Mercredi 10 juin, dans un entretien accordé à la radio RMC, Philippe Boindrieux revient sur le mouvement de protestation qui soulève les tribunes parisiennes, et choisit de renvoyer dos à dos supporters mécontents et majorité silencieuse.
Il y a un problème aujourd’hui : on parle des supporters qui se manifestent mais pas du tout des autres, or ils sont plus nombreux. Rien que pour ça, on ne va pas changer le maillot. Même si on voulait le changer, compte tenu des délais de fabrication, le processus serait beaucoup trop long. C’est matériellement infaisable.
Quelle est la part de vérité dans ces propos ? Pourquoi le PSG en est-il arrivé là ? Que demandent exactement ces supporters du Parc des Princes ? Enquête sur les raisons d’un malaise, et ses possibles conséquences.
Les raisons du clash
Sitôt dévoilés, sitôt rejetés. La saison 2008/2009 n’était pas encore finie que déjà le PSG s’offrait sa première crise de l’année 2009/2010 : les nouveaux maillots. Design innovant, très loin des coloris dessinés par le couturier Hechter en 1973 [1], la nouvelle tunique ne fait pas que des heureux. Mais là où certains s’accrochent à des jugements esthétiques, les membres des mouvements de supporters considèrent le problème sous un autre angle. Pour eux, la beauté d’un maillot est une chose, son identité une autre.
- « { 3 couleurs historiques} »
Boat People, porte-parole des Supras Auteuil, explique :
La position du groupe est claire : nous ne voulons pas de ce maillot domicile. Le jugement esthétique n’a rien à voir là-dedans, nous comprenons que certains le trouvent joli… mais ce n’est pas notre maillot, c’est tout.
Même son de cloche chez Flûtiste, capo des Authentiks (tribune G) :
L’esthétique, c’est un débat stérile. Même si tu le trouves beau, ce nouveau maillot au fond c’est quoi ? Un vague tee-shirt bleu… Mais tout le monde a ça ! Où exprimes-tu ta fierté d’être un Parisien si on ne te reconnaît même pas ?
Pour Violalex, capo des Lutèce Falco (Auteuil), on sent même poindre une certaine tristesse :
Le maillot est un symbole encore plus important que le stade. Lui seul permet en un coup d’œil d’identifier un supporter, ou un joueur, et ce à travers toute l’Europe. C’est pourquoi il est dommage de travestir cette identité : de loin on ne verra de nos joueurs que le bleu. Dire que pendant un an ceux qui suivront le PSG auront l’impression de voir jouer Bordeaux…
Le véritable malaise viendrait donc de là : un manque d’identification chez des supporters pour lesquels le Paris Saint-Germain représente beaucoup. Et là où Philippe Boindrieux voudrait opposer les différentes mouvances, Ben, capo de la Brigade Paris (tribune K), tient un discours qui va à l’opposé :
Nous avons tous une façon différente de supporter le Paris Saint-Germain : le Parc compte des ultras, des indépendants, des tribunes VIP ou des supporters qui ne peuvent suivre leur équipe qu’à la télé. Mais notre rôle à nous qui pouvons nous exprimer c’est d’être les garants de notre patrimoine et de l’histoire de ce club que l’on aime tous. Que Nike ou la direction actuelle fassent des profits, on s’en moque. Mais qu’ils respectent au moins l’amour que l’on porte à nos couleurs. L’esthétique n’est pas remise en cause ; le respect du club envers ses supporters, oui.
Boat People surenchérit avec un autre exemple :
Changer notre maillot, c’est comme si on décidait soudain que le drapeau français devenait juste bleu et rouge. Ça relancerait la vente de drapeaux en mairies, c’est sûr. Les fabricants seraient ravis… Et puis c’est beau juste bleu et rouge, non ? D’autant plus que le drapeau français n’a pas toujours été tel que nous le connaissons… Tous leurs arguments marchent… et pourtant on n’en change pas ! Parce que c’est un symbole qui représente notre pays, et qu’on n’y comprendrait plus rien.
- Boycott — maillots PSG 2009/2010
Autre vecteur de crispation, la logique purement comptable des dirigeants du PSG. Si tous les supporters, même les plus extrémistes, comprennent bien que l’argent est le nerf de la guerre, ils ne sont pas prêts à tout lui sacrifier pour autant. Violalex dévoile un point important :
Nous avons une histoire particulière avec Nike, un accord tacite nous liait. Du moment que le code couleur était respecté, nous leur laissions toute latitude pour choisir les matières, le col, la taille des bandes. L’un des maillots préférés de nombreux Lutèce est celui de 1998/1999, où le bleu était un peu dégradé. Cela prouve bien que même en collant au design Hechter, on peut créer, innover. Là, ils ont changé pour changer et ce n’est plus le PSG.
