Le passé commun entre le Stade rennais et le Paris Saint-Germain est particulièrement riche. Beaucoup de joueurs sont passés par les deux clubs — par exemple Mpelé, Gava, Revault ou actuellement Jérôme Leroy et Grégory Bourillon —, mais aussi des administratifs — Jean-Michel Moutier ou, hélas, Pierre Blayau — et, dans de plus grandes proportions, des entraîneurs. À tel point que sur les 10 derniers entraîneurs du club breton, 5 sont également passés par la capitale : Yves Colleu, Paul Le Guen, Philippe Bergeroo, Vahid Halilhodzic et Guy Lacombe. Les dirigeants des deux clubs aiment visiblement les mêmes profils de coach : à tel point qu’au printemps dernier, Kombouaré a été un temps annoncé à Rennes, pendant qu’Antonetti était une piste étudiée par la direction parisienne. Pour la santé mentale des rédacteurs de PSGMAG.NET, il est salutaire que que cette dernière idée ne soit pas allée plus loin…
Cette profusion de personnages communs donne parfois des histoires croisées et des clins d’œil de l’histoire assez surprenants. On se souvient ainsi récemment d’un Guy Lacombe fraîchement nommé à Rennes, un an après son échec au PSG, qui bat les Rouge et Bleu 2-0 et plonge l’ancien Rennais Paul Le Guen dans une grande inquiétude. Ou encore cette poignée de main improbable entre Ronaldinho, presque parti du PSG, et Vahid Halilhodzic, presque arrivé mais toujours à Rennes.
Mais le match le plus symbolique de ces échanges d’entraîneurs date de l’automne 2000.
Un contexte pesant pour les deux équipes
Le 24 octobre 2000, tout se déroule parfaitement à Paris. Le PSG a effectué un recrutement très onéreux qui porte ses fruits : ce jour-là, le Parc a vu un festival offensif en Ligue des Champions face à Rosenborg — 7-2, record de l’époque [1], et le club est déjà qualifié pour la phase suivante. En championnat, à la faveur de sa première victoire à l’extérieur, le PSG est premier avec quatre points d’avance. Mais un mois plus tard, la situation s’est nettement dégradée. Après avoir croisé la route de Pauleta, subi trois défaites en quatre rencontres et mal débuté le deuxième tour de la Ligue des Champions en perdant à domicile face à La Corogne, Paris se retrouve précipité à la quatrième place. Et c’est dans contexte délicat que l’équipe de Philippe Bergeroo reçoit Rennes, le 28 novembre, avec pour objectif de mettre fin à cette mauvaise série, et repartir pour de bon vers le titre.
Le club breton traverse également une période sombre. Le Stade rennais est entraîné par le jeune Paul Le Guen depuis deux saisons — 5e puis 13e au classement. À l’été 2000, l’actionnaire François Pinault a également misé beaucoup d’argent en recrutant notamment Severino Lucas et Mario Turdo pour près de 250 millions de francs ! Malheureusement pour le milliardaire, ses investissements ne sont pas porteurs et l’équipe pointe à la 15e place du championnat. La semaine précédant la rencontre, de nombreux échos font état d’une décision déjà prise par le président rennais René Ruello : renvoyer Paul Le Guen quelle que soit l’issue du match.
Lama fait des misères au PSG
Indépendamment de cette tension, ce match est également le théâtre d’un fait bien plus heureux : Bernard Lama, le mythique gardien du PSG, est de retour au Parc des Princes sous le maillot rennais. Il est acclamé par toutes les tribunes. Il s’agit également du retour du dénommé Cesar, mais cela fait forcément moins réagir les foules.
Côté parisien, Bergeroo est privé d’un nombre assez significatif de joueurs, dont certains cadres : Anelka, Déhu, Luccin, Laurent Leroy, Mendy, Okocha, Benarbia, Aliou Cissé et Okpara sont tous absents pour diverses raisons. En conséquence, l’équipe alignée par Bergeroo est très expérimentale, et surtout faite de nombreux remplaçants. On voit ainsi un milieu de terrain Yanovski-Ducrocq-Cissé-Dalmat qui doit laisser rêveur aujourd’hui…
Après une domination stérile en début de rencontre, les Parisiens se font dangereusement malmenés par des Rennais qui ont su faire abstraction de leurs problèmes internes. Letizi — irréprochable, comme souvent — repousse tant bien que mal les assauts adverses, jusqu’à ce que Cyril Chapuis soit lancé en profondeur et qu’il ajuste le portier parisien d’une balle piquée qui rentrera dans les buts. Il reste une heure à Paris pour réagir, ce que les joueurs ne feront pas tout de suite.
