L’intérêt montré par le Real Madrid pour l’attaquant Yannick Boli soulève de nombreuses questions. D’abord parce qu’après Gaël N’Lundulu à Portsmouth, et David N’Gog à Liverpool, Yannick Boli serait le troisième attaquant formé au club à quitter le Paris SG avant même d’avoir pu y confirmer les espoirs portés sur lui, le tout en un seul été. Si cette rumeur de transfert a de quoi surprendre, l’analyse des propos de l’agent de Yannick Boli éclaire bien des aspects de cette affaire. Pour le reste, à Paris, une seule question demeure : faut-il tenter de retenir Boli ?
Une rumeur surprenante
L’étonnement a dû lever plus d’un sourcil au Camp des Loges ce matin, quand le journal L’Équipe a été livré. Un titre claque en pleine page : « le Real veut Yannick Boli ». Certes, on présente le jeune buteur du club comme un futur grand. Mais c’était déjà le cas des Ogbeche, Djadjédjé, et consorts. Alors pourquoi lui ?
Le Franco-Camerounais ne bénéficie pas de la réputation d’un N’Gog. Le nouveau Scouser avait en effet été adoubé par Pedro Miguel Pauleta en personne.
À l’avenir, je suis sûr que [David N’Gog] sera un joueur important. Je le vois tous les jours travailler avec beaucoup de sérieux et d’humilité. S’il continue comme ça, il ira loin. Dans le jeu, nous sommes un peu différents mais dans le caractère, oui, il me ressemble. Nous avons la même volonté de progresser. Le même plaisir de jouer. Et surtout, la même obsession de marquer. Pour nous, le but est le plus important. Je l’aime vraiment beaucoup.__ Pauleta, en décembre 2007
Le Portugais présentait son coéquipier comme un prétendant à sa propre succession. Rien de tout cela pour Yannick Boli qui a dû batailler pour accéder au groupe pro, et à l’équipe première.
Le buteur aura dû attendre ses vingt ans pour porter le maillot Rouge et Bleu en rencontre officielle, face à Carquefou en coupe de France. Il a ensuite découvert les terrains de la L1 lors du match opposant Paris à Saint-Étienne. Or N’Gog, d’un an son cadet, avait déjà connu tout cela plus d’un an auparavant. Même Maxime Partouche, autre attaquant du PSG, avait été préféré à Boli lors du huitième de finale de coupe de France le 19 mars 2008… alors qu’il n’avait que dix-sept ans !
Comment les dirigeants parisiens pouvaient-il prévoir qu’un club comme le Real Madrid pourrait jeter son dévolu sur ce garçon pourtant moins en vue que les autres buteurs espoirs ? Les prestations du neveu de Roger et Basile Boli avaient certes conforté Paul Le Guen dans ses choix : buteur décisif à Amiens, Yannick s’était ensuite procuré quelques bonnes occasions face aux Stéphanois. Il méritait donc la confiance que le coach lui avait accordée en lui faisant d’abord goûter aux joies de l’équipe une, puis en demandant à ce qu’on lui accorde son premier contrat pro.
Mais de là à le voir sur les tablettes de Madrid, il y a un pas difficile à expliquer : après tout, Boli ne possède que vingt-huit petites minutes de L1 dans les jambes ! À ce compte-là, c’est l’intégralité des attaquants de tous les clubs formateurs de L1 qui auraient pu être appelés. On peut se demander quelles chances ce joueur possède de percer dans un club à l’effectif aussi relevé que le Real.
Les interviews de son agent, Roger Boli
Les tentatives de recrutement sauvage telle que celle que le PSG semble subir peuvent se régler très rapidement. Si le joueur et son entourage se déclarent peu intéressés par l’offre, le club demandeur est bien obligé de se faire une raison.
Il est facile d’avancer qu’une offre d’un tel montant, ou venant d’un tel club ne peut être rejetée. C’est d’ailleurs explicitement ce qu’écrit le journaliste de L’Équipe. :
Mais avec l’arrivée de Mateja Kezman, le technicien breton, qui observe avec plaisir la progression de Yannick Boli depuis plusieurs semaines, sait aussi que ce pur produit de la formation parisienne est rétrogradé dans la hiérarchie des attaquants. Et qu’une offre du Real ne se refuse pas…
Damien Degorre doit certainement lire dans les pensées de Le Guen pour pouvoir écrire ce que le Breton sait ou ne sait pas. En revanche, il a plus de mal avec les desseins de Loris Arnaud. Cet autre attaquant du Paris SG avait pour sa part refusé une offre analogue l’an passé, venant pourtant d’un club au prestige équivalent : le FC Barcelone. Offre que beaucoup jugeaient sans doute impossible à repousser, mais que Arnaud repoussera tout de même.