Alors, pourquoi cet accord entre supporters et dirigeants n’a-t-il pas été tenu ? Bouquin, 25 ans de Kop et cofondateur des Rangers (Boulogne), ne le comprend pas non plus :
Que Nike propose ce genre de maillot, à la limite c’est leur job. Mais que des dirigeants du Paris Saint-Germain les laissent faire, c’est incompréhensible. On ne peut pas tout accepter pour de l’argent ! Ce qui est inquiétant, c’est que le PSG n’ait pas la volonté, ou le pouvoir, de refuser ce que demande Nike. Paris peut-il encore se faire respecter ?
C’est donc aussi un refus de laisser leur club passer sous la main-mise de multinationales qui s’exprime. Ces supporters refusent de laisser tout pouvoir à des groupes anonymes pour lesquels le PSG n’est qu’une équipe parmi d’autres. Boat People évoque cette logique de profits :
Mais notre club n’est pas seulement une entreprise : il y a un palmarès, des couleurs, un stade, une passion qu’il faut respecter ! Tiens, pourquoi ne changerait-on pas de stade toutes les semaines ? On jouerait un coup en Corée, puis au Japon, puis la semaine suivante en Afrique… On gagnerait de l’argent là aussi ! Si l’argent est la seule motivation, et si on ne se défend pas, ils continueront à nous entraîner dans cette direction… Sauf que voir des mecs gagner sous d’autres couleurs et dans un autre stade ne nous intéresse pas !
Les motifs de mécontentement des supporters sont clairs. Et pourtant Philippe Boindrieux, qui a reçu les membres de toutes ces associations la semaine passée, ne semble pas les comprendre, et encore moins les prendre en compte.
Boindrieux joue les mauvaises cartes
Car si le malaise existait déjà, les déclarations du directeur général temporaire ayant suivi ont davantage jeté de l’huile sur le feu qu’apaisé les débats. Bouquin ne cache pas son mécontentement :
Boindrieux joue sur le mots et prend les Parisiens pour des idiots. Avant de nous parler de la « majorité des supporters », il faudrait déjà qu’il sache ce qu’est un supporter. À Paris, il n’y en a pas 40 000 à chaque match ! Les fans du PSG se séparent en de nombreuses catégories. Mais ce qui est sûr, c’est que les présidents d’associations qui s’expriment seront suivis par beaucoup de ces « silencieux ». Et ça il ne s’en rend pas compte.
Pour Flûtiste, l’argument populiste qui consiste à toujours invoquer la loi du plus grand nombre pourrait bien se retourner contre le dirigeant parisien :
Boindrieux veut parler de majorité ? Mais combien y a-t-il au juste de personnes qui souhaitent se faire du fric sur le dos du PSG ? Eux, ils ne sont vraiment pas si nombreux… Et combien d’autres préfèreraient que l’on respecte plutôt l’histoire de ce club ? Où elle est la majorité sous cet angle-là ?
Les acteurs de ce mouvement admettent tous que ce maillot a des chances de se vendre. Seulement une question se pose : quels sont les supporters qui apportent le plus au club ? Flûtiste livre une idée de réponse :
Les tribunes populaires ne représentent peut-être pas la majorité des supporters dans le stade, mais c’est là que sont les plus fervents. On ne peut pas nous retirer ça.
Et Ben de surenchérir :
Quand Boindrieux dit à mots couverts que ce sont toujours les mêmes qui « foutent la merde », il oublie que ce sont aussi toujours les mêmes qui aiment ce club et qui lui apportent un soutien indéfectible. Pour rigoler, j’ai compté et cette année j’ai fait plus de 15 000 km pour suivre Paris. Et encore, je suis dans la moyenne… Après, n’oublions pas que qui aime bien châtie bien, et parce qu’on aime ce club, on est obligés de râler quand on est pas d’accord avec la tournure que prennent les évènements.
- Boycott — maillots PSG 2009/2010
Pour Violalex, le boycott du maillot en lui-même peut devenir un acte de supporter :
Le plus important, c’est de comprendre qu’on n’est pas un meilleur supporter juste parce que l’on achète un maillot, ou un produit dérivé. Surtout si ce maillot ne nous représente pas. Il y a bien sûr une identification avec ce que portent les joueurs mais l’histoire du PSG dépasse cette seule saison. Celui qui refusera de donner son argent au club sur ce maillot-là fera peut-être à terme davantage de bien au PSG.
