ce n’est que l’amour et l’amitié qui en lient les membres se voient peut-être plus facilement qu’ailleurs.
Depuis le début de la saison, Fabio y préside l’association Handicap PSG :
Si je suis fan du Paris Saint-Germain depuis une vingtaine d’années, je ne viens au Parc que depuis six ans environ. Auparavant, mon travail m’en empêchait. J’ai commencé à venir en tribune Paris — en J — tant que j’avais mes béquilles, puis il y a cinq ans j’ai rejoint ma tribune actuelle. Il n’y avait alors aucune association : elle a été créée en juillet 2005. J’en suis devenu le vice-président un mois plus tard, puis le président après le départ de Stéphane, son fondateur, l’été dernier. On a deux parrains d’exception, en les personnes de Jérôme Rothen et Cécile de Ménibus.
Omar et Didier descendent la rampe trop raide qui mène à la tribune. Accueillis par un Fabio d’humeur chambreuse. L’un, étudiant en première année de droit, et l’autre, supporter du PSG depuis 1976, prennent place derrière la bâche de l’association. L’emblème est posé au pied de la tribune Paris, aux abords immédiats de la pelouse. Si près du terrain qu’on y sent l’odeur de l’herbe mouillée. Le président de l’assoce fait les présentations…
Didier, au départ, il voulait qu’on demande à Clara Morgane d’être marraine de notre association. Mais bon, comme elle est marseillaise et que ça n’aide pas, il a fallu qu’il se contente de Cécile de Ménibus. Mais ça va, il ne se plaint pas trop.
Omar, son handicap ce n’est pas tant son fauteuil. Non, sa véritable infirmité, c’est plutôt d’être supporter de Kezman : ça, c’est quand même lourd à porter ! Mais on lui pardonne parce qu’il est d’origine turque, alors il suivait déjà les performances de Mateja quand il évoluait à Fenerbahçe. Quand il a signé au PSG, il nous a dit qu’on avait fait le recrutement de l’année. Depuis, il prend cher…
Mort de rire, le jeune fan du Serbe ne se démonte pas, et rétorque que c’est bien parce qu’il a du mal pour le moment qu’il faut soutenir le buteur parisien, avant de promettre à toute l’association une deuxième saison tonitruante de Kezman.
Chaque nouveau membre est reçu avec un petit geste, un bonjour, avant qu’on lui indique sa place. Ils seront vingt-deux, pas un de plus… mais pas un de moins.
Vingt-deux, c’est le quota mis à disposition du groupe par le Paris SG. En tout, il n’y a que soixante-six places handicapé dans notre tribune, on en a un tiers. La règle du jeu est simple : je mets en place une rotation parmi nos membres, et ça tourne. Tout le monde ne peut venir à chaque match, alors on s’inscrit, et je suis obligé de pointer. Si un des inscrits ne peut finalement plus venir, jusqu’au dernier moment on essaye de lui trouver un remplaçant, pour ne jamais laisser de place vide. Et si un gars ne profite pas de son créneau et ne prévient pas pour qu’on le remplace, au match suivant il passe son tour.
- Fabio et son accompagnateur du jour
Fabio et son accompagnateur du jour
Les mains posées sur les roues parsemées d’autocollants PSG de son fauteuil, Fabio promène ses yeux bleus sur sa tribune. La bonne humeur qui anime le groupe doit sans doute un peu à ce président calme, qui préfère voir le verre à moitié plein que celui à moitié vide. Plutôt que d’évoquer l’ancien président, parti l’été dernier en laissant les caisses inexplicablement vides, pour fonder une nouvelle association dans laquelle la cotisation n’offre en rien la certitude de bénéficier de places au Parc, Fabio préfère évoquer ce qu’il prévoit pour l’avenir de son groupe.
On va aller à Lyon, malgré les changements de date décidés à la dernière minute par la Ligue. Si vous croyez que c’est facile de réserver un car capable de nous accueillir pour un week-end, puis de décaler la date au vendredi… Mais bon, on aura le car, avec le lift pour monter les fauteuils, et c’est l’essentiel.
Notre but, c’est de créer une association familiale, qui vit aussi en dehors du stade. On va se faire un pique-nique, samedi dernier on était au tournoi de futsal, je vais essayer de nous faire participer à l’enregistrement de Canal Football Club, on a prévu d’organiser une brocante dont les bénéfices iront à l’association… On essaye juste de tout faire pour que chacun se sente le mieux possible.
Le parcours des combattants
De Fabio comme des autres membres, pas une seule plainte concernant sa personne. Le PSG, le jeu, les joueurs occupent toutes les conversations. Pourtant, quand on aborde les conditions d’accueil au Parc des Princes, le ton du président se voile d’une pointe de peine.
