Déplacements interdits, interdictions de stade prolongées
Depuis la mort de Yann Lorence en mars 2010, des arrêtés préfectoraux se sont multipliés pour interdire le déplacement des supporters du PSG. Le projet de loi sur la sécurité intérieure Loppsi 2 — loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure —, voté mardi soir, valide ces mesures et va encore plus loin :
Le ministre de l’intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public. […]
Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d’aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d’une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d’une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public.
Les IDS administratives, initialement limitées à trois mois et déjà prolongées à six mois en 2010, sont désormais valables douze mois et vingt-quatre en cas de récidive [1]. Par ailleurs, l’obligation de pointer au commissariat dans le cadre d’une interdiction de stade, auparavant limitée aux matches sur le territoire national, est étendue aux rencontres disputées à l’étranger.
Le représentant de l’État peut désormais interdire « de pénétrer ou de se rendre aux abords des enceintes où [des manifestations sportives] se déroulent ou sont retransmises en public » toute personne ayant appartenu « à une association ou un groupement de fait ayant fait l’objet d’une dissolution » ou ayant participé « aux activités qu’une association ayant fait l’objet d’une suspension d’activité s’est vue interdire ». Enfin « le fait de participer au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d’une association ou d’un groupement dissous » — puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende — est complété par un autre motif : « le fait de participer aux activités qu’une association suspendue d’activité s’est vue interdire ».
Quasi-absence de réactions
Rares sont les médias à évoquer ces mesures. Côté politique, les seules réactions viennent du parti communiste français. Dans un communiqué de presse intitulé « Nous ne sommes pas toutes et tous des hooligans ! », la commission sport du PCF avait interpellé en décembre dernier les député-e-s à ce sujet :
[…] Certes, nous partageons la volonté de lutter contre les violences commises à l’occasion des matches de football, qui prennent racine dans le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie, mais nous ne partageons pas les moyens mis en œuvre dans cette loi pour y parvenir. En renforçant son dispositif législatif de répression, le gouvernement ajoute dans l’urgence de nouveaux dispositifs extrêmement contraignants sans en évaluer les effets pervers et sans avoir précédemment utilisé de manière durable les dispositifs existants. De plus, il ne tient nullement compte de l’état des lieux et des préconisations qui lui ont été faites dans le Livre vert du supportérisme remis en octobre 2010, suite à l’organisation par le secrétariat d’État aux sports du congrès national des associations de supporters de football en janvier 2010. Ce travail préconise pourtant des mesures préventives alors que ce texte de loi marque une étape supplémentaire dans le tout répressif.
Pourquoi donc ajouter de la répression à la répression ? On modifie — souvent au gré de l’actualité pour répondre à un incident — les textes de loi sans analyser précisément les problèmes qui sont, pour les plus graves, essentiellement le fait de hooligans et ne concernent donc qu’une minorité du public des stades. L’arsenal législatif s’est ainsi considérablement renforcé depuis 2006 et à intervalles très rapprochés, sans pour autant produire les effets escomptés. Le problème est plutôt lié au fait que les mesures existantes n’ont pas été régulièrement appliquées et que le gouvernement n’a pas construit une politique générale de prévention. Pourquoi ne pas s’appuyer sur la réflexion qui a été menée dans le cadre du Livre vert du supportérisme et qui montre que, à côté d’un noyau dur de violences graves, existent une masse de faits mineurs qui pourraient être traités autrement que par la tolérance zéro ? […]
En l’état actuel, ce texte de loi représente une atteinte supplémentaire aux libertés publiques. Les interdictions administratives de stade peuvent être prononcées par un préfet à partir d’un simple rapport de police et sans qu’une infraction n’ait été nécessairement commise. Ces interdictions administratives étaient initialement, en 2006, limitées à trois mois. Elles ont été portées à six mois en mars 2010 (et douze en cas de récidive). Le texte de loi propose de les passer à douze mois (et vingt-quatre en cas de récidive). Ce n’est plus de l’ordre de l’acceptable pour une interdiction administrative. Il est également inconcevable qu’un supporter puisse être interdit administrativement de stade du fait de son appartenance à une association de supporters dissoute ou suspendue quand on sait que ces associations peuvent compter des centaines voire des milliers de membres. Dans le cas du Paris Saint-Germain, des supporters n’ayant commis aucun fait de violence se sont récemment retrouvés fichés par les services de police, interdits de stade et obligés de pointer au commissariat pour avoir simplement manifesté leur opposition au « plan Leproux ». Cet exemple montre bien l’arbitraire auquel ces dispositifs peuvent conduire. Il aurait sans doute mieux valu interpeller et sanctionner les auteurs d’actes violents ou racistes plutôt que faire du chiffre en multipliant les interdictions pour des faits mineurs.
La lutte contre le hooliganisme est une nécessité absolue mais elle ne doit en aucun cas justifier des mesures attentatoires aux libertés individuelles qui s’appliquent à tous. […]
La semaine dernière, à l’occasion du vote de ce projet de loi, un deuxième communiqué du parti communiste « [dénonçait] la frénésie sécuritaire et [s’interrogeait] sur l’avenir des stades, de leurs animations et de leurs publics » :
[…] Le PCF s’interroge et s’inquiète des évolutions en cours sur l’avenir même des stades, de leur animation et de leur public. Il invite les amateurs de football à se mobiliser, notamment dans la perspective de la construction des futurs stades pour l’Euro 2016, pour qu’un grand débat démocratique soit organisé en associant tous les acteurs concernés.