Une chose est sûre, Philippe Boindrieux ne s’est pas fait que des amis, comme en témoigne Flûtiste :
Boindrieux essaye de monter les supporters les uns contre les autres ! C’est dangereux et c’est exactement ce qu’il faut faire si il souhaite que l’on coupe toutes les relations avec lui.
Violalex ne mâche pas non plus ses mots :
Si la situation venait à se crisper, il est clair que Boindrieux se retrouverait la saison prochaine en première ligne.
Quant à Bouquin, il adresse un message on ne peut plus clair :
Boindrieux ne représente rien. Il ne comprend rien. Les tribunes populaires, il s’en fiche. Mais s’il doit sauter, il sautera. On a eu d’autres têtes avant la sienne.
Forts de l’expérience de combats passés, ces figures du mouvement ne menacent même pas, elle rappellent une réalité : les tribunes du Parc peuvent faire ou défaire un président.
À quoi faut-il s’attendre ?
Les témoignages des supporters du Paris Saint-Germain s’accordent pour expliquer que les choses vont d’abord se dérouler dans un climat de concertation et de dialogue… si possible. Violalex révèle ainsi :
Il existe toute une palette d’actions allant du souple au plus désagréable. Mais pour le moment, nous essayons de nous montrer pédagogues. Il s’agit dans un premier temps de glorifier nos véritables couleurs, de relayer l’histoire de notre club et de notre maillot notamment au travers d’un site Internet. On veut user de diplomatie afin d’expliquer pourquoi, en tribunes populaires, ce maillot ne sera pas le bienvenu.
Dès la reprise des entraînements — le 3 juillet —, les groupes de supporters exposeront leurs revendications. Flûtiste annonce :
Banderoles, tifos, tout ça c’est acquis. Mais nous sommes prêts à aller plus loin. On trouvera des moyens non violents de se faire entendre.
Une idée semble germer. Un projet un peu fou à peine dévoilé par certains, comme Ben :
La Brigade Paris est une petite association : seuls, nous ne pourrons pas faire grand-chose. Alors on va s’unir aux autres mouvements toutes tribunes confondues, dans une démarche positive. Par des solutions alternatives, par exemple en créant un maillot conforme au code couleur qui est le nôtre.
Un thème repris par Violalex :
Nous menons cette année un combat pour l’an prochain. Combat que nous savons un peu utopique. Cela passe par une volonté de proposer d’autres matériels, qui eux valoriseraient nos véritables couleurs.
Une chose est sûre, les tribunes populaires ne manquent pas d’idées, comme le souligne Bouquin :
Le maillot, ce n’est pas un petit combat : on ne se laissera pas faire. On a les arguments pour défendre nos thèses, on a aussi la créativité, et les moyens de nous exprimer. Banderoles, sites Internet, manifestations… C’est une lutte énorme contre Nike et les dirigeants qui vient de débuter.
- Boycott — maillots PSG 2009/2010
Et si chacun souligne une volonté de tout faire pour que les choses se passent dans le calme, certains mots reviennent systématiquement. Chez Boat People :
Il n’y aura ni bagarre ni rien, bien sûr, mais ce n’est pas une bonne idée de venir avec ce maillot à Auteuil.
Chez Bouquin :
À Boulogne, ce sera difficile de rentrer avec ce nouveau maillot. Disons qu’il faudra que certains fassent des efforts de compréhension quand il leur sera expliqué ce que l’on en pense. Le but, c’est de ne pas en venir aux mains entre supporters.
Pour Flûtiste :
Il est sûr que ce ne serait pas bon de venir en tribune G avec ce maillot. Nous sommes sur la même ligne que ce qu’a pu déclarer Amar des Lutèce Falco sur cette question. Nous l’avons clairement expliqué.
Mais qui dit dialogue et négociations, dit également sortie de crise. Que demandent ces supporters ? Bouquin le résume en deux phrases :
Pour cette saison, on ne peut plus rien faire, ce maillot existe. Mais celui de l’année passée existe aussi, il leur en reste, c’est sûr. Qu’ils nous remettent le maillot de la saison dernière à domicile et qu’ils gardent ce pyjama pour jouer des matches de coupe de la Ligue, ou à des matches à l’extérieur.
Les mouvances semblent unanimement d’accord sur ce point : que le club fasse de ce maillot un maillot extérieur, ou même third, comme le rappelle Flûtiste :
On avait un accord concernant les maillots : on ne touche pas trop au domicile, on ne change que des détails, et sur le maillot extérieur, Nike peut se faire plaisir. Ils peuvent même sortir un 3e maillot s’ils le veulent, pas de problème pour nous. Sauf que l’équipementier ne le souhaite pas. C’est quoi ce club où Nike décide de tout ? Ils veulent que l’on fasse de la pub pour Adidas ou quoi ?