La fin de la première période est en effet toujours à l’avantage des visiteurs, qui continuent à se créer des situations de plus en plus nettes. Stéphane Grégoire ou Philippe Delaye se retrouvent ainsi à défier Letizi, ce dernier sortant toutefois vainqueur.
La deuxième période sera heureusement d’un tout autre acabit : les Parisiens sont enfin volontaires et Christian, Laurent Robert ou même Rabesandratana se ruent à l’attaque. Sauf que le portier adverse, Bernard Lama, est dans son jardin, et pour sauver son ami Paul Le Guen, il ne fait pas de cadeau à son club de cœur. « Le chat » repousse tout ce qui se présente à lui, et les joueurs parisiens se résignent au fil des minutes à la défaite. Bien aidés en cela par un public qui, au lieu de pousser son équipe, a décidé de siffler ses joueurs dès la 60e minute.
Le mauvais côté du Parc
On assiste alors à tous les mauvais aspects du public versatile du Parc des Princes. Yanovski est la tête de Turc du jour et se fait siffler à chaque ballon touché. Les offensives adverses sont applaudies en fin de rencontre, quand les joueurs locaux sont sifflés. L’entraîneur Bergeroo, qui avait conduit le PSG a la deuxième place l’année précédente, est invité à démissionner. Il faut bien le dire, le comportement d’une partie du Parc vis-à-vis de cet entraîneur a été ce soir-là tout simplement honteuse. Le successeur est même déjà adoubé : des « Luis ! Luis ! » descendent des tribunes. Luis Fernandez qui sera probablement conspué par les mêmes personnes lors d’un PSG-Troyes en mars 2003…
Certains s’offusquent également de la frilosité de Bergeroo, qui ne fait aucun changement durant le match. Sauf que suite aux blessures, le banc parisien est surréaliste et n’offre comme solutions que les joueurs suivants : Fabrice Kelban, Talal El-Karkouri, Fabrice Abriel et Matthias Verschave. Mais qu’importe, certains spectateurs préfèrent donner raison à ceux qui ne jouent pas, et ne pas faire rentrer ces joueurs anonymes apparaît alors comme une hérésie.
Mais le plus choquant finalement est que toutes ces complaintes interviennent alors qu’il reste trente minutes à jouer. Trente minutes durant lesquelles les Parisiens auraient pu renverser la vapeur. Ils n’y sont pas arrivés, et le public est au moins autant fautif que les joueurs.
Le Guen est sauf, pas Bergeroo
Rennes s’impose donc 0-1. Et à l’issue du match, la presse ayant martelé que le sort de Le Guen était déjà joué, personne ne se réjouit réellement. Même Le Guen semble fataliste :
Sur un plan personnel, je vais aller à l’entraînement demain matin, mais je ne suis au courant de rien. J’ai envie de continuer. J’ai plaisir à entraîner, mais s’il faut partir, je partirai. Je ne me plains pas. Quand je suis devenu entraîneur, je savais à quoi m’attendre.
Finalement, la victoire qui ne devait rien changer… change tout. L’actionnaire Pinault et son président finissent par céder à la pression populaire et ne débarquent pas Paul Le Guen : l’entraîneur de Rennes est alors apprécié de tous, journalistes comme spectateurs — les temps changent. Le Guen finira donc la saison en remontant son équipe à la sixième place, avant de partir vivre la brillante carrière que l’on connaît. Carrière qui aurait très bien pu tourner court sans cette victoire en terre parisienne.
Tout le monde est donc content pour Paul Le Guen, certains supporters parisiens se servent même de ce prétexte pour se remonter le moral. Mais ce match a en revanche nettement fragilisé la position de Philippe Bergeroo au sein de son club. Alors que celui-ci ne cesse de dire qu’il faut attendre le retour des nombreux blessés pour redresser la barre, il est de plus en plus critiqué à l’extérieur, et probablement en interne aussi : lâché par certains joueurs, il sera impuissant devant la défaite cinglante concédée à Sedan au match suivant (5-1). Et il sera démis de ses fonctions dans la foulée.
Par la suite, un seul club professionnel lui fera confiance : le Stade rennais ! Ça ne s’invente pas… Une confiance de courte durée, puisque Bergeroo sera remercié au bout de dix malheureux matches, ce qui mettra fin à sa carrière d’entraîneur de club : il entraîne depuis diverses sélections françaises de jeunes.