Au même titre que le patrimoine culturel, les stades de football doivent rester un patrimoine commun permettant l’accès de toutes et tous. Or, un mouvement de privatisation et de marchandisation de ces enceintes est à l’œuvre, animé notamment par une volonté de remplacer des publics populaires et actifs par des consommateurs passifs et davantage solvables. Comme l’ont montré divers chercheurs spécialistes de ces questions, la stigmatisation, voire la répression, des supporters extrêmes sert autant à légitimer qu’à masquer cette tendance de fond.
L’animation des stades doit rester l’expression d’une culture populaire dont les associations de supporters sont les garants et en permettant l’appropriation par toutes et tous du spectacle sportif. Il n’est pas souhaitable que pour des raisons de sécurité, qui ne concernent qu’une minorité, l’évolution des stades contribue à la disparition d’une culture populaire et des associations de supporters au profit de l’appropriation des stades par des « businessmen » dont le seul but est avant tout de s’enrichir.
Réflexions sur le supportérisme
Début janvier, la fondation Terra Nova — un think tank de gauche — a publié un préambule à un prochain rapport de propositions pour définir une politique publique du football. L’un de ces éléments concerne la violence dans les stades :
La politique anti-hooligans menée en France est caractérisée par le « tout répressif » : dispositifs policiers massifs déployés autour des stades, interdictions d’accès administratives et judiciaires, dissolutions d’associations de supporters. Cette approche sécuritaire n’est pas la bonne : elle coûte cher, confond supporters ultras et hooligans et entraîne une surenchère entre des supporters toujours plus revendicatifs et des forces de l’ordre toujours plus nombreuses. Deux politiques ont été efficaces en Europe. La politique anglaise a écarté les hooligans des stades par une répression stricte mais aussi par une augmentation importante du prix des places de stade. La politique allemande, que nous prônons, repose sur une désescalade responsabilisant tous les acteurs. Les clubs, qui pour défendre leurs supporters protègent de fait les hooligans. Et les associations de supporters, qui doivent cesser d’être suspectées pour être au contraire intégrées comme acteurs légitimes de la régulation à l’intérieur des stades.
Début 2010, Patrick Mignon — responsable du laboratoire de sociologie du sport de l’Insep —, qui cosigne le texte précédent, avait déjà publié une note titrée « Pour une désescalade des réponses sécuritaires dans le football », dont voici la synthèse :
Le hooliganisme, ou supportérisme extrême, constitue un phénomène social récurrent touchant l’ensemble des pays européens depuis le milieu des années 1980, essentiellement en marge des rencontres de football. Depuis lors, les autorités françaises ont essentiellement réagi par une politique répressive : dispositifs policiers massifs déployés autour des stades, interdictions administratives et judiciaires pour les supporters violents, dissolutions d’associations de supporters…
Force est aujourd’hui de constater l’inefficacité de cette politique. Loin de traiter les violences entourant les rencontres de football, cette approche sécuritaire entraîne une surenchère et une escalade entre des supporters toujours plus revendicatifs et des forces de l’ordre toujours plus nombreuses. Cette réponse répressive, qui écarte largement le ministère des sports, traduit également une méconnaissance du phénomène par les autorités publiques.
D’autres pays européens, comme la Grande-Bretagne, la Belgique ou l’Allemagne ont, quant à eux, réussi à mettre sous contrôle les dérives du supportérisme par une réponse adaptée.
L’Angleterre a écarté les hooligans des stades par une politique répressive stricte, par une augmentation importante des tarifs des places de stade et par une détente des relations entre forces de l’ordre et associations de supporters qui jouent un rôle de régulateur à l’intérieur des enceintes sportives. La différence de culture entre supporters britanniques et français et un public moins nombreux en France rendent difficiles la transposition de ce modèle à notre pays.
L’Allemagne, de son côté, a mené une politique de désescalade entre supporters et forces de l’ordre. Celle-ci repose sur un diagnostic partagé entre les différents acteurs et sur une réponse globale associant police, supporters, collectivités et travailleurs sociaux. Le modèle allemand implique une responsabilisation des différents acteurs et une réponse graduée allant des mesures de réinsertion sociale à des sanctions pénales en fonction de la gravité des actes.
Une telle politique de désescalade semble pouvoir être transposée à la France. Elle suppose de réunir les différents acteurs et de partager un constat commun sur le phénomène du supportérisme extrême. Dès lors chacun doit assumer ses responsabilités et mobiliser ses moyens propres pour permettre aux rencontres de football de se dérouler dans de bonnes conditions. […] Les associations de supporters doivent être considérées comme des acteurs légitimes du monde du football et en contrepartie assumer un rôle de régulateur à l’intérieur des stades. […]
Enfin les sociologues Nicolas Hourcade, Patrick Mignon et Ludovic Lestrelin ont remis en octobre dernier à la secrétaire d’État aux sports le « Livre vert du supportérisme », qui préconise de « renforcer l’action répressive par des dispositifs préventifs afin de constituer une politique globale de gestion du supportérisme ».