Le plus frustrant reste ce cruel manque d’espace qui prive l’association de certains de ses membres. Recevoir des supporters handicapés de l’adversaire du jour, c’est devoir sacrifier encore quelques unes de ses places. Quant aux membres souffrant de problèmes non liés à la motricité, ou handicapés à moins de 80 %, le club veut les placer en tribune A, là où rien n’est prévu pour les accueillir, et le tout sans accompagnateurs !
Placez un sourd en A : en cas de problème, il n’entend rien, et ne peut anticiper ! Pire, un des gars de l’association est amputé d’une jambe. Il devrait aller en A alors que sa prothèse ne plie même pas. Didier peut marcher, mais avec son dos, s’il s’assied il ne peut plus voir le match. Vous croyez qu’il vient au Parc pour regarder ses pieds ?
Il ne faut pas confondre handicapé et personne à mobilité réduite ! Le club n’arrive pas à comprendre ça. Et il faut aussi réfléchir un minimum : au nouveau Camp des Loges, rien n’est aménagé. Il y a une place de parking handicapés, on m’a interdit de m’y mettre. Soi disant qu’elle ne peut pas accueillir les handicapés : c’est ce que le gars m’a dit ! À ce compte-là, à quoi elle sert ? Et pourquoi ne nous permettent-ils pas d’accéder à la terrasse des journalistes ? Ils ont de la place, et un ascenseur pour monter leur matériel. On pourrait y accéder en fauteuil, mais au lieu de ça on nous met à l’autre bout du terrain, et on ne voit rien. C’est malin !
Au stade Vélodrome, ils ont 480 places dans une tribune pensée exprès pour les handicapés. Le Parc n’est pas aux normes, tout simplement !
Autre témoignage, celui de Fred qui sacrifie plus que d’autres pour venir soutenir son équipe. La voix tendue il dénonce une situation ubuesque :
Moi je peux marcher, mon handicap se situe surtout au niveau des membres supérieurs. Seulement voilà, dans ce cas, le club estime que je n’ai pas besoin d’accompagnateur, et me dirige en tribune A. Sauf que là-bas, il m’est impossible de suivre une rencontre. J’ai essayé : j’étais seul, bousculé, mal à l’aise… Avec mes bras, si je vais aux toilettes il m’est impossible de me rhabiller moi-même. Dans ces conditions, mais comment voulez-vous que je me sente bien ?
Alors comme je suis handicapé à plus de 80 %, j’ai le droit de venir dans cette tribune, accompagné… sauf que je dois assister au match en fauteuil roulant. C’est le règlement. Si je veux suivre le PSG, je dois me rendre encore plus handicapé que je ne le suis ! C’est lamentable.
Comment peut-on demander cela à un supporter venu soutenir son équipe ? Fabio garde son calme et tente de positiver, d’arranger ce qui peut l’être en soulignant qu’à Paris, le mouvement de supportérisme des handicapés n’en est qu’à ses balbutiements. Et qu’il reste beaucoup à régler.
Avec le gars qui a cru malin de descendre sur la pelouse lors de PSG-OM, les dirigeants ont décidé de renforcer la sécurité aux abords de la pelouse. Sauf que voilà, on n’a pas une infinité d’emplacements, et plus tu rajoutes de stewards, moins il reste de place pour nous. Alors là on se réorganise comme on peut.
Le souci c’est que lorsque l’on discute avec eux, on voit que les dirigeants ne comprennent pas ce qu’est un handicapé. Ils n’imaginent que des personnes à mobilité réduite, avec leur accompagnateur assis deux mètres derrière. Mais il y a autant d’handicaps que d’handicapés, et tu ne peux pas demander à certains d’entre nous de rester seuls sur leur fauteuil : ils ont besoin que leur accompagnateur soit assis juste à leur côté. Et là, il n’y a plus assez d’espace pour cela.
Gilbert, le vice-président, et Josiane, sa femme, acquiescent. L’épouse du supporter, débordante de dynamisme dans son sweat capuche siglé PSG parcourt toute la travée pour guider les uns, aider les autres. Il faut placer les parents sur des bancs pour qu’ils puissent voisiner celui qu’ils sont venus accompagner. L’organisation de toute la tribune, la mise en place du matériel dépend de bonnes volontés comme la sienne. Elle rebondit aux propos de Fabio :
Le président du PSG, c’est lui qui devrait venir suivre un match à nos côtés. Il verrait comment ça se passe dans son stade ! Alors oui, ça se passe plutôt bien ici, mais encore faudrait-il qu’il prenne la mesure de l’énergie qu’il faut que l’on déploie tous pour cela. Ils nous rajoutent des stewards juste devant nous… mais comment font ceux qui ne peuvent pas tourner la tête, pour voir le jeu ?