On sent à l’écoute de ces supporters que la crise révèle aussi un malaise profond, qui touche à d’autres secteurs. Un ras-le-bol qu’évoque Flûtiste :
Boindrieux essaye de nous faire endosser le rôle des éternels mécontents. Ça suffit ! La réalité c’est que nous perdons notre temps à venir discuter dans leurs réunions alors que s’ils faisaient leur boulot correctement, nous n’en serions pas là. Arrêtons le délire : une saison sans crise, comme la saison dernière, mais on ne demande que ça ! Nous ne sommes pas là pour protester, c’est juste qu’avec leurs décisions, ils nous y obligent !
Violalex aborde lui aussi le problème des relations avec ces dirigeants qui ne comprennent pas leurs propres tribunes :
Nous ne sommes quand même pas les vilains petits canards du Parc !
Ce défaut de communication trouble d’ailleurs Boat People :
Là, la direction du PSG nous met devant le fait accompli. Et quand il n’y a plus de micros, ils nous avouent qu’ils n’étaient pas au courant de l’accord passé du temps de Cayzac. Évidemment : ils changent de président tous les six mois, ça n’aide pas à se passer les consignes. Le truc qui fait peur c’est que s’ils font pareil dans le domaine sportif, si personne ne se renseigne sur les accords passés et les stratégies, alors comment espèrent-ils construire quelque chose de durable ?
Le mot de la fin
Ces passionnés n’acceptent au fond de répondre que pour évoquer le maillot. Leur maillot. Au moment de finir l’entretien, chacun d’entre eux aura le souci de rajouter une précision, comme pour expliquer, encore, le pourquoi de leurs actions. Ben s’attache à un idéal :
Nous nous devons d’être vigilants. De montrer l’attachement à un club plus qu’à un sponsor ou une marque. À l’image de ces supporters de Manchester que l’on peut voir dans le film Looking for Éric, et qui créent un club alternatif qui leur correspond davantage.
Boat People évoque lui une lutte pour une certaine idée du monde des tribunes :
Dans notre groupe, certains membres trouvent la bâche Supras que nous utilisons en déplacement trop petite, trop datée, et un peu démodée. On pourrait en refaire une moderne, plus grande, une bâche que l’on verrait mieux… mais celle-là elle date du match disputé à Nantes en 1994/1995. C’est l’identité de notre association, c’est elle qui a suivi tous ceux qui ont soutenu le PSG. Bien sûr qu’elle est moins belle et moins grande que d’autres. Mais elle représente notre Histoire. Le maillot c’est pareil.
- Boycott — maillots PSG 2009/2010
Flûtiste, de son côté, insiste sur la finalité d’un maillot :
Un maillot, il n’a d’intérêt que s’il s’identifie tout de suite ! Pourquoi acheter, puis porter un truc à 75 € s’il faut s’approcher à 3 cm du blason avant de découvrir de quelle équipe il s’agit ? Un maillot, ce n’est pas un truc !
Violalex termine en démontant un argument du directeur général temporaire du PSG, non sans humour :
Boindrieux nous explique que le PSG a besoin de vendre des maillots afin de pouvoir récolter de l’argent pour acheter de bons joueurs. Il ferait mieux de prendre le problème dans l’autre sens : en achetant un bon joueur, il vendrait peut-être davantage de maillots, Hechter ou pas ! Dans un club en général, on vend plus de flocage Fabregas que Pancrate…
Quant à Bouquin, c’est une anecdote étrange, un surprenant regret chez ce porte-voix qui officiait déjà dans le Kop du temps où Luis Fernandez foulait encore les pelouses les chaussettes sur les chevilles, et le maillot rentré dans son short trop remonté. Un temps où Paris jouait en blanc, paré de deux lignes bleu et rouge :
Certains supporters ne comprennent pas que le maillot, on ne peut pas y toucher. Pour eux, l’Histoire du club n’existe pas. Ils ne se rendent pas compte que tout ça laisse des traces. Mon premier maillot, je devais avoir 13 ans, je l’avais cousu moi-même : il m’était impossible d’en acheter un. C’était un tee-shirt blanc sur lequel j’avais rajouté une bande de tissu bleu et une autre rouge, sur le cœur. Je le mettais pour écouter les matches du Paris Saint-Germain à la radio, dans les années 1980. Aujourd’hui, on ne dirait plus vraiment un maillot du PSG. C’est dommage pour un premier. Si j’avais su, si seulement je m’étais renseigné sur notre histoire, si j’avais lu des bouquins… je m’en serais fait un autre. Un vrai. Un Hechter.
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