Reste à lire les propos de l’agent du joueur, afin de comprendre ce qui motive la famille Boli ici :
Je sais que Paul voudrait garder Yannick parce qu’il l’aime bien. Mais c’est trop tard. Ce n’est plus une question d’argent ni la faute de Paul. Mais Paris ne l’a jamais traité comme les autres. En fin de saison dernière, déjà, Alain Roche avait catégoriquement refusé une augmentation salariale. Yannick est parisien, le PSG est son club de cœur et ça lui fera mal de partir. Mais aujourd’hui, il est triste du manque de considération à son égard. Le Real Madrid lui en a montré beaucoup plus depuis quelques jours.
Si Roger Boli assure que l’argent n’a rien à faire là-dedans, pourquoi parle-t-il salaire dans la phrase suivante ? La considération dont il parle se mesurerait-elle en euros ? Si Paris est le club de son cœur, il ne faudrait pas oublier qu’une fois que Yannick Boli a enfilé une veste, c’est précisément là que le portefeuille vient se poser.
Quand l’agent évoque un manque de reconnaissance, un traitement moins bon que celui des collègues de la génération « moins de 18 ans » de Yannick Boli, il pointe du doigt une erreur que le staff parisien aurait commise. Paul Le Guen aurait-il dû faire jouer Boli davantage ? Le pousser plus vite, plus tôt ?
On peut se demander ce que cela aurait changé : l’appel du Real aurait-il été moins fort si Boli avait compté cinq ou six matches de plus en L1 ? Dans l’aspect sportif, il faut également prendre en compte le fait que le statut des équipes réserves espagnoles est bien différent de leurs homologues françaises. Les équipes ne portent même pas le même nom (la réserve du Real, qui s’est longtemps appelée Castilla CF, se nomme aujourd’hui Real Madrid Castilla) et les passages d’un groupe à l’autre se font bien moins aisément que dans l’hexagone. Si Boli signait pour l’équipe madrilène B, il y resterait toute la saison, à moins d’être prêté ailleurs, sans doute en seconde division… chose qui aurait pu se faire aussi bien en France si le joueur en avait émis la volonté. Dans ces conditions, pourquoi quitter Paris ?
Là où le bât blesse, c’est bien uniquement sur les prétentions salariales. Roger Boli le précise d’ailleurs dans une autre interview, accordée à Football.fr :
Je suis très énervé par le PSG. Alain Roche, et c’est bien lui dont je parle, ne nous a pas respectés. Yannick gagne 4 000 euros par mois, soit 2 000 euros net, et lorsque l’on demande une petite revalorisation salariale, on nous la refuse. Yannick est très déçu. C’est un Parisien pure souche, c’est son club de cœur. Real Madrid ou ailleurs, je veux que le petit soit heureux.
Yannick Boli émarge à 4 000 € par mois, soit le salaire minimum d’un joueur professionnel formé par un club pro… et donc à environ 3 000 € bruts, et non pas 2 000 € comme le précise son agent. À noter que si l’adage populaire affirme que l’argent ne fait pas le bonheur, quand on lit Roger il semble que cela n’est pas tout à fait le cas dans la famille Boli. Maintenant, l’attaquant mérite-t-il davantage que ce salaire minimum qui ferait rêver pas mal de supporters parisiens ? Les Madrilènes semblent le penser. Pourtant, à la vue de son bilan et de ce qu’il apporté à son club, la question se pose bel et bien. Un joli but face à une équipe de L2, une bonne préparation estivale et une petite rentrée à Monaco cet été : s’il faut renégocier les contrats dès qu’un joueur possède ce genre de cursus, Paris va vite se retrouver sur la paille.