Le paradoxe est là. Placés au plus près du terrain, les membres de l’association Handicap PSG sont pourtant obligés de pratiquer un sport étrange s’ils veulent pouvoir suivre une action dans son intégralité : le « slalom spécial — tribune Paris ». En guise de piquets, c’est autour des policiers qu’il faut louvoyer du regard, évitant les ramasseurs de balle, les photographes de presse et autres gars dont on se demande bien ce qu’ils ont à faire sur le bord de touche, si l’on veut regarder la balle.
- Une tribune handicapés dans laquelle il y aura bientôt plus de stewards que de supporters
Une tribune handicapés dans laquelle il y aura bientôt plus de stewards que de supporters
Une action part de la gauche avec une récupération de Ceará et Didier, adossé au béton, se penche d’un côté du CRS en survêtement. Le Brésilien lance ensuite Giuly, en profondeur ? Malgré ses épaules bloquées, Didier doit se décaler pour éviter le preneur de son de la télé qui obstrue son champ de vision. Pratique…
Fabio est désolé quand il évoque le sujet, à la buvette de la tribune, durant la mi-temps, en partageant un café avec Anthony, un autre membre de l’association. C’est que le président de Handicap PSG se sent comme responsable de son coin de stade, il aimerait bien que tout y soit parfait.
C’est vrai que de là, on ne voit par exemple pas la ligne de touche, cachée par les pubs. C’est gênant. Mais le pire, ça reste la pluie. Alors oui, le club a mis à notre disposition des parapluies, mais placés devant les tribunes nous ne sommes absolument pas abrités par le toit. Tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne se rend pas compte de ce que cela peut faire. L’année passée lors de la défaite face à Nice, on a tous fini trempés comme des soupes, glacés.
Ceci dit, même dans ces conditions, et malgré la défaite on est restés jusqu’au bout, sous le déluge. Il faut comprendre qu’on est de vrais supporters, pas des gars à venir uniquement sur un PSG-OM, ou à partir au premier coup de froid. Pourtant, le froid quand vous ne pouvez pas bouger les jambes pour vous réchauffer, c’est terrible. Mais petit à petit, les choses s’arrangent. On leur en a parlé, et le club a fourni des couvertures pour l’hiver.
Et nous voilà revenu au verre à moitié plein. Fabio regagne sa place, en souriant. Plutôt que de rester sur ce qui ne va pas, il met en avant ce qui va mieux. C’est son caractère.
Quelques minutes plus tard, Traoré a marqué de la tête, et s’il ne craque pas, le PSG, pourtant privé de la majorité de sa défense, se dirigerait vers une nouvelle victoire à domicile. La fin du match voit les membres de l’association Handicap PSG encourager chacun des joueurs qui évolue près de la touche. Il faut tenir le score. D’ici, on entend les chocs des contacts entre adversaires. On voit la puissance d’un Makélélé, la débauche d’efforts d’un Ceará ou la vivacité d’un Giuly, même cramé. Les deux équipes jettent désormais leurs dernières forces dans la bataille et le soutien se fait déterminant. Chacun donne ce qu’il peut.
Le steward de l’équipe de Jibrail, impassible et dos au terrain, fait son boulot : il surveille les gradins de la tribune I. Mais en face de lui, les écrans de télé passent les ralentis. Alors mine de rien, il commente discrètement les actions pour ceux qui ne peuvent se retourner, leur indiquant sans en avoir l’air s’il y avait bien hors-jeu ou non, et si une faute ne méritait pas un carton.
Omar, qui n’a plus raté un match du PSG depuis qu’il a adhéré à l’association Handicap PSG, insiste : « Quand tu as la possibilité d’aller au stade, que ta place n’est pas comptée, vas-y, et vas-y à fond. » Jeudi, pour la première fois il ne pourra pas venir soutenir son équipe contre Kiev. Il se fait opérer. Alors là, en attendant, il crie pour Giuly.
Didier, qui a vu jouer Dahleb, Susic et tous les autres, dans ce temps additionnel, c’est Chantôme et Traoré qu’il encourage. Quand il se tourne vers l’étudiant, c’est pour lui glisser en se marrant que s’il est en forme après son opération, ce n’est pas dans son fauteuil qu’il l’amènera au Parc jeudi, mais dans son lit médicalisé.
- La rampe de sortie, impossible à emprunter seul en fauteuil
La rampe de sortie, impossible à emprunter seul en fauteuil
Le match terminé, Fabio engage les paris autour de la future prestation de Kezman, et se dirige vers cette saleté de rampe, trop raide pour qu’on puisse la remonter en fauteuil. L’amoureux quitte le Parc, poussé par sa chérie. Le père prend la main de son fils qui maintenant sourit. Il lui essuie le menton. Il l’aime, ils aiment Paris et c’est beau. Et tous, de Fabio au dernier des membres de l’association Handicap PSG, ils font partie de l’armée du Paris Saint-Germain.