Le discours de Roger Boli présente d’autres étranges caractéristiques, comme celle de viser nommément Alain Roche. Le recruteur du PSG ne fait pas plus l’équipe qu’il ne négocie les prolongations. Pourquoi l’agent s’en prend-il donc à l’ancien défenseur international ? Peut-être pour épargner les susceptibilités des vrais décideurs, à savoir Le Guen, et Villeneuve. Après tout, Yannick Boli n’a pas encore quitté Paris… Et Roger Boli le sait pertinemment. Il a donc tout intérêt à ménager ses arrières.
Le PSG peut-il garder Boli ?
Madrid proposerait une indemnité de moins d’un million d’euros, correspondant grosso modo au rachat des salaires de Yannick Boli. Tout amalgame avec l’arrêt Webster doit être écarté : cet arrêt permettant à un joueur de casser son contrat en rachetant ses derniers salaires à son employeur ne peut être appliqué ici. En effet, Boli a moins de vingt-huit ans et doit donc attendre que la signature du contrat soit révolue depuis au moins trois ans avant de pouvoir y mettre fin par ce biais.
Avec un premier contrat pro signé cet été, à moins de confondre années et mois, Roger Boli sait que son neveu ne pourra bénéficier de l’arrêt Webster. Théoriquement, rien n’empêche donc le Paris Saint-Germain d’apposer un veto sur ce transfert, et de s’y tenir.
Dans ces cas-là, le club ne doit plus espérer du joueur qu’il se surpasse. Sauf qu’ici, Paris n’a pas grand-chose à perdre : Boli est loin d’être une pièce essentielle du dispositif de Paul Le Guen. Avec Kežman, Hoarau, Pancrate, Luyindula, voire Arnaud et Partouche, l’attaque parisienne ne manque pas de solutions. A gauche, Rothen peut être remplacé par Sankharé en cas de blessure, et à droite Chantôme et Sessegnon pallieront toute absence de Giuly. Sportivement, le Paris Saint-Germain n’a donc pas un besoin vital de cet espoir qui refuse d’être traité comme tel.
Mais alors pourquoi l’entraîneur breton souhaite-il le garder ? Plusieurs raisons justifient ce choix : tout d’abord le montant offert par Madrid. Si le Real veut vraiment ce joueur, Paris étant en position de force dans la négociation, il n’a aucune raison de brader un joueur sur lequel il a investi de coûteuses années de formation.
Ensuite, il y a le signal envoyé aux pensionnaires du centre de formation du Camp des Loges. Si N’Lundulu est parti avant d’avoir signé son premier contrat, et si N’Gog a refusé de prolonger le sien, liant ainsi les mains de leur employeur, là, Paris est en position de se faire respecter. S’il cède, d’autres jeunes tenteront leur chance dès qu’ils seront dans des conditions similaires. Le Paris SG se verrait régulièrement privé de ses espoirs avant d’avoir pu en profiter sportivement. A quoi bon miser sur la formation si c’est pour abandonner à vil prix le fruit de ce travail ?
Enfin, il reste la question de la position du Paris Saint-Germain dans le paysage européen. Paris qui n’a pas réussi à attirer un joueur manceau, Paris à qui Rennes tient tête dans l’affaire Briand peut-il se coucher face à Madrid ? Si les années Bosman ont changé bien des choses, il faut se souvenir du temps où Madrid était une des victimes préférées du PSG lors de leurs affrontements en coupe d’Europe. Quel intérêt le président Villeneuve, sensible au prestige de son club, aurait-il à tirer une croix définitive sur ce passé ? Certes cette période est pour le moment révolue, mais pourquoi Paris abandonnerait-il avec ses meilleurs jeunes tout espoir de reconstruire un jour une équipe susceptible de reconquérir l’Europe ?
Cette affaire Boli ressemble trop à celles que le Paris Saint-Germain a vécues cet été avec Basa et Briand. Sauf que de l’inconfortable costume du demandeur, les Rouge et Bleu se retrouvent cette fois placés en position de force, et cela change tout. Si les dirigeants cèdent, c’est qu’ils estiment que Boli ne vaudra jamais plus que ce que propose Madrid aujourd’hui. Ou que le PSG a un tel besoin d’argent qu’aucune proposition ne se refuse. Dans les deux cas, si Yannick Boli partait, les supporters auraient de quoi s’inquiéter. Sur la véritable valeur du centre de formation, ou sur l’état de santé des finances parisiennes.